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Le cinéma sud-américain, entre Hollywood et la tradition humaniste.

Parmi les films sud-américains qu’on peut voir en ce moment, No, du Chilien Pablo Larrain, et La Demora, de l’Uruguayen Rodrigo Pla, illustrent ces deux directions ; tout les oppose : l’un est superficiel et boursouflé, l’autre tout en retenue et intériorité ; l’un a la faveur des critiques (4 pages dans Les Cahiers du Cinéma) et est généreusement distribué, l’autre a vite été relégué aux horaires chiches des salles à programmation multiple (mais on peut encore voir La Demora le jeudi, à 12h au Nouveau Latina, à 11h40 au Reflet Médicis).

No est bien un film hollywoodien, comme la présence de Gael Garcia Bernal dans le rôle principal pouvait le faire soupçonner : il cabotine toujours autant, pour aboutir à des expressions aussi vides que celles de Ben Affleck dans Argo. Il traîne avec lui, pendant tout le film, on se demande bien pourquoi, un fils de 8 à 9 ans, qui serait mieux à l’école et qui a l’air de s’ennuyer prodigieusement (il n’est pas le seul). Mais il y a une séquence carrément grotesque où, pour symboliser sa réussite, il roule au milieu de la route, sur une planche à roulettes, avec des airs de conquistador, l’oeil rivé sur la ligne bleue des Vosges, pardon, des Andes.

Les Cahiers du Cinéma analysent minutieusement le parti pris artistique de l’auteur : pour ne pas créer de rupture avec les images d’actualité (1/3 du film), il a décidé d’utiliser une caméra des années 80, choisie pour son mauvais rendu des couleurs (en effet, c’est réussi) et de ce choix technique, le spectateur est invité à conclure à l’honnêteté du regard qu’il pose sur un épisode oublié de la récente histoire du Chili : en 1988, Pinochet, après 15 ans de dictature, et une fois tout le sale boulot effectué (l’extermination d’une génération d’intellectuels, militants politiques et syndicalistes), est invité par ses tuteurs (les Etats-Unis) à organiser un plébiscite sur sa continuité au pouvoir. La "gauche" (les partis du centre libéral) ne voulant pas laisser échapper cette occasion de s’exprimer, se lance dans la campagne pour le No.

Les C du Cinéma louent Larrain de ne pas prendre parti et de ne pas inciter le spectateur à s’identifier au héros, le publicitaire René Saavedra (Garcia Bernal) à qui les responsables des partis de "gauche" confient l’organisation des spots télévisés. En fait, on est un peu perdu : on doit se contenter de compter les points, comme dans un match de tennis, à mesure qu’on nous montre ces spots, et les deux équipes de campagne visionnant les spots des uns et des autres, - sans toujours savoir à qui les attribuer. Car le seul critère, pour les départager est : quels spots sont les plus attrayants ? Au début, en effet, les deux équipes avaient prévu des spots sérieux, faisant l’éloge du bilan de Pinochet, ou dénonçant ses crimes ; mais René impose sa conception : les Chiliens aspirent au bonheur et à l’insouciance, il faut donc positiver. Il va concevoir son travail sur le modèle des campagnes de pub qu’il réalise pour divers produits,( par exemple une boisson appelée Free), et fait tout reposer sur le slogan : "Chili, la joie arrive !". Et les spots se succèdent, plus ineptes les uns que les autres (jeunes filles chantant en faisant de la gym-tonic, beau garçon dansant sur un pont...), après quoi un René ému et ravi se félicite du succès de ses créations (et le film se traîne ainsi pendant 1h57).

Le cinéaste aurait pu prendre le parti de l’ironie (comme dans le Barry Lyndon de Kubrick) et prendre ses distances avec cette campagne de décervelage qui annule tout débat politique ; certes, il glisse dans quelques scènes des personnages critiques, ou des remarques instructives (on apprend que la CIA patronne la campagne du Non), mais on ne peut pas distinguer dans le film la moindre analyse politique, et on ne peut pas faire autre chose que de se rallier au Non, même quand on voit le leader de la "gauche", Patricio Aylwin, recevoir sa nouvelle écharpe présidentielle des mains d’un Pinochet souriant et en grande tenue.

Car rien ne viendra nous rappeler que ce Patricio Aylwin était déjà le chef de la démocratie chrétienne quand, en 1970, Salvador Allende (dont il n’est pas question dans le film) arrive en tête aux élections, quoique sans majorité nette. Et si Aylwin préconise de confier le gouvernement à Allende, c’est en le ligotant légalement et en organisant les conditions de son échec (interdiction de nationaliser les mines de cuivre, et liberté totale de la presse, qui pourra le harceler et préparer le coup d’Etat, comme elle l’a fait au Venezuela pendant les mandats de Hugo Chavez). Son gouvernement ne changera donc rien à la politique économique libérale suivie par Pinochet (et encore en vigueur aujourd’hui). Mais, au milieu des anecdotes de campagne, la réalité sociale est complètement oubliée et le peuple chilien réduit à l’équipe de René (là encore on pourrait suggérer un parallèle avec Argo et son groupe de courageux Américains qui fait totalement oublier le sort du peuple iranien).

Au contraire, dans La Demora (Le Retard), on ne voit que le peuple, dans sa vie et ses difficultés quotidiennes : Maria doit faire vivre de son travail d’ouvrière à domicile et à la tâche (elle coud des poches de jeans), et dans un petit appartement, ses trois enfants et son vieux père, Agustin, qui perd la mémoire. Quand les services sociaux lui déclarent qu’elle gagne encore trop pour faire accepter son père dans une maison de retraite publique, elle cède à une mauvaise tentation : elle abandonne Agustin dans un quartier éloigné, sur un banc, au bas d’un grand ensemble.

Le film pourrait aller dans la même direction qu’Amour, ou tant d’autres films qui prêchent pour la destruction de la famille ( dans Perfect Mothers, deux amies mères incestueuses par procuration prennent chacune pour amant le fils de l’autre : jusqu’à quelles aberrations ira cette propagande !). Mais Rodrigo Pla, lui, n’a pas pour but de justifier ou d’appeler à la haine envers les vieux parents, et d’établir l’impossibilité de les assumer (la seule solution étant alors le meurtre ou l’euthanasie).

Au contraire, La Demora est un film humaniste et un plaidoyer pour la vie et l’amour, qui rejoint, a-t-on écrit, une fable universelle ; en effet, dans La Housse partie, un conte du Moyen-Age, un homme, ne pouvant plus gagner la vie de sa famille, s’apprête à jeter à la rue son vieux père, en lui donnant pour tout viatique une couverture ; mais son fils la coupe en deux, et, devant les reproches de son père, l’enfant explique son geste : "L’autre moitié sera pour toi, quand je te chasserai à ton tour."

Ici aussi, les enfants de Maria s’étonnent de la voir rentrer sans leur grand-père, et la fille aînée lui fait comprendre qu’elle soupçonne la vérité. Alors, Maria, prise de remords, part à la recherche de son père, d’un hôpital ou d’un centre pour indigents à l’autre. C’est alors que le film prend toute son intensité et, bien que l’actrice (Roxana Blanco, parfaite dans sa sobriété), ait reçu un prix d’interprétation, c’est sur Agustin (Carlos Villarino, qui n’est pas un acteur professionnel) que va se centrer l’intérêt.

En effet, à toutes les propositions d’aide (nous ne sommes pas ici dans un appartement bourgeois, qui favorise l’égoïsme et la solitude, comme dans Amour, mais dans un quartier populaire, où on s’entraide), Agustin répond : "J’attends ma fille." Il va l’attendre toute la journée et jusqu’au coeur de la nuit, sans oser s’éloigner de son banc (même si, au cours de cette nuit de déréliction, il semble que, tel le Christ au Jardin des Oliviers, il connaisse un instant de doute, pendant lequel on croit voir passer dans son regard le : "Seigneur, seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ?"). Près de là , un veilleur de nuit dans sa guérite écoute à la radio la retransmission d’un meeting évangélique (ce qui nous rappelle l’influence croissante des sectes évangéliques en Amérique du Sud depuis que Jean-Paul II a déclaré la guerre à la Théologie de la Libération) ; un témoin raconte qu’il a vu la Vierge Marie et quels grands bienfaits elle lui a accordés. C’est alors qu’arrive la Marie humaine - elle a fini par avoir l’idée de revenir au banc où elle avait abandonné son père ; et, dans une scène presque mystique, Agustin l’accueille par ces mots, débordants d’amour et de foi dans l’amour de sa fille : "Comme tu as été longue ! Cuanto te demoraste !".

Ces vieux qu’on voudrait euthanasier pour soulager la Sécu (et continuer à réduire les cotisations des riches et des patrons) apparaissent donc dans ce film, non comme des déchets (même si Maria a été bien près de réduire son père à cet état : quand elle le retrouve, endormi par terre, il ressemble à un paquet de chiffons), mais comme des êtres qui, même si leurs facultés intellectuelles ont diminué, ont gardé l’essentiel de leur humanité : la capacité d’amour et la foi dans l’amour de leurs proches. Rodrigo Pla avait donné avec La Zona un premier chef-d’oeuvre : ce film violent et haletant montrait comment l’obsession sécuritaire déshumanisait les habitants d’une résidence pour riches qui y organisaient un véritable régime fasciste. Beaucoup plus intimiste, La Demora est un autre chef-d’oeuvre, moins noir mais peut-être encore plus poignant.

Rosa Llorens

URL de cet article 20027
  

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