Appel à la mobilisation des philosophes et sociologues

Cette tribune est issue d’un courrier initialement destiné à la philosophe Barbara Stiegler et au sociologue, Laurent Mucchielli. Qu’ils soient très sincèrement remerciés pour leur écoute et leur attention.

En cette période troublée où il s’agit plus que jamais de faire société, je n’ai pas de mots, seulement des maux, pour décrire la déception immense qu’engendre l’inertie d’une majorité du corps enseignant et/ou universitaire et plus particulièrement du sous-corps des mathématiciens, garants pourtant du bon sens, de la rigueur, de la pondération ; de la logique aussi.

En d’autres temps, plus sombres encore, nous avons pourtant connu et admiré des mathématiciens engagés, combatifs (Poincaré, Grothendieck, Audin, Cartier...) qui ont su faire preuve de courage et défendre leurs convictions en dehors d’un cercle strictement confraternel. On pense notamment à l’intervention d’Henri Poincaré dans l’affaire Dreyfus à titre d’exemple.

Lavoisier avait tort finalement : tout se perd, rien ne se crée vraiment, mais tout au plus se transforme. Ou plutôt, se pervertit.

Nous avons décidément fait trop souvent et trop longtemps le choix confortable, mais pleutre, lâche, de briller par notre absence. Un silence qu’il est trop facile d’associer à de la sagesse ou de la prudence. Car c’est bel et bien l’indifférence qui nous guette.

Où étiez-vous Monsieur Villani, député de l’Essonne, médaille Fields 2010, lorsqu’il s’agissait de défendre nos droits fondamentaux en vous positionnant contre ce projet inique de passe vaccinal ? Vos concitoyens ont-ils moins de valeur à vos yeux que le destin, certes tragique, des poules en batterie ou l’avenir de la chasse à courre contre laquelle vous vous êtes fermement engagé ?

En tant qu’intellectuels, en tant que scientifiques, spécialistes des sciences dures et pourtant si humaines, on se devait de jouer un rôle majeur en dénonçant les manipulations honteuses dont nous sommes victimes depuis deux ans.

Celles, grossières, voire grotesques, des chiffres bien entendu, mais pas seulement.

Celles aussi, « rhétoriques » ou « sémantiques », à visée d’abrutissement des masses pour cause de sidération. On pense notamment au mot « pédagogie » alors que le peuple français n’est pas un peuple d’enfants ; à la confusion entre « cas » et « malades » et à la notion de « vaccin » pour qualifier une injection non immunisante (on commence d’ailleurs à amorcer prudemment une conversion : le vaccin ne serait plus un vaccin, mais plutôt un traitement pour essayer de rendre légitime son efficacité si éphémère).

Presque plus grave selon moi, nous entendons chaque jour différents ministres se relayer comme un seul homme, dont Jean-Michel Blanquer pour ne citer que lui, pour se féliciter d’avoir incité les jeunes (ou les moins jeunes) à se faire vacciner au travers de phrases « choc » : « Les élèves non vaccinés seront évincés », ou encore « Si vous aimez la liberté, vous aimez le vaccin ».

Comment ne pas penser à cette citation de Chomsky : « La propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’État totalitaire. »

Car il n’a jamais s’agit d’une quelconque incitation, mais bel et bien d’une extorsion de consentement dont il est indécent de se réjouir dans un état de droit.

Autant d’impropriétés qui sèment la confusion et font le lit de l’outrance. En 2022, on fait décidément l’éloge funèbre de la nuance et de la pondération.

Puisque l’indifférence des mathématiciens tout au long de cette crise hystérique, mais qui menace de devenir historique, m’accable, je me tourne bien volontiers vers vous, les philosophes, garants de la Cité, suite notamment à la dernière intervention d’Emmanuel Macron.

Parce que vous formez (je pense à Barbara Stiegler, Harold Bernat, René Chiche, Nathan Devers, François-Xavier Bellamy et certains sociologues comme Laurent Mucchielli), un noyau dur de vigilance, mettez, si vous le pouvez, si vous le souhaitez, votre talent d’écriture, votre notoriété aussi au service d’une population moins armée que vous, notamment pour atteindre les médias conventionnels, officiels.

Démasquez par les mots, une arme à la fois légitime, légale et pourtant redoutable, au travers d’une tribune commune par exemple, ce président prétendu philosophe, adepte du « qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse » cher à Musset. Il est désormais urgent de mettre fin à cette imposture.

Nous, citoyens lambda, sommes soûlés justement, ivres jusqu’à la nausée de ces sorties permanentes d’une violence inouïe, qu’il n’est plus possible de mettre sur le compte de la maladresse, ni même d’une arrogance mal contenue dont on finit par se demander si elle ne relève pas de la psychiatrie. Quant aux soi-disant références historiques (Pompidou), elles ne sauraient tout justifier. Avec cette phrase terrible : « un irresponsable n’est plus un citoyen », Emmanuel Macron a franchi une ligne devenue écarlate à force d’être rouge.

Il s’agit de le rappeler au sens de mots qu’il comprend décidément mal.

Pour que ce terrible quinquennat n’ait pas eu lieu en vain et pour donner du sens, de la texture à ce que nous avons dû endurer, ayez cette générosité dont il est incapable et donnez-lui s’il vous plaît, le premier cours de philosophie politique et morale de sa vie. Il en a grand besoin.

J’appelle de mes vœux que ce projet d’écriture commune fasse son chemin. Ce serait une réelle chance pour nous tous que nous soyons « quelque chose » ou « rien » ; citoyens responsables ou pas !

Il faut sauver les « gens » et pas seulement nos élèves et étudiants de cette addiction aux phrases brutales, aux slogans, aux raccourcis, aux interjections et leur donner à lire (et donc à penser) un texte construit et argumenté pour les convaincre que l’esprit critique, menacé d’extinction, est une chance. C’est un droit et un devoir.

Pourtant, cette réaction saine, consubstantielle à la démocratie, est désormais assimilée à du complotisme.

Il faut rappeler, défendre que la démarche de réflexion, fût-elle exigeante, est indispensable pour conserver une autonomie de pensée. Que l’on ne peut pas, que l’on ne doit pas se contenter d’un : « Macron, nous aussi on t’emmerde », car c’est ce qu’il attendait bien sûr. À savoir que les gueux prennent la parole dans le seul registre de langage qu’ils comprennent ou maîtrisent : la vulgarité, la trivialité.

À vous, et nous avec vous, de lui donner une vraie leçon de vie, qui soit tout sauf anonyme, car cet enfant capricieux a son talon d’Achille : un ego démesuré.

Je ne reviens pas sur les propos de Gabriel Attal qui ont suivi ceux du chef de l’État et dont l’ignominie m’a durablement choquée ; ce jeune homme de 33 ans est terrifiant d’indécence, d’arrogance. On dit que la valeur n’attend pas le nombre des années ; la brutalité, non plus.

Enfin, qu’Emmanuel Macron ait utilisé vendredi dernier les soignants comme bouclier, comme caution finalement pour justifier ses propos inqualifiables aurait dû créer une réaction forte dans ce corps de métier agonisant et depuis si longtemps malmené, maltraité « en même temps » que constamment instrumentalisé. Je l’appelle donc lui aussi à réagir d’une seule voix, celle du serment d’Hippocrate.

On retrouve là encore les stigmates un chef d’État immature, qui se cache à l’envi derrière les jupes des commerçants ou les blouses des infirmières. Il répète souvent aux Français : « Je ne peux rien contre vos complexes. »

Et bien, il se trompe. Il peut faire quelque chose : « partir », car c’est bien de lui et de son gouvernement dont nous avons légitimement honte.

« Sachons être suspect. C’est le signe aujourd’hui d’un esprit libre et indépendant, surtout en milieu intellectuel » disait Julien Freund.

Comme des millions de personnes, je compte donc sur vous et sur le poids des idées et des mots... Et si certains sénateurs ou députés devaient croiser la route de cette tribune, j’espère qu’elle les convaincra, au moins en partie, que nous sommes un peu plus qu’une frange capricieuse et illettrée de la population.

D’avance, merci.

Karen Brandin

Enseignante Docteur en théorie algébrique des nombres

« Le peuple a perdu la confiance du gouvernement. Ne serait-il pas plus simple alors de dissoudre le peuple et d’en élire un autre. » B. Brecht

ps : Je remercie chaleureusement Benoît Brandin, agrégé de philosophie, pour sa relecture attentive.

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

Copyright © Karen Brandin, Mondialisation.ca, 2022

10 janvier 2022

 https://www.mondialisation.ca/appel-a-la-mobilisation-des-philosophes-et-sociologues/5664020

COMMENTAIRES  

16/01/2022 19:57 par irae

 La propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’État totalitaire. »

Et quand comme l’actuel exécutif on cumule les 2, matraque et propagande c’est quoi ?

16/01/2022 20:24 par barbe

Il y a effectivement fort à faire, étant donné que la France est devenue un asile à ciel ouvert, si j’en crois les médias dominants.
Qu’on ne me parle de syndicaliste sans troupe. Il appartient aux responsables syndicaux de nous sortir de là. J’attends l’appel à une grève générale.
On ne peut demander à ceux qui nous ont mis dans ce merdier de nous en tirer. On peut tenir les listes et prier qu’une justice passe. Le délire et la propagande règnent en maître en France. La vérité a fui. On a retourné le cerveau aux gens qui croient en masse que l’injection sert à quelque chose, alors que les infectiologues rappellent que la virulence de tout virus diminue avec sa diffusion. J’ai croisé nombre de pauvres gens : il n’ont pas les moyens intellectuels de voir ce qui se passe, donc ils se couchent. Mais il est vrai que les consciences, qui pourraient nous éclairer et courir le risque de redoubler leur gloire, sont rares. Les philosophes qui, à ma connaissance, ont sauvé l’honneur : Giorgio Agamben, Comte-sponville, Massimo Cacciari. Je pense aussi à Marc Dugois.
D’autres, je le sais, oeuvrent devant les classes pour défaire les coups tordus.
Mais il n’est pas facile de remettre à l’endroit les idées et les regards. On fait ce qu’on a à faire, du mieux possible. On peut se rassurer en se disant que les philosophes, comme les gens du peuple, ont tout le temps.

17/01/2022 07:02 par robess73

Encore une belle faux cul cette Karen ! Se mobiliser... Pour qui ? Pour quel programme ? On ne le saura pas ! Par contre Barbara Stiegler s est engagée... Elle.

17/01/2022 11:56 par babelouest

« un irresponsable n’est plus un citoyen »

Le squatteur de l’Élysée actuel a-t-il perçu l’ironie de sa déclaration ? Tous les jours s’étale son irresponsabilité agressive et perverse. Cela implique bien entendu qu’il ne saurait être un citoyen, un vrai membre de la Cité. N’étant pas un citoyen, il ne saurait non plus, sauf incohérence grave, être président de la République. Pas même électeur.

Quant à notre amie @Barbe, elle nous rappelle une évidence.

« Qu’on ne me parle de syndicaliste sans troupe. »

Sauf qu’il y a une petite différence il me semble : les troupes sont là, mais les syndicalistes n’y sont guère. Ce sont eux qui se sont coupés de ceux que normalement ils devraient coordonner pour une meilleure efficacité. D’ailleurs désormais ils ne sont plus qualifiés que de "partenaires sociaux", en somme d’amis avec qui le Pouvoir échange poignées de mains et sourires, voire agapes. De ces échanges ne peut rien, absolument rien sortir. Ou même peut-être si : des reculs sociaux. Beau résultat ! Il est loin, Georges Marchais !

17/01/2022 14:26 par enkidou clayre

Un texte qui rend jaloux, l’écriture consise, le propos implacable, merci. A robess73 vous attendez qui pour agir. Vous croyez si peu en vous que vous vous devez d’assassiner cette personne, vous croyez si peu en vous que vous cherchez un sauveur ou une sauveuse, vous croyez si peu en vous que votre phrase se voulant assassine n’est que vulgaire. Cdt.

18/01/2022 08:19 par robess73

A enrikou. Juste 30 ans de luttes mais je ne suis pas la pour parler de ça. Je persiste et signe. Cette Karen s engage sans s engager comme beaucoup d autres personnalités qui craignent le pouvoir et pour leur carrière... L engagement c est maintenant et c est avec l union populaire....

23/01/2022 10:18 par alexis

Villani ne s’engage pas que pour les poules, il le fait aussi par ex pour Assange. Quant à Chomsky, ça serait bien de regarder ses positions sur la pandémie, les vaccins etc..., avant de l’utiliser, comme dans cette tribune, pour défendre à peu près le contraire de ce qu’il dit.

Heureusement, il y a d’autres philosophes que Stiegler en France pour parler de la pandémie (Thibaut Giraud par exemple) qui essaient aussi de contribuer à leur niveau, mais en partant de la sale réalité plutôt que de l’exégèse des âneries de Foucault comme fait Stiegler.

Avec sa phrase, Macron espérait la même chose que cette tribune : faire prendre clairement positon à ses opposants contre les mesures, le pass etc... Il pourra alors jouer l’élection là dessus : si vous ne me réélisez pas, vous aurez des dingos pour gérer la pandémie. Et ça semble fonctionner à bloc, Macron pourrait dire merci à LGS d’y contribuer à son niveau.

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