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Les amants passagers : atterrissage raté pour Almodovar.

Après plusieurs années d’errances mélodramatiques, à la recherche d’un nouveau souffle, Almodovar revient à la comédie, avec un nouvel épisode de la série américaine Pan Am, version cage aux folles : l’action se centre sur deux pilotes bisexuels et surtout un trio de stewards homosexuels. Almodovar poursuit ainsi une trajectoire marquée par l’évitement des réalités socio-politiques et un réductionnisme sexuel qui, dans les années 70, pouvait sembler audacieux, mais qui, aujourd’hui, n’est plus qu’infantile voire inquiétant.

L’avion des Amants passagers, avec ses problèmes techniques qui menacent de le conduire au crash, aurait pu symboliser l’Europe actuelle, enlisée dans une crise économique, morale et intellectuelle et, plus précisément, les scandales politico-financiers qui ont discrédité le gouvernement Rajoy et provoquent, dans la presse, de multiples appels à la démission.

Certes, Almodovar glisse dans son film quelques allusions à l’actualité : une directrice de bordel sado-maso raconte qu’elle a pour client le numéro un de l’Espagne ("Le Président du Conseil ? Non, plus haut !") ; la séquence finale a été tournée dans l’aéroport-fantôme de Castello, un des cas les plus scandaleux de corruption politico- financière (cela n’évoque-t-il pas une certaine Notre Dame des Landes ?) ; mais Almodovar l’appelle "l’aéroport de la Manche", et ne l’a choisi que pour ses commodités de tournage ; l’un des passagers est un banquier poursuivi par la Justice, qui essaie de se réfugier à Mexico. Mais, alors que le gouvernement de Madrid, et au premier chef Rajoy, est tous les jours mis en cause dans le cadre de l’affaire Barcenas (ancien trésorier du PP qui distribuait des enveloppes en provenance de dirigeants d’entreprise), Almodovar a choisi de lui donner un nom catalan, Mas, et, qui plus est, celui du Président de la Généralité catalane (Artur Mas). Il semble ainsi se joindre à la guerre sale déclenchée par Madrid depuis les élections autonomiques de novembre dernier, sur lesquelles il avait pesé en diffusant un "brouillon policier" accusant de corruption CIU, le parti d’A. Mas (le Ministre de l’Intérieur vient de déclarer, quatre mois après, qu’il n’en connaissait pas l’origine !).

Il faut rappeler qu’Almodovar, qui ne s’est jamais engagé (pas même contre la guerre contre l’Irak, contrairement à la plupart des cinéastes espagnols, et alors que la manifestation contre la guerre, en février 2003, réunissait un million de personnes à Barcelone, comme à Madrid), est intervenu récemment contre le projet d’indépendance de la Catalogne, au moment où des responsables de haut grade suggéraient une opération militaire contre la Catalogne (comme en 1936). Almodovar se rallie ainsi sans problème au modèle franquiste de l’Espagne "une, grande et libre".

De fait, dans ses films, l’audace ne va jamais au-delà du domaine sexuel. Il est parfaitement indifférent aux problèmes sociaux et, même, totalement étranger au monde du travail. C’est flagrant dans le plaisir fétichiste avec lequel il singe les gestes du travail, tout en les dépouillant de toute valeur morale ou sociale : ainsi, dans les premières images de Volver, Penelope Cruz apparaît en femme de ménage fourbue ; mais, une fois son numéro d’aspirateur effectué, elle change de condition sociale et, s’improvisant restauratrice, donne une image hallucinante du statut d’auto-entrepreneur. Dans Les Amants..., elle conduit un véhicule de transport de bagages de l’aéroport, tandis que son compagnon (Antonio Banderas) s’occupe du train d’atterrissage de l’avion ; mais, excités par la nouvelle d’une grossesse, les deux techniciens de luxe en oublient leur travail, ce qui expliquera la situation de catastrophe : les personnages d’Almodovar n’ont jamais que des problèmes personnels, toute déontologie professionnelle leur est étrangère (on l’a bien vu dans La Peau que j’habite). De même, les consignes de sécurité avant le décollage, mimées par un des stewards, deviennent un numéro de travesti.

On se demande ce que les syndicats de personnel navigant peuvent penser de l’image du métier de steward donnée par le film : les trois grandes folles de l’avion se déclarent prêtes à rendre le vol plus agréable en régalant les passagers d’un récital de chansons, dont ils nous donnent d’ailleurs un échantillon atterrant de ringardise (Javier Camara, désopilant en travesti dans La Mauvaise Education, n’est plus ici que l’ombre de lui-même : les ficelles almodovariennes s’usent).

De fait, du contexte socio-historique, Almodovar ne retient que l’air du temps, des trucs pour avoir l’air dans le coup : ainsi, le premier passager qui apparaît à l’image lit 2666, un roman de Roberto Bolaño, écrivain mexicano-chilien qui, dix ans après sa mort, est au centre de l’actualité littéraire en Espagne. Mais la seule chose qui intéresse vraiment les personnages (et le réalisateur) c’est de savoir qui suce qui. Le film est fait d’un patchwork de scènes érotico-sentimentales où les personnages exposent leurs peines de "coeur" et leurs fantasmes, et de plaisanteries érotico-scatologiques, tel le gag de "l’eau de Valence", cocktail qui joue le rôle de la sangria dans les Femmes au bord de la crise de nerfs, et qui a pour ingrédient vedette des comprimés de mescaline qu’un bel éphèbe charnu avait cachés sur, ou plutôt dans, sa personne, ce qui donne lieu à des plaisanteries peut-être appréciées par la communauté gay.

Mais Almodovar a beaucoup de mal à gonfler ces sketchs laborieux au format d’un film de 90 minutes et, surtout, à les lier entre eux : le caractère poussif des enchaînements, la paresse du scénario, qui relève plus du sit-com que du cinéma proprement dit, font des Amants... un produit insipide et même sinistre. Cette dernière impression naît aussi du dispositif général et des associations d’idées qu’il suscite . Les personnages du film sont divisés en trois groupes : le personnel technique (pilotes et stewards), les quatre passagers de la classe affaires (deux hommes, deux femmes), et les clients de la classe touristes. Almodovar montre ici un mépris habituel pour ses semblables, déguisé en humour second degré, et un mépris de classe : le pilote a décidé de faire servir aux passagers de la 2ème classe une boisson somnifère (pour éviter toute panique due aux problèmes techniques) ; aussi passent-ils tout le film dans un état comateux. Seuls agissent les passagers de la 1ère classe (et le bel éphèbe qui va se réveiller) : parmi eux, une voyante décidée à perdre une trop durable virginité pendant le vol, et qui va profiter du sommeil de l’éphèbe de la classe touristes (comme, dans Parle avec elle, l’infirmier attentionné violait "tendrement" sa belle comateuse).

Est-il alors excessif de penser au dispositif de Salo, le film de Pasolini (et des 120 Journées de Sodome de Sade), quatre libertins, servis par un groupe de miliciens et d’"historiennes" (narratrices), enfermés avec un cheptel de jeunes gens et jeunes filles livrés à leurs caprices sexuels ? Autre analogie, la directrice de bordel réunit les rôles de libertine et d’"historienne", racontant, sous les yeux émerveillés des stewards, des anecdotes professionnelles qui élèvent la température érotique de la classe affaires. Et, face à la catastrophe qui se rapproche, Almodovar n’imagine rien de mieux qu’une orgie d’alcool et de sexe.

Ses obsessions sexuelles ne sont donc pas seulement fastidieuses : elles sortent d’un fond imaginaire inquiétant, qui se manifeste de façon récurrente par le viol et les abus de toute sorte sur personne inconsciente ou vulnérable, et ne parviennent jamais à se connecter avec la société réelle et ses problèmes. Almodovar n’est jamais sorti des insouciantes années 70 : il n’est pas à la hauteur des tragiques années 2000. Pour prendre conscience de ce que peut être une fantaisie vraiment déjantée, et en même temps citoyenne, il suffit de penser à Dario Fo : au moment où Les Amants... sortaient à Barcelone, on y jouait Si on ne nous paie pas, on ne paie pas, la nouvelle version, remaniée par Dario Fo en 2007, de Faut pas payer (écrite en 1974) : face au brigandage politico-financier, elle préconise, à travers des gags d’un grotesque revigorant, la désobéissance civile et la rébellion. Et, pour adapter la forme au fond, on y pratique la "billetterie inversée" : le spectateur paie, non à l’entrée, mais à la sortie, en fonction de sa satisfaction et de ses moyens financiers.

Rosa Llorens

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