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Burlesque, sur un instant « tanné »

« Sommes-nous bien loin de Montmartre ? » Loin de l’édifice érigé comme un pâté en croûte pour rappeler à la populace que faute d’avoir vaincu la Prusse, l’armée de Versailles était venue à bout des Français ?

« Sommes-nous loin de Montmartre » ?

Dehors, c’est la jacquerie, comme au temps d’Azincourt. Les Jacques Bonhomme errent dans les rues. Contre eux, on a rouvert les citadelles, on a levé les herses, abaissé les pont-levis, lâché les mercenaires casqués, bottés, cuirassés de bourrelets noirs. A l’abri des boucliers, la tortue déferle, matraques en l’air. Flash-ball dégainés, grenades aux poings, on frappe, on gaze, on aveugle, on assourdit, on asphyxie, on mutile. Des victimes s’écroulent, un œil perdu, ensanglanté, une vieille dame gît à terre impuissante à se relever, un homme debout bras écartés reçoit au ventre un tir tendu ! La foule crie, s’affole, tangue, reflue, cherche une issue. La passerelle Senghor est barrée, on ne passe pas !

A la télévision, les orateurs ânonnent. Les téléspectateurs ingurgitent les purges des diffuseurs de « com » (apocope favorite) . Des masses vont et viennent à l’écran. Frappez ! Au nom de la loi, frappez au nom de l’aloi ! Les combats s’encrassent, uniforme noir contre uniforme jaune, un lutte picaresque entre demi pauvres et pauvres, les uns armés, les autres pas. Dans le donjon, entre Oedipus Rex et le Curé de Cucugnan, le chef s’englue dans une indécision sans échéance autre que l’essoufflement des sans-argent...Tout ronfle... Tout ronronne... Et...

... La télévision reste à quia, les commentateurs bec ouvert sans le son ! Les mercenaires eux-mêmes retiennent leur souffle ! Un intrus a surgi, mur des balivernes crevé. Un homme inattendu en premier plan a franchi le garde-fou de la passerelle Senghor, surpris la caméra, un homme ému par la détresse d’une foule et d’une femme tabassée sous ses yeux, un homme vient de réveiller l’image et court vers les manifestants, un homme simplement...

Les mercenaires accusent un temps de retard. L’homme les affronte, sans mâchoire d’âne, les poings en posture de boxeur ! Et il avance ! Le premier mercenaire encaisse les coups sur son bouclier transparent, sur son masque et son casque, un camarade se cache derrière lui, un troisième s’esquive ! Le mur s’effiloche, la passerelle se vide ! Il a suffi d’un homme pour que, sur les téléviseurs, s’affiche la vérité d’un pouvoir décrépit en position fœtale comme le Kerenski d’Eisenstein. La domesticité dérape. Sommes-nous si loin de Montmartre, dis ? Un gladiateur qui se battait pour vivre sur un ring, renonce au cadre théâtral, s’engage dans un combat réel pour protéger les humbles. Les mensonges empilés comme des bidons de chamboule-tout s’effondrent, révèlent un pouvoir faux, peuplé de fantoches, bénéficiaires du privilège de présomption d’innocence quoi qu’ils fassent, entre presse et justice aux ordres. La messe est dite. Les pauvres emportent l’assaut burlesque, même si l’éter-niquée va s’échiner à les berner sans fin à coups de morale sur les territoires pipés de la pyramide complice.

Crachez ! Ave Caesar ! Même la séquence directe, on ne la diffuse plus, on opère déjà un « montage » ! Dis-moi, sommes-nous très loin de Montmartre ?

Le boxeur héroïque est parti. Sortant de chez moi, je tombe en arrêt devant une publicité Decaux qui représente un boxeur en garde. La vulgarité récupère le mythe : « Avec les chercheurs aidez-nous à mettre Alzheimer K.O. » Un anonyme a tagué le nom du président au feutre noir sur « Alzheimer ». La droite se resserre : 5% d’appuis glanés en deux jours. Dans les médias, les hyènes assurent la glose. Alors qu’il a suffi d’un homme pour détricoter le meccano ?

Burlesque ! Peu importe la suite à venir, le rapport de violence du fort au faible, au risque de faire du héros un martyr : la vérité de l’imaginaire écrasera toujours et définitivement le compte-rendu « objectif ». Les raisonnements s’imposent. Si attaquer un mercenaire c’est attaquer la République, c’est attaquer son président. Dans ce cas, ouvrir des débats pour quoi faire ? Durer ? Noyer le poisson ? Le message est pourtant clair : c’est au président qu’il s’adresse ! Alors ce commandant qui roue de coups et s’acharne sur un manifestant arrêté, incarne-t-il aussi la République et le président ? Et si le mercenaire est également un homme, ce commandant à qui s’en prend-il ?

Un mannequin ?

Tout branle. Un instantané a suffi à vilipender l’injustice, clamer comme l’enfant du conte, que l’empereur aux « habits neufs », est tout nu. Le temps d’une tannée, d’un instant tanné, le temps qu’un Spartaccuse...

La passerelle est déserte, les passereaux sur la rambarde.

« Dis-moi, sommes-nous bien loin de Montmartre ? »

Les institutions font de la surenchère. Spontanément, une cagnotte ouverte recueille 100 000 euros par solidarité pour le boxeur et sa famille... La droite brait ! Ah non ! Une classe aux poches pleines se vautre dans le grotesque : on est les plus forts, on fait mieux ! Et pour elle, « mieux » c’est « plus » : elle accumule 3 millions 300 000 euros pour les familles des mercenaires blessés, sans mesurer que cette quête confirme les accusations de collusion entre elle et le gouvernement. Les fonctionnaires incarnent la République. Et le président. Représentent-ils aussi la classe qui tend à leur donner de l’argent ? Sont-ils autorisés même à le recevoir ? On n’est plus au dix-neuvième siècle, on ne bâtira une basilique pour matérialiser la domination des possédants sur les matés. Un million trois cent mille euros : un monument bancaire, virtuel, à la télévision. Un monument.

« Sommes-nous si loin de Montmartre ? » *

* Les vers de Cendrars (1913) me plaisaient. Ils sont venus les premiers. Après, je me suis demandé pourquoi.

»» http://federations.fnlp.fr/spip.php?article1919
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Eric Hazan. Changement de propriétaire. La guerre civile continue. Le Seuil, 2007
Bernard GENSANE
Très incisif et très complet livre du directeur des éditions La Fabrique (qui publie Rancière, Depardon, Benjamin etc.), ce texte n’est pas près de perdre de son actualité. Tout y est sur les conséquences extrêmement néfastes de l’élection de Sarkozy. Je me contenterai d’en citer le sombrement lucide incipit, et l’excipit qui force l’espoir. « Dimanche 6 mai 2007. Au bureau de vote, la cabine dont on tire les rideaux derrière soi pour mettre son bulletin dans l’enveloppe s’appelle un (…)
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