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Colombie-Venezuela

L’heure des bons et des mauvais choix

« Beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur »
Proverbe

Malaise au sein du processus bolivarien. En extradant l’opposant communiste Joaquin Pérez Becerra vers la Colombie, le président Hugo Chavez vient de fissurer l’unité révolutionnaire qui entourait le projet du socialisme du XXIème siècle au Venezuela. Les commentaires, plus que critiques, sur l’attitude du "comandante" ne se compte plus sur l’ensemble des sites d’informations alternatifs et autres blogs. Il en ressort un sentiment général de dégoût et de colère.

Le 30 avril, dans une intervention publique, le président vénézuélien s’est expliqué sur cet événement, assumant l’entière responsabilité de l’arrestation de Pérez Becerra et de son transfert à Bogota. « je suis le responsable d’avoir envoyé ce monsieur au gouvernement de Colombie, c’est moi qui ai donné l’ordre, car il était sollicité par Interpol. Maintenant, le gouvernement colombien devra assumer sa responsabilité » (1). Un discours se voulant explicatif sur les raisons d’un tel choix mais qui s’est avéré être en fait bien maladroit, voir amplement différent à ce qu’on pouvait attendre de la part du premier mandataire bolivarien : «  Est-ce ma faute si ce monsieur, sollicité par Interpol, avec un code rouge, décide, pour les raisons que ce soit, de venir au Venezuela ? (...) Est-ce ma faute ? Il arrive à Maiquetia, le président de Colombie m’appelle et me dit : "Monsieur le président, j’ai une information comme quoi arrive un homme recherché par Interpol" (...) La responsabilité n’est pas mienne, le premier responsable c’est ce monsieur qui vient ici sachant qu’il est recherché par Interpol par code rouge ! Que chacun assume sa responsabilité ! » se défend le président sous les applaudissements de son auditoire. (2)

D’habitude si prompt à voler dans les plumes du gouvernement colombien voilà que Chavez s’attaque ici au plus faible. Là , le coupable c’est cet homme, réfugié politique de nationalité suédoise, survivant d’un massacre d’état envers un parti politique (l’Union Patriotique) qui, par son déplacement, se rendrait coupable de son extradition à Bogota. Le président en arriva même à le comparer à Chavez Abarca, terroriste anti-castriste, arrêté et extradé à Cuba par le Venezuela (3). Une confusion des genres qui traduit la faiblesse d’un argumentaire bien peu convaincant dans cette affaire.

« Qui l’a invité ici ? Qui lui a tendu un piège ? car on lui a tendu un piège à ce monsieur » reconnut tout de même le président ; « Ils ont voulu nous refiler la patate chaude. Donc, si je l’attrape je suis le méchant, et si je ne l’attrape pas je suis aussi le méchant. J’ai accompli ma responsabilité et nous l’avons capturé » (4). Cette phrase résume bien le fond du problème. Confrontée à ce dilemme là , la gauche était en mesure d’attendre que le dirigeant révolutionnaire choisisse l’éthique plutôt que la loi internationale. Car ce qu’oublie de dire Chavez, c’est que dans un cas ou l’autre ce n’est pas aux yeux des mêmes personnes qu’il serait perçu comme le "méchant". « Je crois que le titre de méchant, selon qui me l’applique je saurais qu’est-ce que je suis » rappelait Ingrid Storgen dans un article en réponse à l’intervention de Chavez au titre accusateur : "De l’erreur à l’horreur il n’y a qu’un pas" (5). Par sa décision de livrer Pérez Becerra, Chavez a choisi à qui il préférait ne pas déplaire.

A tout cela s’ajoute les attaques à l’encontre des personnes opposées à l’extradition de Pérez Becerra, qualifiées de gauchistes favorisant le jeu de l’extrême droite. « Personne ne va venir me faire chanter, personne, ni de l’extrême droite, ni de l’extrême gauche, ni personne ! Et je vais vous dire, plusieurs de ceux qui brûlaient Nicolas (en fait un mannequin à l’effigie de Nicolas Maduro, ministre des relations extérieures), quand j’étais prisonnier, soutenaient Caldera ! (6) Plusieurs de ceux qui parlaient là de marxisme-léninisme et je ne sais quoi, se voulant plus pape que le Pape (...) Ceux qui veulent maintenant me brûler, m’appeler contre-révolutionnaire, traître à la cause marxiste-léniniste mondiale et bien très bien, moi je continue là , à travailler avec le peuple vénézuélien (...) réalisant une véritable révolution socialiste ! » (7). Il n’est pas difficile ici de voir une réponse au Parti Communiste du Venezuela qui s’est rapidement mobilisé contre l’extradition de l’opposant colombien qualifiant « d’illégale » cette décision (8). Faisant bloc derrière son chef, le PSUV (Parti socialiste unifié de Venezuela) a déclaré être en accord avec le choix du président de livrer Becerra aux autorités colombiennes accusant les contestataires de servir les « intérêts de la droite » (9). En confrontation ouverte avec les communistes, le député socialiste Roy Daza a affirmé, lors d’un entretien radiophonique, que « le PCV doit une explication de sa position tant au PSUV qu’au pays, que faisait cet homme ici ? Tentait-il de ruiner des relations qui ont tant coûté à renouer avec la Colombie ? (...) c’est une position opportuniste, je ne crois pas que le PCV ait perdu la confiance dans le gouvernement, je crois qu’il ne l’a jamais eu » (10). Un refroidissement des relations entre les deux partis qui survient au moment où émerge l’idée de la création d’un pôle patriotique regroupant tous les partisans de la révolution bolivarienne, auquel le PCV avait récemment apporté son soutien. (11)

Avec l’extradition du réfugié colombien par les autorités vénézuéliennes, Juan Manuel Santos « vient de marquer un point » relevait la correspondante Marie Delcas dans le journal Le Monde (12). Avec la division qui semble se dessiner au sein du processus bolivarien c’est un deuxième point qui s’affiche au compteur du gouvernement colombien.

Le "piège" tendu à Chavez bien plus qu’à Becerra semble avoir réussi. Malgré la mise en place d’avancées sociales (comme l’augmentation de 25% du salaire national (13)) une partie de la gauche latino-américaine (et mondiale) a ressenti cette affaire comme une "erreur" de la part du dirigeant révolutionnaire ou une "traitrise" dans le pire des cas. Aujourd’hui entre les mains de l’état colombien, Joaquin Pérez Becerra a été sacrifié, victime de la raison d’état, au détriment de la morale révolutionnaire. Une donnée pourtant loin d’être anodine pour celui qui veut s’assurer un soutien populaire plutôt que d’avoir bonne presse auprès des puissants.

Le gouvernement colombien continue lui d’afficher sa nature clairement répressive envers les mouvements sociaux, notamment lors des manifestation du 1er mai, s’attaquant brutalement aux manifestants dans la capitale (14) et allant jusqu’à blesser le conseiller municipal communiste Jaime Caicedo (15). Le rapprochement avec un état de ce genre là est-il donc si nécessaire ? Cela vaut-il une rupture au sein du mouvement bolivarien ? Cela vaut-il la vie d’un homme, vraiment ?

Loïc Ramirez

(1) http://www.pcv-venezuela.org/index.php/nacional/8333-video-presidente-...

(2) (3) (4) Ibid.

(5) http://www.kaosenlared.net/noticia/del-error-horror-hay-solo-paso

(6) Référence au coup d’état avorté de 1992 pendant lequel Rafael Caldera était le président du Venezuela.

(7) http://www.pcv-venezuela.org/index.php/nacional/8333-video-presidente-...

(8) http://internacional.eluniversal.com/2011/05/03/pcv-seala-que-detencio...

(9) http://www.rnv.gov.ve/noticias/?act=ST&f=2&t=155517

(10) http://www.unionradio.net/actualidadur/nota/visornota.aspx?id=74153&am...

(11) http://www.el-nacional.com/www/site/p_contenido.php?q=nodo/203904/Ciudad/PCV-señala-que-Polo-Patriótico-debe-ser-útil-para-mejorar-la-revolución

(12) Journal Le Monde, jeudi 28 avril 2011

(13) http://socio13.wordpress.com/2011/05/01/venezuela-augmentation-de-25-d...

(14) http://www.telesurtv.net/secciones/noticias/92262-NN/represion-policia...

(15) http://ciudaddemocratica.com/node/106


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