RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Colombie : La propagande des médias concernant la guerre à la drogue, par Garry Leech - Colombiajournal .


Colombiajournal, 23 janvier 2006.


La semaine passée les correspondants des médias dominants basés en Colombie ont servi la propagande de la soi-disant guerre à la drogue menée par Washington dans ce pays sud-américain. Après la mort le mois dernier de 29 militaires tués par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), le président Alvaro Uribe était décidé à montrer aux Colombiens et au monde que son gouvernement est en train de l’emporter dans le guerre civile et dans la guerre à la drogue.

Cependant, pour que son message soit diffusé de façon efficace, Uribe avait besoin de la collaboration des médias internationaux. Pas de problème. Tout ce qu’il avait à faire c’était de planifier une offensive anti-narcotiques et de demander aux militaires un tour pour la presse [junket] pour transporter les correspondants étrangers de Bogotá à la zone d’opération. Inévitablement les journalistes dorlotés allaient citer les officiers de l’armée chargés de l’opération et allaient présenter de façon favorable un aspect du problème. Le 19 janvier l’armée colombienne a arrangé un tour pour la presse pour les journalistes de Reuters et de Associated Press pour aller couvrir l’éradication manuelle des plants de coca dans le Parc National de La Macarena, dans le sud-est de la Colombie. Les deux journalistes ont informé du lancement de l’opération de façon complaisante bien qu’ils ne fussent apparemment pas d’accord sur le nombre de troupes impliquées (c’était 3000 soldats selon AP, et 1500 soldats et policiers selon la version de Reuters). Les deux articles ne reportaient que le point de vue de l’armée colombienne sur cette opération d’éradication de la plante de coca.

Le lendemain, plus de 50 publications dans le monde, y compris de nombreux quotidiens états-uniens, ont rendu compte de ces deux dépêches des agences. Le titre impartial de Reuters était le suivant : « La Colombie commence à nettoyer la coca le Parc National ». Le titre de la version AP cependant ressemblait à un communiqué du gouvernement colombien ou de l’ambassade états-unienne : « La Colombie se réapproprie une région infestée par la coca ». A aucun moment dans ces deux articles aucun des militaires qui a organisé le tour pour la presse [junket] explique ce que le gouvernement fait, s’il fait quelque chose, pour les quelque 5000 agriculteurs dont les moyens de subsistance sont détruits. A aucun moment dans ces deux articles il n’y a la moindre citation de propos émis par les paysans qui sèment la coca. Cela pourrait aider le lecteur à comprendre dans quelle mesure l’opération affecte les paysans et leurs familles et ce que ces derniers pensent de l’opération militaire. Et à aucun moment dans les articles il n’y a la moindre citation des FARC, expliquant leur point de vue sur l’opération militaire, supposée viser les sources de financement de cette organisation insurgée.

Les tours pour la presse [junkets] officiels, régulièrement organisés par le gouvernement colombien et par l’ambassade états-unienne sont un moyen pratique pour les correspondants basés à Bogotá pour visiter les lointaines régions rurales affectées par le conflit interne. Le problème, cependant, c’est que les journalistes sont transportés pour passer quelques heures avec des officiels qui leur offrent un article pré-emballé. Inévitablement la ligne officielle s’impose dans le compte-rendu. De leur côté, le gouvernement colombien et l’ambassade des Etats-Unis sont parfaitement conscients de la situation de dépendance totale des médias dominants quant aux sources officielles. Ils tiennent donc régulièrement des conférences de presse officielles et des officiers sont utilisés pour les actes publics, comme par exemple pour l’ouverture d’une nouvelle usine, ou à l’occasion d’une nouvelle opération militaire. Les officiels du gouvernement savent parfaitement que les médias couvriront ces actes de façon disciplinée parce qu’ils permettent de produire des articles convenables ; mais il y a peu de chances pour qu’un officiel dise quelque chose qui ait la valeur d’une nouvelle. Tous les correspondants étrangers basé en Colombie se présentent souvent à ces actes pour ne pas être le seul à ne pas rendre compte de la « nouvelle », ce qui signifie que paraîtront le lendemain des versions presque identiques du même reportage. Les officiels du gouvernement savent que s’ils occupent quotidiennement avec des nouvelles pré-emballées qui montrent le gouvernement sous un jour positif, les journalistes seront trop occupés pour pouvoir mener un véritable journalisme d’investigation qui pourrait soulever de véritables questions sur des thèmes importantes.

La couverture du conflit colombien, comme pour d’autres sujets importants, ne doit pas se réaliser de cette façon. Les correspondants devraient travailler plus indépendamment et ne pas accepter passivement de se laisser orienter par les officiels du gouvernement. Deux, trois, quatre ou même cinq correspondants étrangers couvrant une conférence de presse de l’ambassadeur états-unien, par exemple, ne peut mener qu’à la publication de cinq articles presque identiques. Par contre un journaliste pourrait couvrir un événement comme une conférence de presse (et zéro si le gouvernement ne peut pas convaincre les médias qu’il va aborder un sujet important), cependant que les autres correspondants seraient libres de mener des investigations sur d’autres affaires. Le résultat pour le public serait une couverture beaucoup plus rationnelle de la Colombie. L’excessive dépendance des médias dominants vis-à -vis des sources officielles, voici l’une des raisons qui font que les journalistes indépendants et alternatifs suivent plus particulièrement les nouvelles et les points de vue généralement ignorés par leurs collègues des grandes entreprises médiatiques.

Dans le cas des articles de Reuters et AP la semaine passée, les journalistes n’auraient pas dû baser la totalité de leurs articles sur le tour pour la presse officiel. Ils auraient dû voyager de façon indépendante vers la région, et mener une enquête plus profonde et plus étudiée de l’opération au lieu de simplement jouer le rôle de service de propagande des gouvernements colombien et états-unien. Une telle stratégie leur aurait permis de parler à des paysans cocaleros affectés par l’opération, d’interroger des membres des FARC (si ces derniers l’avaient bien voulu) et de sentir la situation sur le terrain au-delà des confins de leur garde militaire officielle.

Si les tours pour la presse [junkets] offrent un accès rapide, aisé et sûr à une nouvelle, ils affaiblissent la responsabilité journalistique qui est d’enquêter en profondeur sur un thème et d’éviter de dépendre d’une source unique. Bien que travailler de façon indépendante puisse parfois être dangereux dans un pays frappé par un conflit comme la Colombie, la réalité c’est que les journalistes basés dans ce pays d’Amérique du sud sont des correspondants de guerre et qu’ils ont la responsabilité de couvrir le conflit de façon rationnelle. Un article basé presque exclusivement sur quelques heures de présentation officielle mâchée ne peut pas être considéré comme relevant du journalisme. En fait, ce n’est rien de plus que de la propagande officielle.

Garry Leech


- Source : Colombiajournal
www.colombiajournal.org/colombia225.htm

- Traduction : Numancia Martà­nez Poggi


Colombie : les groupes paramilitaires font la loi dans les quartiers sensibles de Bogota et déciment la population de jeunes Colombiens.

Colombie : le massacre de Betoyes, par Eric Fichtl.

« La Colombie vit un coup d’Etat permanent », par Benito Perez.


Otages en Colombie : La vérité à propos des contacts entre la France et les FARC-EP, par Carlos Lozano Guillen.

Réaction à l’article sur Ingrig Betancourt dans le N°1 de l’écorégion, par J. C. Cartagena.

Colombie : L’échec du Plan « Patriota » qui avait pour objectif l’anéantissement des FARC, par Miguel Urbano Rodrigues.

Colombie - Les FARC-EP : Une exception révolutionnaire aux temps de l’expansion impérialiste, par James J. Brittain.



URL de cet article 3257
  

Même Thème
Tais toi et respire ! Torture, prison et bras d’honneur
Hernando CALVO OSPINA
Équateur, 1985. Le président Febres Cordero mène une politique de répression inédite contre tous les opposants. En Colombie, le pays voisin, les mêmes méthodes font régner la terreur depuis des décennies. Équateur, 1985. Le président Febres Cordero mène une politique de répression inédite contre tous les opposants. En Colombie, le pays voisin, les mêmes méthodes font régner la terreur depuis des décennies. Quelques Colombiennes et Colombiens se regroupent à Quito pour faire connaître la violence et (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Si notre condition était véritablement heureuse, il ne faudrait pas nous divertir d’y penser.

Blaise PASCAL

La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.