@scalpel
Merci également pour votre réponse.
Pour ma part, je suis favorable à la réhabilitation de termes simples pour leur enlever toute connotation raciste. A force d’euphémismes, on empile les termes racistes (ou non-"politiquement corrects").
Donc, je suis pour l’utilisation de "blancs, "noirs", de "gens de couleur" (oui pourquoi pas ? Après tout, cela indique clairement que ce sont tous ceux qui ne sont pas considérés ou ne se s’identifient pas comme "blancs". Et réfuter le terme n’est pas moins que de l’antiracisme subjectif, comme les autres), de non-blancs – tous des termes que tout le monde comprend.
Car, ce n’est pas en éliminant les mots et en choisissant d’autres qu’on éliminera le racisme, bien ancré dans les sociétés impérialistes et qui justifie tous les massacres, que ce soit intra-muros ou à l’étranger.
Ainsi, les dirigeants des US (pour ne citer qu’eux) ne disent pas "nigger", mais pratiquent et laissent pratiquer un racisme institutionnel d’une extrême cruauté, avec l’approbation ou l’indifférence du reste de la population.
Obama, le "premier président noir", cherchant à donner des garanties de sa loyauté envers le pouvoir blanc, n’a cessé dans ses discours, et cela, avant même d’être élu, de s’en prendre aux hommes noirs qui ne "prennent pas leurs responsabilités, qui se comportent comme des gamins, et pas comme des hommes", etc., précisant : "Vous et moi savons parfaitement que c’est ce qui se passe dans la communauté africaine-américaine".
Aucun autre président n’avait jamais osé le faire.
Et aucun président, lui compris, ne se serait attaqué ou s’attaquerait aux autres communautés US.
Et, en effet, pour revenir à la sémantique, les néologismes finissent eux-mêmes par être remplacés à leur tour par d’autres termes.
Aux US, ils sont passés de "African" (contesté quand il a commencé à y avoir des natifs noirs), à "negro" et "colored people", puis à "black", et aujourd’hui, la tendance est à nouveau à "african-american", parce que quelque démocrate nanti noir, mais reconnu (Jesse Jackson, pour ne pas le nommer) a décrété que ce terme avait une "base culturelle historique".
(A noter, qu’"african-american" est censé définir les Noirs issus de l’esclavage. Et, donc, par exemple, Obama ne devrait pas pouvoir être défini comme tel. Ce qui signifie que, une fois de plus, le terme est inadapté).
Ce terme, utilisé plutôt dans les milieux éduqués, n’est qu’une concession dérisoire faite aux Noirs, à côté du racisme qu’ils subissent au quotidien avec l’aval des nantis.
Et, dans quelques années, quelque leader noir sortira du chapeau une nouvelle appellation pour désigner les Noirs.
Sans que rien n’ait changé en profondeur.
MLK, dans l’extrait du discours ci-dessus, prononcé à l’issue de la Marche sur Washington, dit (par exemple) :
"Mais, un siècle plus tard, le Noir n’est toujours pas libre ;
Un siècle plus tard, la vie du Noir est toujours liée par les menottes de la ségrégation et les chaines de la discrimination ;
Un siècle plus tard, le Noir est toujours relégué à la marge de la société et se retrouve en exil dans son propre pays (…)
Et donc, nous sommes venus ici pour exposer au grand jour une situation scandaleuse".
Le discours de MLK pourrait être repris tel quel aujourd’hui, en ajoutant simplement un demi-siècle supplémentaire.
Ce que les classes dominantes concèdent un jour, elles reprennent systématiquement par d’autres moyens.
Et, comme le dit cet article intéressant, ce qui s’est passé à Ferguson a lieu communément.
Ce qui change, c’est la médiatisation et la mobilisation.
Si les affaires Trayvon Martin et Mickael Brown ont été révélées au grand jour et traversé les frontières, on n’entend pas parler de tout le reste.(*).
Concernant le taux de chômage des Noirs, David Brooks s’appuie, sans doute, sur les statistiques officielles.
Or, Michelle Alexander se fonde non seulement sur ces statistiques, mais sur d’autres éléments déterminants.
Comme ceux indiqués ici.
Ainsi, les incarcérations massives masquent le véritable taux de chômage et creusent davantage les inégalités : le taux de chômage actuel est élevé. Mais si on comptabilisait également tous ceux qui ne sont pas demandeurs d’emploi parce qu’ils sont incarcérés, il serait encore plus élevé, surtout chez les jeunes Noirs non diplômés.
Une étude récente révèle que :
"si on mesurait le ratio emploi/population en y incluant les détenus, on en arriverait à la conclusion que seuls 26 % des jeunes noirs non diplômés avaient un emploi en 2008, alors que, parallèlement, plus de 37 % étaient en prison. Plus de la moitié du taux de chômage des jeunes Noirs non diplômés est lié aux incarcérations.
L’incarcération a également des conséquences néfastes sur les chances d’un ex-détenu de gagner décemment sa vie.
Plusieurs enquêtes indiquent que, parmi les six millions d’"ex-prisonniers" qui cherchent un emploi, 50% d’entre eux ont moins de chances d’être embauchés que des demandeurs d’emploi sans casier judiciaire.
D’autre part, les ex-détenus ont des salaires inférieurs à ceux qui n’ont pas fait de la prison, ils n’ont pas le droit aux logements sociaux, ni aux coupons d’alimentation.
Michelle Alexander explique, d’autre part, que les fiches que doivent remplir les demandeurs d’emploi contiennent la rubrique à cocher obligatoirement demandant s’ils ont fait de la prison, que cela se soit produit récemment ou des dizaines d’années en arrière. C’est-à-dire que celui qui a purgé une peine, pour quelque motif que ce soit, et aussi dérisoire, voire erroné, soit-il, trainera ce boulet à vie.
A ajouter à cela : les détenus de tous les états (sauf deux) sont privés du droit de vote pendant leur peine, et les ex-détenus dépendent des législations de l’état où ils résident.
Le livre d’Alexander s’appelle "the New Jim Crow", qui se réfère aux lois qui avaient institué la ségrégation.
On en est toujours là, sous une forme insidieuse.
Donc si Brooks décrit une situation déjà dramatique, la réalité est beaucoup plus sinistre que cela et affecte des familles entières et toute une communauté pour de multiples raisons, que l’"homme noir" ait été assassiné ou jeté en prison.
Obama, pendant ce temps, rejette perfidement la faute de tout ce gâchis sur les Noirs eux-mêmes, alors que les écoles publiques (et les autres services publics) ferment dans les quartiers pauvres par manque de fonds publics, que les autorités trouvent opportunément pour construire des prisons qui seront gérées par leurs amis des grands groupes privés.
En attendant, les obsèques de Mickael Brown se sont déroulées dans un cirque médiatique, avec, en vedette, les figures emblématiques de la bourgeoisie noire.
La majorité de la population de Ferguson, est, elle, restée à l’extérieur de l’église, sous un soleil de plomb.
L’Establishment retrouve vite ses esprits.
(*) La série noire continue :
Le 5 aout dernier, un Noir de 22 ans, père de deux enfants, était abattu dans un supermarché de l’Ohio par deux policiers appelés par un correspondant anonyme. Le jeune homme s’appuyait sur une carabine pour enfant qu’il avait prise au rayon des jouets et téléphonait, le dos tourné aux policiers quand ils lui ont tiré dessus (et qu’il n’avait, donc, sans doute pas vus ni entendus).