RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Ce que cache le PIB

Il existe des problèmes bien connus liés au concept de produit intérieur brut ainsi qu'à sa mesure. Adam Smith se serait opposé à l'inclusion du secteur des services dans le PIB au motif que les personnes employées dans ce secteur constituent des "travailleurs improductifs". Dans l'ex-Union soviétique et les pays socialistes d'Europe de l'Est, ce n'est certainement pas le PIB, mais le produit matériel brut, à l'exclusion du secteur des services, qui est considéré comme la mesure pertinente.

Même si le secteur des services est inclus dans le PIB, la mesure de sa production pose un problème conceptuel, car il est difficile de distinguer ce qui constitue une prestation de service de ce qui constitue un simple paiement de transfert : après tout, on peut tirer satisfaction d’un paiement de transfert exactement comme on tire satisfaction de la prestation d’un musicien ; comment alors inclure l’un et pas l’autre dans le cadre du PIB ? Mais outre ces problèmes conceptuels, il existe également des problèmes liés à la mesure du PIB, problèmes qui découlent notamment du vaste secteur de la petite production pour lequel nous ne disposons pas de données fiables, régulières et opportunes. En Inde, par exemple, plusieurs économistes ont suggéré, bien que pour des raisons différentes, que la mesure du taux de croissance du PIB était surestimée.

Il est également évident que le PIB n’est pas un indice du bien-être national ; la raison la plus évidente en est que la distribution du PIB peut être extrêmement inégale. Mais le fonctionnement de l’impérialisme crée un type particulier de dichotomie au sein d’un pays du tiers monde qui rend le PIB tout à fait inapte à mesurer le progrès économique ; en fait, le PIB sert à camoufler cette dichotomie qui a même tendance à s’accentuer avec le temps.

L’impérialisme a deux effets distincts sur une économie contemporaine du tiers monde. Parce que cette économie est généralement située dans la zone tropicale, les pays industriels lui demandent une gamme de produits agricoles (sans parler des minéraux) que seule la masse terrestre tropicale est capable de produire, ou de produire pendant la période où les régions tempérées et froides du monde, qui constituent le berceau du capitalisme, sont gelées. Ainsi, outre le blé et le maïs, l’impérialisme exige du tiers monde toute une série de produits primaires qu’il ne peut lui-même produire en aucune saison, ou qu’il ne peut produire qu’en saison chaude, mais pas en hiver. Ces produits doivent être importés ; mais l’étendue de la masse terrestre tropicale est limitée, et comme les pratiques d’"amélioration des terres" telles que l’irrigation et d’autres changements techniques qui augmentent la productivité de la terre nécessitent généralement un État activiste, et que le capitalisme s’oppose à toutes sortes d’activisme étatique qui soutient et promeut non pas lui-même mais l’agriculture paysanne, cette "amélioration des terres" n’est pas possible dans une mesure suffisante. Les produits tropicaux nécessaires aux besoins métropolitains sont exportés vers les métropoles en réduisant leur absorption domestique dans le tiers-monde. L’impérialisme impose donc nécessairement une compression des revenus, entraînant une compression de la demande, au tiers monde.

L’une des principales fonctions du régime néolibéral est d’ouvrir le tiers monde aux exportations illimitées de ces produits de base et, pour ce faire, d’imposer systématiquement la compression de la demande. Cette ouverture exige que le choix des paysans en matière de cultures soit influencé non pas par des considérations d’autosuffisance alimentaire nationale ou de besoins locaux, mais exclusivement par le "marché", c’est-à-dire par l’attraction du pouvoir d’achat de la métropole. Pour ce faire, dans les pays du Sud, tout soutien gouvernemental des prix des céréales alimentaires en particulier, et le stockage des cultures vivrières pour soutenir le système de distribution publique doivent disparaître, et les prix intérieurs doivent s’aligner sur les prix internationaux par la suppression de toutes les restrictions quantitatives au commerce et l’imposition de droits de douane nuls ou minimes. C’est exactement ce que l’Organisation mondiale du commerce cherche à garantir. Dans le même temps, les pays industrialisés continuent d’accorder des subventions directes en espèces très élevées à leurs propres producteurs agricoles de céréales alimentaires et de coton, en les qualifiant de "non distorsives du commerce".

Si l’offre de produits que la métropole souhaite importer est insuffisante, l’inflation s’ensuit. Pour contrer cette inflation, des mesures de compression de la demande sont systématiquement imposées, ce qui a pour effet de restreindre la demande intérieure et d’accroître l’offre pour la métropole. L’effet global du régime néolibéral à travers tous ces mécanismes est de réduire la disponibilité nette de céréales par habitant dans le tiers monde et de faire en sorte que la terre produise à la place des cultures demandées par la métropole. C’est exactement ce que nous observons.

Il existe un deuxième impact de l’impérialisme sur les pays du tiers monde. Il découle du fait que la désindustrialisation coloniale a laissé ces pays avec des réserves massives de main-d’œuvre qui ont maintenu les salaires réels à un niveau de subsistance minimal, alors même que les salaires réels dans la métropole augmentaient plus ou moins en même temps que la productivité de la main-d’œuvre. En raison de l’écart croissant entre les salaires des deux régions, les entreprises multinationales des métropoles sont désormais disposées à implanter des usines dans le tiers-monde pour satisfaire non pas le marché local, mais le marché mondial. Cette délocalisation d’activités de la métropole vers le tiers-monde, en particulier d’activités "bas de gamme" ou à moindre intensité de compétences, n’est pas de nature à absorber les réserves de main-d’œuvre, de sorte que la baisse des salaires réels se poursuit, exacerbée par la compression des revenus mentionnée plus haut ; mais elle devient une source de croissance urbaine, y compris ce qui, dans le contexte du tiers-monde, constitue l’emploi à revenu moyen.

Ces deux effets de l’impérialisme créent une structure dualiste au sein du tiers monde. Le colonialisme, qui avait créé au sein du tiers monde des "enclaves" où opérait le capital étranger, avait de toute façon donné naissance à une telle structure dualiste ; l’État postcolonial du tiers monde qui avait émergé sur la base d’une lutte anticoloniale s’était engagé à surmonter ce dualisme ; mais le remplacement du régime dirigiste par le néolibéralisme a recréé cette tendance au dualisme au sein du tiers monde, le fossé entre les deux parties se creusant au fil du temps.

Certes, le fossé entre les travailleurs du segment "moderne" croissant du tiers monde et leurs homologues du segment stagnant ou en déclin, comme l’agriculture paysanne et la petite production, ne s’élargit pas. Les deux groupes de travailleurs sont victimes à la fois des réserves de main-d’oeuvre massives et croissantes qui maintiennent le taux de salaire réel à un niveau bas, et de la compression de la demande imposée afin d’extraire les besoins de la métropole de la masse terrestre tropicale sans générer d’inflation significative. Mais le fossé entre la grande bourgeoisie locale et les professionnels à revenus moyens supérieurs engagés dans le segment "moderne" d’une part, et les travailleurs engagés dans les segments modernes et traditionnels d’autre part, se creuse nettement ; et ceci a également une dimension spatiale, qui s’exprime le plus clairement dans une dichotomie entre les zones rurales et les zones urbaines.

Cette dichotomie rurale-urbaine croissante est clairement visible dans les données officielles indiennes elles-mêmes. Si nous prenons l’ampleur de la pauvreté nutritionnelle, définie comme l’accès à moins de 2100 calories par personne et par jour dans l’Inde urbaine et moins de 2200 calories dans l’Inde rurale, la proportion de la population urbaine en dessous de cette norme est passée de 57 % en 1993-94 à environ 60 % en 2017-18 ; dans l’Inde rurale, en revanche, cette proportion est passée de 58 % à plus de 80 % au cours de la même période. (Les données de la National Sample Survey à partir desquelles ces calculs sont effectués par Utsa Patnaik dans un livre à paraître ont depuis été retirées par le gouvernement indien en raison de ce qu’elles montrent). En fait, sous le gouvernement du NDA, qui a poursuivi une politique néolibérale agressive et sans complexe, cette dichotomie s’est considérablement élargie.

Face à une dichotomie aussi marquée et accentuée entre deux segments de l’économie, l’utilisation d’une mesure unique comme le PIB sert de moyen de camouflage. Ce n’est pas seulement que l’inégalité croissante des revenus fait du PIB une mesure inappropriée du bien-être économique, une proposition qui est facilement acceptée, mais cette inégalité croissante a une dimension spatiale, recréant une structure économique dualiste, sous l’ascendant du néolibéralisme qui représente une réaffirmation de l’impérialisme. L’utilisation du PIB sert donc à cacher cette dichotomie structurelle croissante que l’impérialisme introduit. Il sert en somme à camoufler le fonctionnement de l’impérialisme.

Mais ce n’est pas tout. Toutes les estimations préliminaires du PIB en Inde sont faites sur la base des données du secteur à grande échelle et le taux de croissance du secteur à grande échelle est attribué dans de nombreux cas au secteur à petite échelle à titre "provisoire". Mais cela implique de supposer que le secteur languissant croît aussi rapidement que son homologue, ce qui est un travestissement de la vérité.

— 

Prabhat Patnaik est un économiste marxiste indien. Il a enseigné au Centre d’études économiques et de planification de l’École des sciences sociales de l’université Jawaharlal Nehru à New Delhi, de 1974 jusqu’à sa retraite en 2010. Il a été vice-président du Conseil de planification de l’État du Kerala de juin 2006 à mai 2011. Prabhat Patnaik est un fervent critique des politiques économiques néolibérales et de l’hindutva, et est connu comme un chercheur en sciences sociales d’obédience marxiste-léniniste. Selon lui, en Inde, l’augmentation de la croissance économique s’est accompagnée d’une augmentation de l’ampleur de la pauvreté absolue. La seule solution consiste à modifier l’orientation de classe de l’État indien.

»» https://italienpcf.blogspot.com/2024/02/ce-que-le-pib-cache.html
URL de cet article 39366
  

Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza.
Ramzy BAROUD
Comprenez, de l’intérieur de Gaza, comment le peuple palestinien a vécu la signature des Accords d’Oslo : les espoirs suscités et immédiatement déçus, la désillusion et la colère suscitée par l’occupation et la colonisation israéliennes qui continuent... La seconde Intifada, et la montée politique du Hamas... Né à Gaza en 1972, Ramzy BAROUD est un journaliste et écrivain américano-palestinien de renommée internationale. Rédacteur en chef de The Brunei Times (version papier et en ligne) et du site Internet (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Comment devenir un expert médiatique millionnaire :

- Ne jamais avoir la moindre idée de ce dont vous parlez.
- Avoir systématiquement tort sur tout.
- Ne jamais admettre qu’on vous a prouvé que vous aviez tort.
- Dire la vérité uniquement lorsque cela sert le pouvoir.
- Ne jamais recevoir d’invités de gauche ou anti-impérialistes.

Caitlin Johnstone

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.