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Au Moyen-Orient, le meurtre de masse est financé par nos amis saoudiens

Chacun sait d’où provient l’argent d’al-Qaïda, mais alors que la violence est sectaire, l’Occident ne fait rien. On sait que les donateurs en Arabie Saoudite ont joué un rôle crucial dans la création et le maintien de groupes djihadistes sunnites ces trente dernières années. Mais quelle que soit la détermination supposée des États-Unis et de leurs alliés, depuis le 11 septembre, à mener « la guerre contre le terrorisme », ils ont fait preuve d’une retenue surprenante quand il s’est agi de presser l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe de fermer le robinet financier qui maintient les djihadistes en activité.

Comparons deux déclaration étatsuniennes soulignant la signification de ces donations et basant leurs conclusions sur les meilleurs renseignements disponibles au gouvernement des Etats-Unis. La première se trouve dans le Rapport Final [ de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis], qui établit que Oussama ben Laden ne finançait pas al-Qaïda car depuis 1994 il avait peu d’argent en propre, mais qu’il comptait sur ses liens avec des Saoudiens nantis, noués pendant la guerre afghane dans les années 1980. Citant parmi d’autres sources un rapport analytique de la CIA daté du 14 novembre 2002, la Commission concluait que : « al-Qaïda semble avoir compté sur un groupe restreint de facilitateurs financiers qui levaient des fonds chez divers donateurs et d’autres collecteurs de fonds principalement dans les pays du Golfe et en particulier en Arabie saoudite ».

Sept années se passent après le rapport de la CIA, pendant lesquelles les États-Unis envahissent l’Irak, luttant notamment contre la concession de al-Qaïda nouvellement établie en Irak, et s’engagent dans une guerre sanglante en Afghanistan avec les talibans ressuscités. Des drones étasuniens sont tirés sur des cibles supposées liées à al-Qaïda, situées un peu partout depuis le Waziristan, dans le nord-ouest du Pakistan jusqu’à des villages des collines du Yémen. Mais pendant tout ce temps, Washington ne réussit qu’à adresser quelques reproches polis à l’Arabie saoudite pour avoir fait la promotion de militants sunnites fanatisés et sectaires hors de ses propres frontières.

La preuve en est un très étonnant télégramme sur « la finance terroriste » adressé par la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton à des ambassades étatsuniennes, daté du 30 décembre 2009 et publié par Wikileaks l’année suivante. Elle déclare fermement que « des donateurs en Arabie saoudite constituent la source de fonds la plus importante aux groupes terroristes sunnites dans le monde entier ». Huit années après le 11 septembre, et alors que 15 des 19 pirates de l’air étaient des Saoudiens, Mme Clinton réitère ce même message : « que l’Arabie saoudite reste un soutien financier capital pour al-Qaïda, les talibans, Let [Lashkar-e-Taiba au Pakistan] et d’autres groupes terroristes ». L’Arabie saoudite a été le plus important soutien de ces groupes, mais elle n’était pas toute seule puisque « al-Qaïda et d’autres groupes continuent à exploiter le Koweït à la fois comme source de financement et comme point de transit clé ».

Pourquoi les États-Unis et leurs alliés européens traitent-ils l’Arabie saoudite avec tant de réserve alors que le royaume était si capital pour al-Qaïda et d’autres organisations sunnites djihadistes encore plus sectaires ? L’explication qui saute aux yeux est que les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres ne voulaient pas offenser leur allié proche et que la famille royale saoudienne avait judicieusement utilisé son argent pour acheter son entrée dans la classe dirigeante internationale. Il y a eu des tentatives peu convaincantes de lier l’Iran et l’Irak à al-Qaïda, alors que les vrais coupables étaient juste sous nos yeux.

Mais il y a une autre raison flagrante pour laquelle les puissances occidentales ont tant traîné à dénoncer l’Arabie saoudite et les dirigeants sunnites du Golfe pour avoir répandu le sectarisme et la haine religieuse. Les membres d’al-Qaïda ou les groupes influencés par al-Qaïda ont toujours eu deux opinions très différentes pour désigner qui est leur ennemi numéro 1. Pour Oussama ben Laden, le principal ennemi, c’étaient les Étasuniens mais pour la grande majorité de djihadistes sunnites, y compris les franchisés de al-Qaïda en Irak et en Syrie, la cible, ce sont les chiites. Ce sont les chiites qui sont morts par milliers en Irak en Syrie, au Pakistan et même dans des pays où il y en a peu à tuer comme en Egypte.

Les journaux pakistanais ne prêtent plus guère attention aux centaines de chiites qui sont massacrés de Quetta à Lahore. En Irak, la majorité des plus de 7.000 personnes tuées cette année sont des civils chiites tués par les bombes d’al-Qaïda en Irak, qui fait partie d’une organisation-mère appelée ISIL (Etat Islamique d’Irak et du Levant), qui inclut aussi la Syrie. En Lybie à prédominance sunnite, des militants de la ville de Derna, dans l’est, ont tué un professeur irakien qui avait reconnu sur vidéo qu’il était chiite, avant d’être exécuté par ses ravisseurs.

Supposons qu’un centième de ces massacres impitoyables ait été commis directement sur des cibles occidentales plutôt que contre des musulmans chiites, les Américains et les Britanniques auraient-ils été aussi accommodants envers les Saoudiens, les Koweïtiens et les Emiratiens ? C’est cela même qui donne la mesure de l’hypocrisie des énormes bureaucraties de la sécurité, à Washington et à Londres, qui se targuent de leurs succès à combattre le terrorisme, justifiant ainsi de gros budgets pour eux-mêmes et des libertés civiles restreintes pour tous les autres. Tous les drones dans le monde tirés sur des villages pachtounes au Pakistan ou sur leurs homologues au Yémen ou en Somalie ne feront guère de différence si jamais les djihadistes sunnites en Irak et en Syrie décident, comme Oussama ben Laden le fit avant eux – que leurs principaux ennemis se trouvent non pas parmi les chiites, mais aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Au lieu des plastiqueurs amateurs maladroits à la chaussure ou au slip ; les services de sécurité auraient à affronter des mouvements djihadistes en Irak, en Syrie et en Lybie déployant des centaines de faiseurs de bombes et de kamikazes. C’est seulement cette année-ci, peu à peu, que des vidéos de Syrie montrant des non-sunnites décapités pour des motivations uniquement sectaires ont commencé à remuer l’indifférence fondamentale des puissances occidentales face au djihadisme sunnite, qui était de mise aussi longtemps qu’elles étaient à l’abri d’attaques directes.

En tant que gouvernement, l’Arabie saoudite est restée longtemps à la traîne du Qatar pour financer les rebelles en Syrie, et c’est seulement depuis l’été dernier qu’ils ont repris le dossier. Ils souhaitent marginaliser les franchisés de al-Qaïda comme Isil et le Front al-Nusra en achetant et armant suffisamment de groupes de combattants sunnites pour renverser le président Bashar al-Assad.

Les dirigeants de la politique saoudienne en Syrie – le ministre des Affaires Etrangères, le prince Saoud ben Fayçal, le chef des services secrets saoudiens le prince Bandar ben Sultan et le vice-ministre de la Défense le prince Salman ben Sultan – projettent de dépenser des milliards pour lever une armée sunnite militante forte de 40.000 à 50.000 hommes. Déjà les seigneurs de la guerre s’unissent pour se partager les largesses saoudiennes qui suscitent probablement plus leur enthousiasme que le désir de combattre.

L’initiative saoudienne se nourrit en partie de la colère de Riyad devant la décision du président Obama de ne pas partir en guerre contre la Syrie après qu’Assad eut utilisé des armes chimiques le 21 août. Seule une attaque aérienne totale des États-Unis, comme celle de l’OTAN en Lybie en 2011, pourrait renverser Assad, si bien qu’ils ont absolument décidé de s’abstenir pour le moment. La colère saoudienne a été encore plus exacerbée par le succès des négociations menées par les États-Unis sur un accord intérimaire avec l’Iran touchant son programme nucléaire.

En sortant de l’ombre en Syrie, les Saoudiens commettent probablement une erreur. Leur argent ne pourra pas leur acheter autant. L’unité artificielle de groupes rebelles aux mains tendues vers l’argent saoudien ne durera pas. Ils seront discrédités aux yeux des djihadistes plus fanatiques ainsi que des Syriens en général en tant que pions des services secrets saoudiens ou autres.

Une opposition divisée sera encore plus fragmentée. La Jordanie peut s’adapter aux Saoudiens et à une multitude de services secrets étrangers, mais elle ne voudra pas être le lieu de ralliement pour une armée anti-Assad.

Le plan saoudien semble compromis dès le départ, même s’il pourrait encore faire tuer beaucoup d’autres Syriens avant d’échouer. Yazid Sayegh du Centre Carnegie pour le Moyen-Orient résume ainsi les risques que présente l’entreprise : « L’Arabie saoudite pourrait se retrouver en train de répéter son expérience en Afghanistan, où elle a construit des groupes disparates de moudjahidin à qui manquait un cadre politique les unifiant. Les forces se sont trouvées incapables de gouverner Kaboul après l’avoir prise, pavant la route aux talibans qui allaient prendre le relais. Al-Qaïda a suivi, et par la suite le contrecoup a atteint l’Arabie saoudite ».

Patrick Cockburn
Information Clearing House, December 10, 2013.

Traduction : Anne Meert pour Investig’Action.

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