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Algérie : La véritable révolution

La célébration du deuxième anniversaire du Hirak ainsi que les manifestations qui ont eu lieu dernièrement ont fait rebondir le débat et la confrontation sur la question des voies et moyens du passage à la stabilité démocratique en Algérie.

Car telle est la vraie question. Les gens, les partis et courant politiques, ne se différencient pas par rapport aux grandes finalités nationales : indépendance, souveraineté, progrès social, développement économique, démocratie etc.. En effet, qui pourrait bien être contre. Ce qui différencie les gens, c’est la façon d’y parvenir, les moyens. Par exemple la démocratie par le pouvoir des urnes ou celui de la rue. Le développement économique par l’économie administrée ou l’économie de marché etc.. Là sont les véritables confrontations, qu’elles soient clairement assumées ou cachées.

Ce serait une erreur de penser que le passage à la démocratie se ferait un peu comme on passe, à un moment historique donné, sur une autre rive, comme on arrive à bon port. En fait, les débats, les confrontations, les luttes actuelles chez nous, sont ce processus lui-même, un processus d’accouchement, et il se fait non sans douleur. Nous sommes bien placés pour le savoir, car ce processus dure, en fait en Algérie, depuis des décennies, probablement depuis la fin du parti unique et les premières élections libres de 1991. Toute la question, et peut être la plus importante, est justement de tenir compte de ce capital historique douloureusement acquis. C’est précisément toute l’intelligence de la société algérienne de l’avoir fait, en trouvant avec le Hirak, la voie pacifique de solution de la crise politique dans notre pays.

De l’Afrique aux États-Unis

En fait cette crise politique autour de la question de la démocratie n’est pas spécifique à l’Algèrie et il est bon de la relativiser. Elle se pose un peu partout dans le monde, en étant d’ailleurs singulièrement attisée par le contexte de la pandémie, qui accélère partout le besoin de changement, et en révèle la nécessité.

En Afrique, partout, il y a des confrontations autour des élections législatives ou présidentielles ; on assiste partout à la contestation des résultats, à la dénonciation de fraudes électorales supposées ou réelles, à la réapparition de clivages régionaux, à la recherche d’organes, d’institutions d’arbitrage : commission électorale, conseil constitutionnel, Cour suprême etc.

Il faut noter ici l’importance cruciale pour la démocratie de ces mécanismes d’arbitrage. Leur rôle est vital, pour empêcher que les conflits se transforment en confrontation violente, pour maintenir l’unité de la société grâce à la gestion démocratique, c’est-à-dire pacifique, des contradictions sociales.

Aux Etats-Unis par exemple, aux élections présidentielles de l’année 2000, l’écart entre les deux candidats, le républicain Gorges W Bush et le démocrate Al Gore est infime, 537 voix en faveur du républicain dans l’Etat décisif de Floride. La Cour suprême refuse le recomptage de voix et proclame vainqueur le candidat Bush. On saura plus tard que le recomptage de voix aurait été en faveur de Al Gore. Le candidat démocrate s’est pourtant soumis à la décision.

En France, Roland Dumas, confie, qu’en 1995, le Conseil constitutionnel qu’il présidait, aurait pu invalider l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République française car ses comptes de campagne étaient manifestement irréguliers. Il ne l’a pas fait et il dira plus tard qu’il a ainsi "sauvé la République".

En Cote d’ivoire, aux élections présidentielles de 2011 le nombre de voix est aussi très proche entre les deux candidats Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Le Conseil constitutionnel donne la victoire à Laurent Gbagbo. Mais, là, la France intervient en faveur d’Alassane Ouattara, candidat proche de la France. C’est l’exemple même du rôle destructeur des ingérences étrangères qui empêchent ainsi le déroulement d’un processus historique endogène, interne à un pays, de construction de la démocratie et de ses mécanismes.

La Constitution

Et parmi tous ces mécanismes, il y en a un, qui, d’évidence, détermine tous les autres : La Constitution.

Plus de deux siècles après leur naissance, les Etats-Unis d’Amérique sont amenés à le vérifier. Qu’est-il reproché, à la fin, au président Trump, si ce n’est d’avoir agi ou tenté d’agir contre l’ordre constitutionnel, d’avoir utilisé la violence contre le pouvoir législatif symbolisé par le Capitole, de ne pas avoir donc respecté la séparation des pouvoirs en voulant imposer par la force la volonté du pouvoir exécutif au Congrès, de ne pas s’être soumis aux principes constitutionnels de l’Etat de droit en remettant en cause le résultat des élections malgré sa validation par les instances constitutionnelles. Jusqu’à l’armée elle-même qui avait jugé bon de faire savoir , le 13 janvier 2021, dans une lettre rendue publique du Haut commandement militaire signé par les sept généraux et l’amiral constituant l’Etat major interarmées, que "Tout acte contraire au processus constitutionnel est non seulement contraire à nos traditions ( des Etats Unis), à nos valeurs et à notre serment, mais aussi à la loi".

Il y avait donc deux démarches par rapport à la crise politique que vivaient les Etats Unis, l’une "révolutionnaire", par la rue, à travers la marche sur le capitole, par laquelle les manifestants se proclamaient représentants de la volonté du peuple souverain, et l’autre s’appuyant sur la stricte légalité constitutionnelle. Laquelle est "révolutionnaire" et laquelle est "réactionnaire", ""conservatrice" ? On le voit donc, le problème n’est jamais épuisé, même dans l’une des plus vieilles démocraties. A travers cet exemple, il parait clair qu’un mouvement n’est pas révolutionnaire, dés lors qu’il s’exprime, dans la rue, comme il n’est pas conservateur du moment qu’il défend les institutions.

Tout dépend du contexte. Quel est-il en Algérie ? Compte tenu de notre histoire depuis l’indépendance, une histoire marquée par des coups d’Etat, par des violations de la Constitution, par le non respect des résultats du suffrage universel, la véritable révolution ne serait-elle pas celle du respect absolu de la légalité constitutionnelle, non pas pour plus tard comme certains le proposent, mais de suite, dés à présent, et pour l’avenir. N’est ce pas ici la véritable démarche révolutionnaire ? N’est ce pas là la meilleure protection interne, celle d’une loi suprême pour arbitrer les conflits, et assurer la paix civile. Mais n’est-ce pas aussi une protection externe dans nos rapports, avec le reste du monde, et notamment par rapport aux ingérences étrangères toujours à l’affût.
Mais qui dit Constitution, dit recours au suffrage universel pour régler la question du pouvoir.

La crainte des urnes

La crainte des urnes n’est pas et n’a jamais été une ligne de clivage ni de démarcation entre pouvoir et opposition en Algèrie. On a pu toujours trouver des partisans et des adversaires du recours aux urnes aussi bien dans le pouvoir, que dans l’opposition.
D’une manière générale, les forces politiques qui sont enracinées dans la société ou qui ont le vent en poupe, sont pour les élections. Elles y ont tout à gagner. Elles en ont besoin pour affirmer leur présence et leur influence. Par contre, d’autres forces sociales, elles, n’ont jamais eu besoin d élections, ni d’ailleurs de la démocratie, pour affirmer leur influence dans les appareils de l’Etat et du pouvoir. Elles vivent donc souvent le recours aux urnes comme le danger de se retrouver minoritaires. C’est dans ces forces qu’on trouve l’argument que la démocratie ne se résume pas à des élections, ainsi que celui de la fraude.

C’est ce dernier argument qui est le plus souvent avancé pour refuser des élections. C’est un argument faible. En effet, il devrait avoir pour conséquence logique de réclamer des mécanismes contrôlables de gestion des élections. Ce qui est, étonnamment, rarement le cas. Par contre, cet argument de la fraude a souvent servi aux bureaucraties politiques à la tête de certains partis à masquer leurs échecs et à se maintenir en poste. D’ailleurs, l’influence d’une force politique se manifeste d’évidence dans une société en dehors même d’élections. Leurs succès électoraux sont attendus sans qu’il y ait besoin de sondages d’opinions. Cela a été le cas des "Frères musulmans" en Egypte, qui ont, de suite d’ailleurs, demandé des élections après les grandes manifestations populaires, le cas du FIS ("Front islamique du salut ") en Algérie, celui du FFS (Front des forces socialistes"), notamment aux élections en 91.

Les bureaucraties se trouvant à la tête de certains partis craignent particulièrement le recours aux urnes, d’ailleurs aussi bien dans leur partis que dans la société. L’existence d’une bureaucratie politique a touché chez nous aussi bien les partis au pouvoir que les partis de l’opposition. Des indicateurs comme la persistance pendant des décennies des mêmes dirigeants dans un parti, l’absence de démocratie en son sein, sont significatifs des bureaucraties politiques.

Le Hirak ne s’y est pas trompé qui a rejeté les partis bureaucratiques en bloc. Ce phénomène de rejet n’est pas propre à l’Algérie car on l’a retrouvé cette dernière décennie un peu partout dans le monde aussi bien avec les mêmes refus, symbolisés par le célèbre "dégage" tunisien, qu’avec l’émergence de nouveaux mouvements en dehors des partis traditionnels avec notamment une expression populiste, aux États Unis et en ’Europe.

Il y a donc des raisons sociales et politiques à la peur ou au rejet des élections. Il peut y avoir aussi, dans le cas de l’Algérie, des motivations, appelons-les, "régionalistes". Par exemple le courant berbériste séparatiste boycotte régulièrement toutes les élections. Son argument est que dans un vote national, la Kabylie est forcément minoritaire et ne peut donc satisfaire ses aspirations. Il n’a de cesse de tenter d’influencer dans ce sens l’opinion kabyle, et même le courant berbériste nationaliste, attaché à l’unité de l’Algérie. Cet argument est bien discutable. Il faudrait préciser, en effet, quelles sont les aspirations de la Kabylie qui ne pourraient être satisfaites dans le cadre national au même titre que les autres régions. Il faudrait préciser aussi quels avantages pourraient apporter la séparation, par rapport à ceux apportés par l’unité nationale, sans parler de la profondeur historique et émotionnelle du sentiment d’appartenance à une patrie qui s’est construite et libérée dans une lutte générale et solidaire, et donc des douleurs et des dommages terribles que pourrait causer le divorce pour les enfants d’une même patrie. Rien n’autorise à dire enfin, qu’un grand homme politique, comme l’a été Ait Ahmed, ou un parti politique, issus à l’origine de cette région, ne pourraient pas, et peut- être pour cette raison même, offrir à la nation, à toute la nation, et plus loin au Maghreb, la synthèse politique de ses valeurs, de sa culture , et du projet démocratique dont ils ont besoin.

La réponse des divers partis à l’annonce désormais faite de la tenue d’élections sera donc révélatrice de ce qu’ils sont, de leur enracinement social et politique, de leur confiance en eux-mêmes, et de leurs réponses non pas aux exigences de la démocratie en théorie, mais à ses besoins pratiques, à un moment historique. Le recours aux urnes est, par définition, en tout temps et en tout lieu, la sortie d’une crise politique par le haut.

Dans la décision de dissoudre Assemblée nationale, il y a une certaine audace, car rien n’obligeait le pouvoir à le faire. Elle oblige à des élections et donc au risque de voir arriver au pouvoir l’opposition, sous des formes diverses et peut-être inattendues..
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Certes, il ne faut pas exclure des manipulations qu’elles viennent du pouvoir ou d’ailleurs. Mais telle est la règle du jeu. C’est à chaque force de les affronter. La démocratie n’est pas seulement un mode de gestion politique des contradictions sociales mais aussi un combat. On ne peut pas exclure que des forces, pour des motivations diverses et parfois inverses les unes des autres, puissent agir en faveur du boycott ou de l’abstention. L’abstention a été peut être l’élément majeur de la gestion électorale dans notre pays à part de brefs épisodes comme en 1991. Tout dépendra de la perception par la majorité de l’opinion de ces élections comme un facteur réel de changement. Et ceci dépendra aussi bien de l’attitude et de la sincérité du pouvoir que de celles l’ensemble des forces politiques intéressées à la tenue d’élections démocratiques.

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