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Alors que vous célébrez votre liberté, souvenez-vous de Julian Assange (Newsweek)

Aujourd’hui, les États-Unis célèbrent le "Jour de l’Indépendance", [le 4 juillet est la fête nationale US – NdT] un tournant historique dans le devenir d’une grande nation. En ce jour, le monde célèbre les grandes vérités inscrites dans la Déclaration de 1776, qui incarnent le concept même de démocratie moderne : "tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur". En bref, le Jour de l’Indépendance célèbre le droit et le devoir d’exprimer librement et simplement sa dissidence.

En effet, tout au long de l’histoire, les dissidents ont apporté des changements politiques durables, la libération de l’oppression et la responsabilisation du peuple. Par "dissident", je n’entends pas l’opposition au parlement, je veux dire les militants politiques qui contestent le pouvoir établi de l’extérieur. Mahatma Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela étaient des dissidents dont les noms sont maintenant connus dans le monde entier. Pourtant, tous ont radicalement remis en question l’ordre politique, social et économique de leur époque, qui a fait assassiner deux d’entre eux et incarcérer le troisième pendant 27 ans.

Qu’est-ce qui fait des dissidents une telle menace ? Contrairement aux criminels de droit commun, ils servent une cause plus importante. Contrairement aux terroristes, ils informent, dynamisent et mobilisent la population. Et contrairement à l’opposition parlementaire, ils n’ont aucun intérêt dans les institutions et les pratiques corrompues qui alimentent souvent les deux côtés de l’allée politique. Les gouvernements craignent les dissidents, parce qu’ils ne peuvent être ni possédés ni contrôlés. Certains les emprisonnent, les torturent et les exécutent régulièrement, sur la base de preuves classifiées et de procès sommaires. D’autres cachent leur oppression derrière un voile de procédure régulière, les écrasant par le harcèlement judiciaire et la diffamation.

Que cela nous plaise ou non, Julian Assange est un dissident. Il méprise le secret et ne peut être apprivoisé, acheté ou contrôlé. Il a inondé le monde de révélations compromettantes, y compris des preuves de crimes de guerre, d’agression et d’abus, sans jamais avoir recours à la violence ou à de fausses nouvelles. Il a initié un changement de paradigme dans la prise de conscience du public et a asséché les refuges de l’impunité gouvernementale. Et comme tous ceux qui mettent en danger les avantages des puissants, on lui a fait payer le prix.

Mais comment briser un dissident politique, un partisan de la vérité et de la transparence ? D’abord, vous attaquez sa réputation et sa crédibilité, et détruisez sa dignité humaine. Vous alimentez un filet constant de rumeurs venimeuses, fait d’abord de demi-vérités, puis de mensonges de plus en plus éhontés. Vous l’accusez de viol sans lui offrir un procès, vous l’accusez de piratage et d’espionnage, de salir les murs de l’ambassade avec ses excréments. Vous le décrivez comme un narcissique ingrat avec un chat et une planche à roulettes, dont le seul but est l’exceptionnalisme auto-glorifiant.

En le rendant antipathique aux yeux du monde, vous vous assurez que personne ne ressentira d’empathie, et une fois sa voix muselée et son isolement complet, il pourra être traîné au bûcher en toute impunité. Plus important encore, l’ayant ramené à un clown pour le divertissement de tous, vous aurez détourné l’attention de la lumière que ses projecteurs ont jeté sur vos propres crimes. Ensuite, vous vous assurez que toute tentative de sa part d’exposer vos mensonges se fasse au prix d’une extradition vers un juge-bourreau dans un pays déterminé à voir sa tête au bout d’une pique, et où les tortionnaires bénéficient de l’impunité. Vous faites alors pression sur son pays de refuge pour qu’il se soumette – ce ne sont pas les moyens de pression militaires et économiques qui manquent - et vous transformez ses protecteurs en ennemis, et son existence quotidienne en un enfer.

La méthode est délibérée, concertée et soutenue et fait appel à l’isolement, à l’hostilité et au dénigrement. Qu’on l’appelle "intimidation", "lynchage" ou "persécution", c’est essentiellement la même chose. Elle inflige délibérément de graves souffrances mentales et vise à contraindre, punir et intimider. Elle n’est donc, en droit international, rien d’autre qu’une véritable torture psychologique. Attention, la torture psychologique n’est ni "douce" ni "légère". Elle vise directement à la destruction de votre moi le plus intime, mais sans laisser de trace physique. Elle cible vos émotions, votre esprit et votre dignité, et inspire la honte et l’anxiété chroniques. Par une sur-stimulation implacable, la confusion et le stress, elle finit par causer l’épuisement total, l’insuffisance cardiovasculaire et l’effondrement nerveux.

Ne nous laissons pas berner, l’extradition d’Assange n’a jamais été une affaire de piratage, de viol, d’espionnage ou de narcissisme. Il s’agit de noyer sa contestation radicale du secret gouvernemental, qui détient le pouvoir de changer les affaires du monde pour toujours, inspiré par les vérités et les principes proclamés dans la Déclaration de 1776. C’est pourquoi les puissants persécutent Assange avec férocité, tandis que les criminels de guerre avérés circulent librement. Et pendant que vous le regardez payer pour l’audace d’avoir dénoncé la corruption et la criminalité, réfléchissez à ce que cela signifie pour vous, votre pays et votre famille. Réfléchissez longuement et réfléchissez bien, puis utilisez vos droits démocratiques pour demander des comptes à votre gouvernement.

Car lorsque dire la vérité devient un crime tandis que les puissants jouissent de l’impunité, alors vos propres droits pourraient bien être les prochains à être remis en cause. Un précédent de censure et de tyrannie aura été créé, via la porte dérobée de notre propre complaisance, qui peut et sera tout aussi bien appliqué au New York Times, à BBC World et à ABC News. Alors rappelons-nous cette vérité, déclarée il y a 243 ans : "Un prince, dont le caractère est marqué par tous les actes qui peuvent définir un tyran, n’est pas digne d’être le souverain d’un peuple libre."

Nils Melzer

Nils Melzer est le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture. On peut le retrouver sur tweeter @NilsMelzer.

Traduction par VD "ah, un grand média accepte enfin une tribune de Nils Melzer ?" pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

»» https://www.newsweek.com/assange-freedom-dissent-torture-1447756
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