Un observateur particulièrement concerné, et qualifié pour s’exprimer, même si ‘diabolisé’ chez nous par la volonté de sœur Caroline F et de quelques autres, est Tarik Ramadan.
Peut être est il utile de considérer son propos , celui de 2012, puis celui de 2013, qui semble bien confirmer la gigantesque manipulation de l’armée, elle-même sous influence extérieure non dissimulable. On observe aussi le jugement sans complaisance aucune porté sur le régime élu en 2012, et les inquiétudes pour l’avenir…
29 6 2012 Les élections législatives et présidentielle égyptiennes n’ont servi à rien- Par Tariq Ramadan, professeur d’études islamiques contemporaines au St Antony’s College, Oxford
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/29/les-elections-legislatives-et-presidentielle-egyptiennes-n-ont-servi-a-rien_1727007_3232.html
La confusion règne en Egypte. La mobilisation populaire, qui avait été lancée le 25 janvier 2011, avait permis de déloger le président Hosni Moubarak et d’ébranler son régime dictatorial. L’optimisme était partout présent : le "printemps arabe" voyait le jour, la "révolution" était en marche, le peuple avait eu raison du dictateur et entamait sa marche vers la liberté. Les voix plus prudentes, appelant à analyser les données de l’équation politique nationale et régionale, étaient critiquées, disqualifiées d’office, parce que colonisées par un pessimisme dangereux ou complices des intérêts inavoués de l’Occident…//… La situation en Egypte nous impose de dépasser l’optimisme émotif des premiers mois pour revenir à une étude plus raisonnée et raisonnable des faits et des enjeux. Depuis le début du soulèvement populaire, force est de constater que la seule institution qui n’ait jamais vraiment perdu le contrôle de la situation est bien l’armée. Après quelques hésitations, la hiérarchie a d’abord décidé de ne pas intervenir (suivant l’exemple tunisien) et de laisser le peuple protester jusqu’à la chute du dictateur. Le Conseil supérieur des forces armées a ensuite accompagné, voire piloté, chacune des étapes de la refondation des institutions : les élections parlementaires, la commission chargée de l’écriture de la nouvelle Constitution, l’officialisation des partis politiques et de leur candidat à l’élection présidentielle, le procès de l’ex- président, etc. Jamais l’armée n’a perdu le contrôle des opérations et, à chaque étape, elle a imposé aux représentants de la société civile et aux partis politiques de composer avec elle. Les divers candidats, les Frères musulmans comme les salafistes, ont dialogué, rassuré et déterminé les termes d’un accord possible avec l’institution militaire. Il faut rappeler que celle-ci ne représente pas seulement la "force armée" en Egypte mais un pouvoir financier qui a de puissants intérêts dans de nombreux secteurs de l’économie égyptienne…//… Par ailleurs, il faut rappeler les intérêts très forts qui lient l’administration américaine et l’Union européenne à la hiérarchie militaire égyptienne depuis des décennies. La situation en Egypte est très inquiétante, comme elle l’est d’ailleurs en Syrie, en Libye, au Yémen, à Bahreïn et, dans une moindre mesure, en Tunisie (il se pourrait d’ailleurs que les relatives avancées en Tunisie soient un écran quant aux échecs de tous les autres pays).Où est donc passé le "printemps arabe" ? La seule vraie révolution qui se soit concrétisée est une "révolution intellectuelle" : les peuples ont pris conscience qu’ils pouvaient devenir maîtres de leur destin et, dans un esprit non violent, renverser les dictateurs. Ce n’est pas rien et c’est la condition des révolutions sociales et politiques que nous appelons de nos voeux…//… Si l’énergie des soulèvements veut se transformer en force révolutionnaire, il faut que les voix que l’on entend sur la place Tahrir disent désormais davantage que leur espérance de la fin du régime mais déterminent plus lucidement et plus clairement les priorités nationales et régionales de leur résistance. La mobilisation populaire est nécessaire, alors que le projet révolutionnaire reste encore à établir et à faire.
9 7 2013 Egypte : Coup d’Etat, Acte II tariqramadan
http://www.tariqramadan.com/spip.php?article12926
Depuis près de deux ans, on me questionnait sur les raisons de mon refus de me rendre en Egypte dont j’ai été banni depuis 18 ans. Je répétais inlassablement que les informations croisées qui étaient en ma possession (et que me confirmaient même des officiels suisses et européens) mettaient en évidence le fait que l’Armée égyptienne contrôlait la situation et n’avait, dans les faits, jamais disparu de la scène politique…//…L’armée égyptienne n’est pas revenue dans le jeu politique, elle ne l’a jamais quitté. La chute de Moubarak fut un premier « coup d’Etat » militaire interne qui a permis à une nouvelle génération de militaires de se positionner de nouvelle façon sur l’échiquier politique, derrière l’écran d’un gouvernement civil. Dans un article du 29 juin 2012, je rappelais…//… Ce qui surprend, a posteriori, c’est la naïveté, le manque d’expérience et la nature des erreurs de Muhammad Morsi, de ses alliés et de l’organisation des Frères Musulmans. Depuis 3 ans, je n’ai eu de cesse de faire la critique de la pensée, de l’action et de la stratégie du parti « Justice et Liberté » autant que des leaders des Frères Musulmans (par ailleurs depuis 25 ans, mes analyses et commentaires, en tant qu’observateur, ont été, et demeurent, sévères). En sus, le piège paraissait si évident et l’ensemble de mes écrits (livre et articles de mars à décembre 2012) relevait ces graves manquements. On ne peut reprocher au Président Morsi de ne pas avoir essayé d’établir des relations avec l’opposition et de les inviter soit au Gouvernement soit à un large dialogue national : ses initiatives ont toutes été rejetées et l’opposition n’a eu de cesse de s’opposer à toutes ses initiatives. Il demeure que la critique de sa gestion des affaires de l’Etat, de sa relation exclusiviste avec la direction de l’organisation des Frères Musulmans, de sa surdité envers le peuple et certains de ses conseillers, que ses décisions intempestives (dont il a admis que certaines étaient des erreurs après coup) doivent faire l’objet d’une critique sans concession. Plus fondamentalement, c’est l’absence de vision politique et de gestion des priorités quant à la politique économique, à la lutte contre la corruption et la pauvreté, à la gestion des affaires sociales et éducatives, qui fut le plus grave manquement. Les exigences du Fonds Monétaire International (et les atermoiements de ce dernier de la même façon) mettaient le pouvoir dans une situation intenable : le gouvernement de Morsi pariait naïvement sur un soutien de cette institution. Ce n’est pourtant qu’aujourd’hui, une fois le Président Morsi parti, que le FMI semble vouloir débloquer la situation (seulement trois jours après la chute du gouvernement démocratiquement élu)…//… La lecture politique superficielle tendrait à faire croire que l’Arabie Saoudite ou le Qatar soutiennent les Frères Musulmans alors qu’ils sont essentiellement les garants d’une politique américaine dans la région : il s’agit de diviser les diverses tendances de l’islam politique et les pousser à des confrontations déstabilisant les différents pays de la région. Cette stratégie est double et fonctionne entre les organisations politiques sunnites comme par l’entretien de la fracture entre shiites et sunnites. Les Etats-Unis comme l’Europe n’ont aucun problème avec l’islam politique des salafis littéralistes des Etats du Golfe (avec leur refus de la démocratie, leur non respect des minorités, la discrimination des femmes, l’application d’un strict code pénal « islamique » qualifié de « shari’a ») : ils protègent leurs intérêts géostratégiques et économiques régionaux et leurs politiques répressives et rétrogrades s’appliquent surtout sur le plan intérieur dont l’Occident n’a cure…//… Le Président élu est tombé au gré d’un Coup d’Etat militaire. Il faut appeler les choses par leur nom. Le peuple, dans son désir légitime de vie et de survie, de justice et de dignité, a participé à une belle opération médiatico-militaire. La situation est grave et le silence des administrations occidentales est révélateur. Il n’y a pas de printemps arabe et les révolutions ont des parfums amers. Au demeurant, il est fréquent désormais, quand on ne partage pas les analyses consensuelles, ou l’effervescence populaire et médiatique, de se voir traiter de « conspirationniste » et de voir son analyse rejetée avant même d’avoir étudié les faits et les intérêts en présence…//… Il faut analyser les faits et cesser les simplifications dangereuses. Le contraire de la lecture simplificatrice des faits n’est pas la posture « conspirationniste » mais bien celle de l’intelligence qui veut convoquer l’histoire, les faits et l’analyse circonstanciée des intérêts en présence. L’interprétation proposée ici peut être erronée ou inexacte mais de nombreux faits concordants en ont confirmé la pertinence au gré des mois, et sous de nombreux aspects. De ceux qui la critiquent ou la contestent, il est attendu des analyses fondées sur des faits, des mises en perspective qui ne se contentent pas de dénigrements ou de slogans faciles. Quand on refuse d’appeler un coup d’Etat militaire « un coup d’Etat militaire » et qu’une majorité de medias font mine de n’en plus savoir la définition, il est l’heure de réveiller son sens critique.