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Emprisonné au Chili, soigné à Cuba, militant alternationaliste en France...

Forum de Sao Paulo à La Havane : entrevue avec Christian Rodriguez

Christian Rodriguez a été invité à assister, en tant qu’observateur pour la France Insoumise, au Forum de Sao Paulo qui réunit l’ensemble de ce que les partis politiques et mouvements progressistes peuvent compter en Amérique Latine et Caraïbe. Nous l’avons interrogé sur la tenue de ce Forum, les thèmes débattus et les perspectives d’avancée dans un avenir proche ou à plus long terme.

Jean-Michel Hureau : Quelle impression globale retenez-vous de ce Forum et sur son déroulement ?

Christian Rodriguez : Le Forum de Sao Paulo a été traditionnellement un des espaces de rencontres importantes pour mesurer l’état des forces politiques alternatives à la droite et au néo-libéralisme en Amérique Latine. Il s’agit d’un espace de rencontre où le débat, la discussion et le rapprochement entre acteurs politiques collectifs et individuels convergent afin de donner une cohérence à une lutte contre un système global en décadence comme l’est le capitalisme et, dans sa phase ultime, le néo-libéralisme.

Photo : Christian Rodriguez

JMH : Quels ont été les principaux thèmes abordés ?

CR : L’état de la gauche et l’urgence de l’unité latino-américaine, la solidarité avec les pays en grande difficulté et avec tous les peuples qui soufrent des violences brutales de la droite dure pilotée par l’impérialisme nord-américain. La dénonciation de la persécution envers des dirigeants progressistes comme Lula Da Silva au Brésil, Rafael Correa ex-président de l’Equateur, Cristina Kirchner ex-présidente de l’Argentine. Une conférence de qualité concernant la pensée d’actualité de Fidel Castro et l’urgence de construire une situation politique stable dans des pays aujourd’hui en conflits.

JMH : Quelles ont été, à votre avis, les contributions déterminantes des dirigeants en exercice, passés ou à venir lors de ce Forum ?

CR : Unanimement, tous les intervenants appellent à défendre la démocratie, la souveraineté et le droit à l’autodétermination des peuples comme axe fondamental face aux menaces de l’apparition d’une droite néo-libérale revancharde qui veut revenir aux années 90, période où le libéralisme sauvage a tout pillé, volé et privatisé tous les secteurs-clés en prétendant garantir et assurer le « bonheur » des populations, en disséminant la faim et l’extrême pauvreté sur tous les continents à part de très rares exceptions où se sont engagés des processus différents.
Nous devons empêcher à tout prix ce retour en arrière. La principale avancée aujourd’hui est que nous maintenons ces espaces qui nous permettent de nous rapprocher de plus en plus et à partir de cela, de construire un programme qui respecte nos diversités, qui puisse coordonner et rassembler nos efforts dans un même projet d’émancipation.
En respectant la diversité des choix et des options que chaque peuple veut se donner, il s’agit de faire un effort pour construire un nouvel horizon vers un progressisme latino-américain, l’insoumission étant l’urgence des peuples en lien avec de nouvelles formes de concevoir la politique et en intégrant les thèmes d’aujourd’hui, la lutte contre l’extrême pauvreté, l’urgence écologique, la démocratisation de la vie politique, l’intégration de la jeunesse et la condition des femmes.

JMH : Avez-vous, à cette occasion, pu nouer de nouvelles relations ou en fortifier d’autres avec de hauts responsables latino-américains ou caribéens ?

CR : Totalement et c’est toujours un plaisir d’échanger avec les dirigeants et les organisations latino-américaines et caribéennes. Certains sont des amis de longue date, d’autres plus récents. Certains sont au pouvoir, d’autres l’ont été et peut-être le seront de nouveau, et d’autres le deviendront, j’en suis convaincu. Nicolás Maduro, Evo Morales, Miguel Díaz Canel, Dilma Rousseff, Raúl Castro, Manuel Zelaya se sont exprimés et j’ai pu échanger avec eux comme avec les représentants des forces vives telles que MORENA d’AMLO, la coalition COLOMBIE HUMAINE de Petro. Rafael Correa et Lula se sont exprimés par vidéo sur l’importance de l’unité latino-américaine comme élément essentiel pour surmonter les difficultés actuelles.

JMH : Vous avez rencontré des dirigeants du Parti Communiste Cubain. Qu’en avez-vous retenu de positif et de négatif ?

CR : Je les ai rencontrés et nous avons échangé sur la situation politique de nos deux pays. Nous avons parlé du processus actuel de discussion de la nouvelle Constitution à Cuba, du nouveau Président cubain, de leur vision de la France Insoumise car le Parti Communiste Cubain regarde attentivement l’évolution de notre mouvement et fait bien la différence entre notre position et les autres forces de "gauche" en France. J’ai expliqué la différence entre la France Insoumise et le Parti de Gauche, c’est-à-dire que le Parti de Gauche n’est pas la France Insoumise et qu’en aucun cas il faut les considérer comme une seule et unique organisation. Ils ont été très réceptifs à mon discours.

JMH : En marge du Forum, avez-vous eu des contacts avec la population cubaine et quel a été votre ressenti ?

CR : Evidemment, mon premier séjour à Cuba fut à l’âge de 19 ans quand je sortais de prison [ au Chili, sous la dictature de Pinochet. Note du GS] et que j’avais besoin de soins médicaux. Je garderai toujours de très bons souvenirs de leur solidarité et de leur amour internationaliste. C’est un peuple cultivé, joyeux, épanoui et amoureux de sa révolution malgré les conditions extrêmement difficiles dues au blocus criminel des Etats-Unis. Ils donnent le maximum pour aider et partager avec d’autres forces de changement dans le monde. Aujourd’hui, je retrouve cette même énergie dans des conditions toujours difficiles, car c’est une économie fragile et dépendante. A Cuba, on est heureux avec très peu et je continue d’admirer la vitalité de leur jeunesse qui, étonnamment, ne représente que 26% d’une population de 11,1 millions d’habitants. Cuba aujourd’hui impressionne par sa vie culturelle et la recherche du plaisir dans des lieux d’expression culturelle. Un exemple : un lieu de vie créative, une usine d’huile en 1905 est devenue un lieu richissime d’art contemporain depuis moins de 3 ans. La Fabrique d’Art Cubain (FAC) est un lieu vivant de création culturelle ou la musique en direct, les expositions de peinture, la photographie, la danse, la musique électronique se mélangent dans des centaines de mètres carrés sur 4 étages. J’ai assisté aussi au ballet national et j’ai vu un très beau spectacle de flamenco quasiment gratuit et accessible à tout le monde. J’ai logé chez l’habitant et on se rend compte des difficultés d’accès à l’eau car il y a des quartiers où il faut réserver de l’eau pour pouvoir se doucher, cuisiner et boire car il n’y en a plus après certaines heures. Nous sommes dans une société où il n’y a pas mille marques de yaourt, de farine ou de n’importe quel autre type de produits, le wifi est très difficile d’accès mais les gens savent tout ce qui passe ailleurs dans le monde. C’est une révolution qui cherche son chemin, les devises proviennent essentiellement du tourisme et les différences avec la vie quotidienne de la population sont criantes mais le peuple cubain semble accepter que c’est le prix de son indépendance et de son autonomie vis-à-vis des Etats-Unis, toujours menaçants et agressifs.

JMH : Après la défaite de Petro en Colombie, les victoires de Maduro au Venezuela et d’AMLO au Mexique, quels enseignements retirez-vous de ces élections successives ?

CR : Elles sont toutes de nature différente. La « défaite » avec 8 millions des voix de Petro est due à une fraude très bien organisée par le pouvoir en place qui consiste à falsifier les relevés de comptage des votes par bureau. Des démonstrations de ces fraudes ont été publiées sur Internet sans équivoque. Malgré sa défaite, il a soulevé un immense espoir en Colombie et je ne doute pas que son prestige et sa popularité ne feront que s’accroître dans les années à venir pour une victoire à la prochaine élection.
Il nous faut accompagner et protéger la vie de toutes ces femmes et hommes courageux qui aujourd’hui continuent à être assassinés par le chemin qu’a construit Uribe et que poursuit Duque. Nous sommes en lien étroit avec eux, et nous ne pouvons pas abandonner ce combat.
La victoire de Maduro est indiscutable et légitime, quoi qu’en dise Trump et ses vassaux latino-américains et européens. L’élection a été parfaitement transparente à l’unanimité des observateurs internationaux, dont j’étais, et aucun dirigeant élu du continent ne peut s’enorgueillir d’une telle approbation populaire à poursuivre dans la voie qu’Hugo Chávez a tracée. L’élection d’AMLO, où j’étais aussi observateur international, résulte d’un ras-le-bol et d’une défiance de la population envers le parti au pouvoir depuis des lustres. Cela n’a pas été sans risque et sa vie a été mise en danger mais la pression populaire a été la plus forte. Une très belle victoire de tout un peuple qui a compris très vite qu’il fallait un tsunami électoral pour pouvoir leur arracher le pouvoir et construire une alternative. Nous avons beaucoup à apprendre de cette élection et leur méthode dans la construction d’un mouvement nouveau de 4 ans, de leur méthode de participation, de travail collectif et de son lien étroit avec le peuple et ses autres composantes. MORENA a su faire une coalition avec un programme concret. J’espère qu’il réussira à vaincre la corruption qui fait force de loi et qui gangrène le système, à démanteler les organisations paramilitaires liées au trafic de drogue qui sèment la terreur dans le pays. Mais je crains qu’un mandat ne soit pas suffisant pour y parvenir. La route sera plus longue. Le peuple est là pour aider AMLO à surmonter les prochains obstacles dans son accession au pouvoir.

JMH : Que pensez-vous des troubles actuels au Nicaragua ?

CR : Toutes les questions autour de la réalité d’aujourd’hui au Nicaragua et pour les Nicaraguayens ne peuvent pas trouver de solution dans la violence. Il faut privilégier le dialogue et la recherche d’une solution pacifique sans ingérence étrangère. C’est au Nicaraguayens de décider de leur avenir. Je crois fermement à la paix et au dialogue. Les guerres ne font que des perdants, toujours. La question du partage des richesses est un sujet important. Il ne faut pas que le pouvoir politique soit confisqué par une minorité où la corruption contamine tout devenir au détriment du peuple. C’est un défi à surmonter dans la crise actuelle.
Les différentes gauches que se sont identifiées avec les principes du FSLN dans ses luttes de plus de 40 ans pour pouvoir renverser Somoza et combattre les forces contre-révolutionnaires pilotées par les Etats-Unis, celles et ceux qui ont soutenu et aidé par tous les moyens le programme du FSLN et ses réformes à la recherche du bonheur pour le peuple doivent contribuer à la recherche d’une solution pacifique du conflit actuel, empêcher que la bourgeoisie au service des Etats-Unis ne revienne au pouvoir, comme c’est le cas un peu partout en Amérique Latine.
Il est à remarquer, néanmoins, qu’une partie des manifestants contre le gouvernement a des griefs importants à l’encontre du président Ortega, de son épouse et d’autres cadres du régime, mais ils ont été trompés par des agitateurs mercenaires au pied des barricades à la solde des Etats-Unis. Le FSLN lui-même n’est pas unanime pour aborder la question du rejet populaire à la politique des Ortega. Face à cette contradiction, l’important est l’établissement d’un débat franc et ouvert avec toutes les composantes de la gauche et l’effort à faire pour éduquer le peuple à faire front à l’oligarchie vassale des Etats-Unis
Mais il est clair qu’au Nicaragua, le régime en place affronte une opposition violente et armée avec le soutien des Etats-Unis.

JMH : A votre avis, quel est l’état de la gauche progressiste actuellement en Amérique Latine et les Caraïbes et quel est l’impact de l’administration Trump ?

CR : L’administration Trump est omniprésente et influe sur toutes les politiques latino-américaines. La gauche progressiste est malmenée. C’est la théorie des dominos de Reagan remise à l’ordre du jour. C’est dans l’unité et une vision globale de l’avenir que pourra éclater une résurgence de l’idée que le bien commun est un facteur déterminant à l’émancipation des peuples loin de la tutelle étasunienne. Hugo Chávez, Rafael Correa, Evo Morales, Pepe Mujica, Lula ont su donner cet élan qui permette à l’Amérique Latine de s’émanciper du joug étasunien.
Mais il nous faut un sursaut de participation populaire et la stratégie de la révolution citoyenne me semble la plus adéquate. Notre programme « L’avenir en commun » possède les ingrédients qui sont aussi d’actualité aujourd’hui en Amérique Latine.
Un dialogue ouvert, des contacts, le désir de travailler ensemble est possible entre tous les peuples si nous faisons l’effort de nous connaître, d’échanger, de nous aider et de marcher main dans la main. Je rêve d’une Internationale Insoumise des Peuples. Il nous faut nous retrouver ici et partout et apprendre de ces dernières expériences.

JMH : Pensez-vous qu’un rapprochement entre ces mouvements progressistes latino-américains et la France Insoumise soit concevable et possible dans les prochaines années, comme c’est le cas avec d’autres pays européens, et quels pourraient en être les points de convergence ?

CR : Bien sûr qu’un rapprochement est possible et surtout souhaitable. Correa, Morales, Lula, Petro, Zelaya, AMLO, des coalitions au Pérou, au Chili, au Paraguay et en Uruguay sont les fers de lance d’une nouvelle conception de la politique et du développement durable de leurs pays respectifs et rejoignent sur de nombreux points les objectifs gouvernementaux du programme de la France Insoumise et de ses alliés européens. Maintenant, vu de France, on a souvent l’impression que l’Amérique Latine est un seul pays et une seule culture et il n’en est rien. Chaque pays possède ses spécificités culturelles, linguistiques ou sociales. Par exemple, comparer le Chili à l’Equateur reviendrait à comparer la France à la Finlande. Il n’empêche que l’unité peut se faire malgré ces différences. C’est une question de temps, de patience, de dialogue et de compréhension les uns vis à vis des autres. Mais l’unité ne peut se concevoir que si, au départ, les objectifs sont communs. Mes nombreux contacts me permettent de dire que l’expérience de la France Insoumise en Europe et les alliances conclues avec nos voisins sont de bon augure. Nous sommes observés comme les détonateurs d’une révolution démocratique, républicaine et écologique qui rejette une Europe au service de l’oligarchie et des multinationales. L’Amérique Latine connaît le même phénomène et les mouvements sociaux en sont la démonstration. Notre combat est commun. Il s’agit du combat du peuple contre le capital qui prétend tout régenter et des politiques corrompues au service d’intérêts financiers d’où le peuple est absent et totalement écarté.

JMH : Pour finir sur une note plus ludique mais non moins sérieuse, après le sacre de l’équipe de France de football championne du monde, que pensez-vous des dernières déclarations de Nicolás Maduro sur l’africanisation de cette équipe ?

CR : Je pense que les déclarations de Nicolás Maduro ont été mal interprétées par les médias français toujours prêts à en découdre et caricaturer le Venezuela et son régime. Il n’a fait que souligner le fait que beaucoup de joueurs sont d’origine étrangère, en particulier africaine, ce qui est une réalité. C’est une façon de fustiger la politique anti-migratoire de l’Europe et du gouvernement français actuel en mettant en avant l’apport et les bienfaits de l’immigration dans sa diversité culturelle. C’est l’honneur et la fierté de la France que d’avoir accueilli sur son sol les aïeux de ces jeunes joueurs même s’ils sont issus d’une période moins glorieuse qu’est la colonisation. La France a toujours été un pays de migration. Ces jeunes sont fiers d’être Français, le clament haut et fort et ils entonnent la Marseillaise avec joie. Peut-être que Barack Obama a été plus habile, mais il a plus les faveurs de la presse, en déclarant que tous ces joueurs, de quelque horizon qu’ils viennent, sont avant tout Français. Il s’agit donc ici d’un modèle d’intégration qui a fait ses preuves. Pour avoir une double nationalité, certains auraient pu jouer dans une autre équipe nationale. Ils ont choisi de jouer en équipe de France et tous les Français sont fiers de ce qu’ils ont fait. On peut être Africain et Français, Latino et Français, Asiatique et Français. Pourquoi faut-il contraindre les gens à choisir ou à nier l’un ou l’autre. Et puis, moi aussi je suis un immigré et je ne remercierai jamais assez la France de m’avoir accueilli et de m’avoir sauvé des geôles de Pinochet. Quand je danse, je suis Latino, quand je mange du fromage avec un verre de rouge, je suis Français, quand je mange du quinoa et que je fais de la politique, je suis les deux. C’est comme en amour et en amitié qui restent des valeurs universelles.

JMH : Merci Christian pour ce témoignage.

CR : Merci à vous de m’avoir permis de m’exprimer en toute indépendance.

Jean-Michel HUREAU
(Pour LGS)

Photo du logo : Dilma Rousseff, ancienne Présidente du Brésil.

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