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Quand Ulysse est coincé à la Maison-Blanche

En fait, l’une des réflexions que l’on pourrait faire sur cette décision étonnante de l’administration étasunienne de s’abstenir sur un projet de résolution demandant la levée du blocus, après avoir voté résolument NON à chacune des vingt-quatre fois précédentes, c’est qu’Obama,comme je l’ai dit hier, était coincé entre l’enclume et le marteau. À partir du moment (relativement récent, je tiens à le souligner : à peine deux petites années, contre six antérieures à la Maison-Blanche) où il a décidé de faire jouer son smart power pour se débarrasser de ce socialisme cubain qui donne l’urticaire à n’importe quel locataire de ladite Maison, le blocus, autrement dit ce que Fidel qualifiait, lui, de « guerre économique tous azimuts », fait de sanctions, de représailles, d’interdictions, de prohibitions et autres genres de mesures, non seulement ne lui servait à rien, mais s’avérait en fait absolument contre-productif. Là, il a bien tiré les leçons de plus de cinquante ans de guerre qui n’ont fait avancer en rien la classe dominante étasunienne vers l’objectif qui a toujours été le sien et que la Directive de politique présidentielle sur Cuba du 14 octobre 2016 égrène tout du long comme un leitmotiv.

Au contraire, cette guerre incessante de l’immense puissance face à un tout petit pays aux moyens incommensurablement inférieurs a provoqué la réaction habituelle de toutes les villes assiégées dont les habitants sont habités de valeurs qu’ils sont prêtes à défendre coûte que coûte (valeur, aussi, au sens de courage) : la résistance. À traiter Cuba, sa Révolution et son peuple en ennemis, les administrations étasuniennes, toutes tendances confondues, d’Eisenhower à Obama, n’ont fait que renforcer cette capacité de résistance étonnante que même les pires années de la Période spéciale, dans les années 90, quand nous avons plongé dans un gouffre qui paraissait insondable, ne sont pas parvenues à entamer.

Il fallait donc qu’Obama, plus intelligent que les autres ou moins coincé que ses prédécesseurs dans l’histoire (cette vieille dame dont il ne cesse de répéter qu’elle l’ennuie), ou parce qu’il a pris conscience que les temps ont changé et que l’Empire en déclin face à de nouvelles puissances émergentes n’a plus les moyens d’imposer sa volonté comme jadis, changeât son fusil d’épaule et se présentât, ce qu’il fit durant sa visite de mars dernier à La Havane, en « ami », voire, ce qui, avouons-le, était tout de même un peu poussé, en « frère ». C’est bien pensé, même si la Maison-Blanche a mis cinquante-quatre ans pour arriver à une conclusion qui coulait de source aux yeux de tout le monde, n’était-ce la cécité de ses locataires et de la classe dominante étasunienne, mais aussi de la mafia de Miami qui a tenu longtemps le haut du pavé en ce qui concerne la politique cubaine des États-Unis, à une vérité aveuglante : par la force, vous n’arriverez à rien face à la Révolution cubaine.

Le blocus, en place depuis 1962, était donc, non seulement inutile, mais s’avérait la pire entrave à la toute nouvelle (je le répète) politique d’Obama : si, comme les oiseaux du paradis à la parade, vous voulez déployer tous vos charmes et vos plus beaux atours, mais que vous vous attachiez les ailes au corps, vous n’aurez guère de chance de conquérir la femelle que vous convoitez. (Si je choisis l’oiseau du paradis, c’est d’une part qu’il s’agit d’une des parades les plus magnifique chez la gent ailée, mais d’autre part, que l’image de l’Éden, plus prosaïquement connu comme « rêve américain », est l’une des grandes réussites des États-Unis en matière de vente d’un imaginaire frelaté.) Obama devait donc pouvoir battre des ailes, pour ainsi dire quasiment au pied de la lettre… Il est donc devenu un opposant du blocus économique, commercial et financier (après l’avoir défendu comme « moyen de pression », même après la reprise des relations diplomatiques). D’une part parce que cette politique agressive l’empêche de se présenter en (nouvel) « ami » du peuple cubain ; d’autre part, parce que toutes les prohibitions, interdictions, représailles, etc., dont il est assorti l’empêche de déployer sa nouvelle donne politique.

Ainsi, comment « amadouer » la Révolution cubaine si vous ne pouvez pas, à cause du blocus, faire un tas de choses que vous pouvez faire ailleurs, comme investir, avoir un commerce normal aller-retour (il n’est pour l’instant qu’à sens unique, et encore à travers d’une minuscule ruelle), etc. Comment miner de l’intérieur la forteresse si vos artificiers sont interdits d’y entrer ? Comment répandre la bonne parole et le « rêve américain » si ceux que vous considérez vos meilleurs ambassadeurs des valeurs étasuniennes (ce n’est pas moi qui le dis, c’est écrit en toutes lettres dans les différents documents de la Maison-Blanche), les touristes, sont interdits d’entrée à Cuba, les visiteurs devant avoir un motif précis dans le cadre des douze catégories permises à ce jour : car s’il est vrai que ces visiteur autorisés sont sommés de consacrer leur séjour à Cuba à des activités visant à pénétrer (les documents, eux, disent : « autonomiser ») la population cubaine, il n’en reste pas moins que tant que le Congrès ne lèvera pas le blocus, le tourisme restera interdit en tant que tel et que les « messagers » des valeurs « américaines » arriveront au compte-goutte, face aux trois millions de touristes qui pourraient déferler ici, selon toutes les prévisions, bon an mal an.

Je pourrais poursuivre les exemples. Bref, et c’est tout bête, l’existence du blocus empêche l’administration Obama de se donner les moyens réels et concrets de sa nouvelle politique. Et puisque le voilà en fin de bail à la Maison-Blanche, qu’il ne peut se représenter à la présidence, qu’il ne risque pas de trop violents coups de bâton en retour dans ce domaine de la part de ses adversaires politiques, il peut, pour ainsi dire, jouer les grands seigneurs, démentir sa propre politique, frapper un nouveau coup de théâtre (après celui de la reprise des relations diplomatiques) et s’abstenir durant le vote à l’Assemblée générale de la résolution cubaine, autrement dit d’une condamnation d’une politique que les États-Unis et Israël ont été les seuls à défendre à l’ONU pendant vingt-quatre ans (je passe sous silence les deux ou trois comparses épisodiques qui ont accompagné à différents moments ces deux-là). En fait, s’il avait voulu aller vraiment jusqu’au bout de sa propre logique, il aurait dû voter tout bonnement la résolution cubaine…

Ça, c’est de la « real politik », et on ne peut que se réjouir de voir Obama cesser de poursuivre une politique de plus de cinquante ans qu’il a taxée lui-même de « fiasco ». Le hic, c’est que sa nouvelle politique est inapplicable tant que le Congrès ne lèvera pas une bonne fois pour toutes le blocus économique, commercial et financier imposé à Cuba. À cet égard, Obama n’a qu’à s’en prendre à son prédécesseur Bill Clinton qui, en signant en 1996 la Loi Helms-Burton concoctée par la mafia de Miami et les pires ennemis de la Révolution cubaine, a dessaisi la Maison-Blanche de ses prérogatives en politique extérieure cubaine aux mains du Congrès. Et là, c’est une autre paire de manches. Le président républicain de la Chambre de représentants vient de réitérer, tout récemment, qu’il n’est pas question de le lever, et l’on sait l’influence qu’on peut exercer depuis ce poste. Pour le moment, la corrélation de force au Congrès est défavorable à l’administration en place. Comme je le disais hier, il faudra attendre le résultat des élections du 6 novembre prochain pour voir si une nouvelle majorité démocrate (donc, en théorie, plus favorable à la levée du blocus) s’y installe en janvier 2017, ce qui est loin d’être sûr. Dans ce dernier cas de figure, la Révolution cubaine continuera de ferrailler dur à l’ONU et dans toutes les autres tribunes internationales pour obtenir gain de cause.

En tout cas, applaudissons au retour d’Obama à la réalité. Et espérons que son coup de théâtre aura des effets dans l’establishment politique étasunien et permettra de « débloquer » un peu les choses. Souhaitons aussi que les adversaires de la levée du blocus finissent par comprendre ce que leur président a mis du temps à saisir : si vous voulez saper l’ennemi de l’intérieur, si vous voulez l’ « amadouer », le plus intelligent et sensé que vous puissiez faire – décidément, depuis hier, me voilà en veine de comparaison mythologique – c’est vous donner tous les moyens – et non vous empêcher d’avance – d’amener du moins votre Cheval jusqu’aux plages de Troie !

Bref, réjouissons-nous de cette nouvelle belle victoire politique de la Révolution cubaine face à l’Empire. J’étais sur le point d’évoquer aussi David face à Goliath, mais celui d’aujourd’hui a les mains si dégoulinantes de sang palestinien qu’il ressemble plus à un sinistre tueur qu’à un jeune héros défenseur d’une noble cause et qu’il s’est discrédité à jamais comme figure de comparaison valable et digne.

Jacques-François Bonaldi

La Havane, 27 octobre 2016

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