RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Aux Etats-Unis, une cybersurveillance digne d’un Etat policier

Il n’y a jamais eu, à mes yeux, dans l’histoire américaine, de fuite plus importante que la divulgation par Edward Snowden des programmes secrets de l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA). L’alerte qu’il a lancée permet de prendre la mesure d’un pan entier de ce qui se ramène à un "coup d’Etat de l’exécutif" contre la Constitution américaine.

Depuis le 11-Septembre, le Bill of Rights, cette Déclaration des droits pour laquelle cette nation combattit il y a plus de deux cents ans, a été l’objet, dans un premier temps secrètement, ensuite de plus en plus ouvertement, d’une révocation de fait. Les quatrième et cinquième amendements de la Constitution, qui protégeaient les citoyens d’une intrusion injustifiée du gouvernement dans leurs vies privées, ont été pratiquement suspendus.

Le gouvernement affirme qu’il peut se prévaloir d’un mandat de justice en vertu du FISA, du Foreign Intelligence Surveillance Act (loi de 1978 portant sur les procédures de surveillance physique et électronique et l’activité de renseignement à l’étranger). Mais ce mandat est d’une si grande portée qu’il est inconstitutionnel. Il est de plus délivré par une juridiction secrète, à l’abri de toute supervision efficace, et qui fait preuve d’une déférence presque totale face aux demandes de l’exécutif.

Affirmer, comme le fait le président, qu’il y a eu une supervision juridique n’a pas de sens. Le fait que les dirigeants du Congrès aient été informés sur cette question et aient approuvé tout cela, sans aucun débat public ni auditions, montre l’état misérable, dans ce pays, du système des contre-pouvoirs.

A l’évidence, les Etats-Unis ne sont pas aujourd’hui un Etat policier. Mais, au regard de l’ampleur de cette invasion de la sphère privée, nous avons là l’infrastructure électronique et législative d’un tel Etat. Si une guerre devait éclater et conduire à l’apparition d’un mouvement pacifiste de très grande ampleur ou si nous devions être la cible d’une nouvelle attaque d’une gravité similaire à celle du 11-Septembre, je ne donne pas cher de l’avenir de notre démocratie. Ces pouvoirs sont extrêmement dangereux.

Il existe de nombreuses raisons justifiant légitimement le secret, en particulier pour tout ce qui relève de l’écoute des communications transitant par les ondes. C’est pourquoi Bradley Manning, l’auteur des fuites révélées par WikiLeaks, et moi-même – qui avions accès à de telles sources de renseignement parce que nous étions accrédités pour un niveau plus élevé encore que celui du top secret – avions choisi de ne divulguer aucune information ainsi classifiée. Et c’est pourquoi Edward Snowden s’est engagé à ne pas divulguer la plus grande partie de ce qu’il aurait pu révéler.

Mais, ce qui n’est pas légitime, c’est d’utiliser un système axé sur le secret pour dissimuler des programmes qui, de façon flagrante, sont anticonstitutionnels par leur ampleur et par les potentialités d’abus qu’ils recèlent. Ni le président ni le Congrès ne pourraient à eux seuls tirer un trait sur le quatrième amendement, portant sur le droit des citoyens d’être garantis dans leurs personne, domicile, papiers et effets, contre les perquisitions et saisies non motivées. C’est pourquoi ce qu’Edward Snowden a révélé jusqu’ici était tenu au secret, dissimulé au peuple américain.

En 1975, le sénateur Frank Church parla de l’Agence de sécurité américaine en ces termes : "Je sais qu’il y a là tout ce qu’il faut pour faire de l’Amérique une tyrannie accomplie, et nous devons veiller à ce que cette agence et toutes les agences qui disposent de cette technologie opèrent dans le cadre de la loi, et sous une supervision appropriée, de sorte que nous ne sombrions jamais dans ces ténèbres. Ce sont des ténèbres d’où l’on ne revient pas."

La perspective funeste qu’il discernait était que la force de frappe grandissante des renseignements américains – qui est aujourd’hui incomparablement plus puissante que tout ce qui existait à leur époque prénumérique – "puisse à tout moment être retournée contre le peuple américain, et qu’aucun Américain ne sache plus ce qu’est la vie privée".

Cela est désormais arrivé. C’est ce qu’Edward Snowden a démontré, documents officiels secrets à l’appui. La NSA, la police fédérale (FBI) et l’Agence centrale de renseignement (CIA) disposent, avec la nouvelle technologie digitale, de pouvoirs de surveillance sur nos propres citoyens dont la Stasi (la police secrète de la disparue République démocratique allemande) n’aurait guère pu rêver. Edward Snowden révèle que ladite communauté du renseignement est devenue the United Stasi of America.

Nous nous retrouvons donc plongés dans les ténèbres que craignait tant le sénateur Church. Il nous faut désormais nous demander si ce dernier eut raison ou tort de dire qu’il s’agit de ténèbres d’où l’on ne revient pas, et si cela signifie qu’une démocratie effective deviendra impossible.

Il y a peu, j’aurais trouvé difficile de rétorquer quoi que ce soit à des réponses pessimistes à ces questions. Mais devant la manière qu’a Edward Snowden de mettre sa vie en jeu pour que ces informations soient connues de tous, et parce qu’il pourrait de cette façon inciter très possiblement d’autres personnes ayant le même savoir, la même conscience, et le même patriotisme, à faire preuve d’un courage civique comparable – dans l’opinion publique, au Congrès et au sein de l’exécutif lui-même –, je vois une possibilité inespérée de traverser ces ténèbres et d’en réchapper.

Une pression exercée sur le Congrès par une opinion informée afin que soit créée une commission d’enquête parlementaire au sujet des révélations d’Edward Snowden et, je l’espère, d’autres restant à venir, pourrait nous conduire à placer la NSA et les autres agences de renseignement sous un véritable contrôle, et pourrait nous amener à restaurer les protections de la Déclaration des droits.

Edward Snowden a agi comme il l’a fait, parce qu’il a reconnu les programmes de surveillance de la NSA pour ce qu’ils sont : une activité dangereuse et anticonstitutionnelle. Cette invasion massive de la sphère privée des Américains et des citoyens étrangers ne contribue en rien à notre sécurité. Elle met en danger les libertés mêmes que nous tentons de protéger.

Daniel Ellsberg
(Ancien haut fonctionnaire américain)

Traduit de l’anglais par Frédéric Joly

Daniel Ellsberg est à l’origine de la fuite, en 1971, des Pentagon Papers, qui révélèrent la duplicité des autorités américaines lors de la guerre du Vietnam.

Edward Snowden, ex-agent de la CIA et ex-consultant de l’Agence de sécurité nationale (NSA) américaine, s’est réfugié à Hongkong le 20 mai. Inculpé d’espionnage aux Etats-Unis, il est arrivé dimanche 23 juin à Moscou, il serait "en route pour la République d’Equateur par un chemin sûr, afin d’obtenir l’asile", selon le site WikiLeaks de Julian Assange.

»» http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/06/25/aux-etats-unis-une-cybe...
URL de cet article 21182
  

Chroniques bolivariennes : Un voyage dans la révolution vénézuelienne
Daniel Hérard, Cécile Raimbeau
Après la mort d’Hugo Chávez, que reste-t-il de la révolution vénézuélienne, de ce « socialisme du XXIe siècle » ? Ses obsèques grandioses, pleurées par des foules pendant plusieurs jours et honorées par de nombreux chefs d’État, ont contrasté avec les critiques virulentes dont il avait fait l’objet dans les médias occidentaux. Cécile Raimbeau et Daniel Hérard nous entraînent au cœur de cette révolution pacifique, à la rencontre de la base, des supporters de Chávez. Ils les écoutent et les photographient, en (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"J’ai déjà parlé des tueries aux points de contrôle. Dans un incident, après qu’une voiture ait été criblé de balles et examinée, selon ces rapports militaires américains internes, l’homme tué était un médecin qui emmenait une femme enceinte à l’hôpital."

Julian Assange - Wikileaks
interviewé sur Democracy Now, donnant un exemple des crimes commis en Irak et révélés par Wikileaks

Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.