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« Les États-Unis sont entrés dans un déclin irréversible et l’Amérique Latine court un danger »

Frédéric Lordon a rendu un oracle au sujet du système financier international. Cet économiste français, directeur de cherche au CNRS, auteur de dizaines de travaux mondialement reconnus et de plusieurs livres, a exposé les ressorts de la crise et de son résultat final - l’actualité - bien avant que les marchés mondiaux et le système bancaire international soient à genoux. Son dernier livre : [1], offre un diagnostic précis des racines qui ont conduites le système à l’abime des pertes méga-millionnaires et à l’intervention des États. En même temps, dans l’analyse technique des déviations du capitalisme apparaissent les lignes de l’avenir à l’horizon. Ces lignes sont déjà un présent dont l’effet s’est propagé sur toute la planète. Lordon ne doute pas de prédire un avenir critique, de récession, avec du chômage. Dans cet entretien, Lordon revient sur la « matrice » de la crise, analyse ses composants et réfute l’idée de ce que l’effondrement soit, comme plusieurs le rêvent encore, la fin du capitalisme.

La crise financière a donné lieu à une sorte de chant universel. Beaucoup d’analystes, économistes, idéologues et dirigeants politiques proclament que le capitalisme est arrivé à sa fin. Croyez-vous que cet énoncé est pertinent ?

Ni l’un ni l’autre. J’ai hélas de sérieux doutes sur le fait que l’épisode que nous vivons soit la fin du capitalisme. En général, les gens tombent dans une confusion conceptuelle entre le capitalisme et les configurations du capitalisme. Dans la réalité historique nous n’observons jamais le capitalisme. Nous observons toujours une configuration du capitalisme. Ces configurations changent dans l’histoire. Par exemple, en Europe, de 1945 à 1975 nous avons vécu une configuration du capitalisme. Cette configuration est entrée en crise et une autre s’est installée, qui est ce que nous pourrions nommer le capitalisme dérégulé avec une ligne financière forte. C’est cette configuration qui est en crise.

Tout semble être entre les mains de ceux qui luttent pour maintenir le schéma et de ceux qui, au contraire, veulent le réguler, le changer.

Oui, tout dépendra de la réaction des politiques. Dans ce contexte on peut craindre que, sous l’influence des groupes de pression de l’industrie financière, le système reste en vigueur grâce à un compromis discret, un compromis pour faire le minimum. Dans ce cas nous rentrerions dans une variante plus régulée de la configuration du capitalisme financier actuel.

L’autre discours à la mode est la célébration du retour de l’État.

Nous allons assister probablement à une modification de la proportion de l’État et du marché dans l’organisation économique des sociétés. Le marché a prouvé sa faillite absolue et il faudra en tirer des conclusions. Et puis, les pressions politiques, celles de l’opinion publique, seront très puissantes. Imaginez-vous que cela fait des années qu’ils nous disent qu’il n’y a pas cent millions d’euros pour financer la protection sociale mais, tout à coup, ainsi, de rien,ils peuvent trouver des centaines de milliers de millions d’euros d’un jour pour l’autre pour sauver des banques. Cela a eu un impact dans l’opinion publique. Je crois en effet que cette tendance du retour de l’État dans la réglementation et l’organisation de l’économie va se réaffirmer.

Comme vous le démontrez dans votre livre, l’actuel effondrement est une crise profonde de régulation.

Oui, c’est une crise spécifique, générique et singulière. Tout le problème de ce à quoi nous assistons provient du fait qu’on à laisser les marchés financiers faire ce qui leur faisait envie. Il y a eu une autonomie presque totale et une très faible réglementation. La finance s’est servie ainsi de cette liberté pour pousser la recherche de la rentabilité jusqu’aux extrêmes. En règle générale - et la bonne théorie financière le signale ainsi - quand la rentabilité est forte le risque est aussi important. On a cru que l’innovation financière avait permis de s’émanciper du risque. Il s’agit d’une erreur tragique. Il est évident que dans tout ce qui arrive ce qui est en jeu c’est l’instauration d’une réglementation. Mais j’ajoute que cette crise a une singularité que les autres n’ont pas eue. C’est une crise qui révèle les tendances profondes du régime d’accumulation du capital dans lequel nous sommes depuis 20 ans. Voila la nouveauté.

Dans ce contexte d’une nouvelle régulation, vous proposez quatre principes d’action et neuf propositions. Le premier principe consiste à empêcher la création de bulles financières.

C’est un élément fondamental. Les finances ont la capacité étonnante de créer une situation qui s’appelle « risques systémiques ». Et précisément, le risque systémique se traduit dans une sorte de séquestration des pouvoirs publics : les finances ont pris comme otage le pouvoir public. Donc, les marchés financiers ont une tendance spontanée à créer des bulles. Dès qu’une bulle se forme, c’est déjà trop tard, la bulle va exploser. En ce moment le risque systémique s’étend et les pouvoirs publics sont encore une fois otages de la situation. Si on veut éviter que des situations similaires se répètent, il faut détruire les causes qui produisent ces effets. Et les causes se trouvent dans la formation des bulles financières. Tout schéma pour réglementer les finances doit se fixer cet objectif stratégique : empêcher que se forment les bulles.

Deux des grandes questions qui restent en suspens, c’est qui va payer et dans quelles proportions l’économie réelle est endommagée.

C’est une question très douloureuse parce que l’économie réelle va payer très cher tout ce qui est arrivé. Et elle va le payer de deux manières : l’une, à travers ses contribuables. Les plans d’intervention publique, c’est-à -dire les nationalisations des banques, la recapitalisation, il n’y a aucun doute de que cela sort du budget de l’État. Mais c’est le moins douloureux. La vraie douleur viendra avec la récession qui accompagne la crise financière. Je crains que cette récession soit d’une gravité exceptionnelle. La diminution des rémunérations et l’explosion du chômage seront une authentique boucherie sociale. Les banques ont perdu de telles sommes, le marché du crédit interbancaire est dans une telle situation que le système bancaire est en train de mettre un terme aux prêts. Et aussitôt que les banques arrêtent de prêter de l’argent, la mortalité des entreprises devient foudroyante. Il y aura alors une vague gigantesque de faillite d’entreprises. Le choc va être très dur.

Et pour les pays comme l’Argentine : quelles sont les conséquences prévisibles ?

Je crois qu’il y a une phase de la crise dans laquelle nous sommes entrés récemment et qui est l’internationalisation. Je me réfère à ce qui est en dehors de la sphère étasunienne et européenne. Nous assistons par exemple à des tensions sur le marché des changes, les tensions monétaires, au-delà des États-Unis et de l’Europe. Cela ne me étonnerait pas que ces tensions arrivent en Amérique Latine. Le phénomène peut devenir similaire. Les institutions financières privées d’Occident qui ont besoin de liquidité, de fonds urgents, vont rapatrier leurs avoirs qui sont investis sur les marchés émergents et vont contribuer ainsi à la démolition de ces marchés.

Dans quelle mesure une crise financière comme celle-ci marque-t-elle le crépuscule de la superpuissance des États-Unis ?

L’ère de la superpuissance étasunienne est terminée. L’économie et la société étasunienne en tant que puissance sont entrées dans une dynamique du déclin irréversible. Les nouveaux pôles de puissance sont en Asie, en Chine. Dans un très court laps de temps, quatre ans, l’empire étasunien s’est brisé en deux côtés distincts : L’Irak et la crise financière.

Par Eduardo Febbro
Página 12 . Paris, le 19 Octobre 2008.

Traduction pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi

http://www.elcorreo.eu.org/article.php3?id_article=4208

[1] Jusqu’à quand ? L’éternel de la crise financière" de Frédéric Lordon.
ISBN : 2912107423.
Raisons D’agir, Octobre 2008.

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