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Colombie : Lettre Ouverte à José Saramago

Le Prix Nobel souffre d’une bizarre amnésie historique

22 décembre 2004

Cher José Saramago,

Ces derniers jours la Colombie (infâme pour ses escadrons de la mort patronnés par le gouvernement et ses massacres de paysans) est devenue le lieu favori d’où certains des intellectuels les plus connus du monde occidental se livrent à des dissertations morales pour condamner la Révolution Cubaine (Susan Sontag) et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (Monsieur José Saramago). Permettez-moi de vous dire d’emblée que je n’ai aucune objection à ce que vous fassiez la promotion de votre dernier livre partout dans le monde, pour autant que cela n’implique pas d’attribuer des bons points à un régime responsable de milliers de morts et de 2 millions de paysans déplacés.

Comme homme auto-proclamé de la gauche, vous êtes non seulement bien informé et familier de la politique dans le monde, mais en particulier de celle de l’Amérique latine que vous avez souvent visité, y donnant des conférences, vous avez écrit à son sujet, vous y avez parlé avec de nombreux journalistes, intellectuels, personnalités politiques et autres "faiseurs d’opinion". Lorsque vous parlez, interprétez et jugez des politiciens, des groupes politiques et des pays, vous le faites sur la base de votre sélection des faits et des opinions qui coïncident avec vos valeurs et vos intérêts. Vous ne parlez pas dans l’ignorance mais à partir d’une perspective idéologique de laquelle vous formulez vos jugements.

Au cours de votre séjour en Colombie vous avez rejeté les deux guérillas, les FARC et l’ELN : "En Colombie il n’y a pas de guérillas, mais simplement des bandes armées". Vous avez prétendu qu’ils ne sont pas de vrais communistes parce qu’"ils se consacrent aux enlèvements, aux assassinats, violant les droits humains". Vous accordez généreusement que "peut-être au début ils étaient (communistes) mais plus maintenant". Vous convenez ensuite qu’une lutte de guérilla n’est justifiée que quand "un pays est occupé par un envahisseur étranger, le peuple devant s’organiser pour résister".

Saramago, comme vous le savez bien, il y a de nombreuses raisons qui amènent un peuple à se rebeller pour renverser ses oppresseurs : dictateurs militaires, régimes civils criminels, propriétaires fonciers et leurs escadrons de la mort, etc. Vous vous souvenez certainement de la résistance armée contre Franco, du renversement réussi de la dictature portugaise en 1974, de même que des guérillas populaires de résistance en Amérique Centrale contre les tyranniques "régimes civils" du Nicaragua, du Salvador et du Guatemala. Ou pensez-vous que les guérillas de Zapata, Farabundo Marti et Fidel Castro conduisaient des "bandes armées" parce qu’ils ont échoués à suivre vos préceptes de voter "en blanc" ? Ils ne sont pas rebellés contre un envahisseur étranger (encore que le capital étranger, les conseillers militaires et les armes sophistiquées abondaient). J’ai peur que votre critère politique en vienne à nier les grandes figures et événements émancipateurs du 20ème siècle. Ces référents révolutionnaires continueront à informer des millions de personnes luttant contre les tyrans longtemps après que vos interviews et opinions auront été relégués dans les poubelles de l’histoire.

Mais laissons de côté pour un moment votre bizarre amnésie historique. Parlons des guérillas en Colombie, en particulier des FARC. Les FARC ont été formées par 46 activistes paysans en 1964 qui, après de nombreux efforts pour bâtir des communautés productives, ont souffert de persécution et assisté aux destructions par les militaires de leurs récoltes, maisons, animaux, en même temps qu’étaient assassinés leurs familles, amis et voisins. Tout cela se produit sous un régime civil élu, oligarchique et répressif, sûr de lui, sous un commandement colombien conseillé par les Forces Spéciales nord-américaines. Auraient-ils dû se verser les cendres sur leurs têtes, cachés dans le buisson et attendre la prochaine élection pour déposer un vote blanc ? Garantiriez-vous leurs vies sur la route du bureau de vote ? Oui, vous l’avez reconnu, au début, elles l’étaient (communistes). Les FARC pourraient bien être devenues communistes mais plus tard, non ? Vingt ans plus tard les FARC conclurent un accord de paix avec le président d’alors, Betancourt, d’où il résulta que de nombreux de ses militants et plusieurs de ses dirigeants purent former un parti électoral, l’Union Patriotique, et participer aux élections à la présidence et au congrès. Entre 1984 et 1989 plus de 5.000 militants et candidats aux élections furent assassinés par l’armée colombienne, la police et les escadrons de la mort, y compris deux candidats présidentiels populaires. Les FARC retournèrent à la lutte armée.

Est-ce à ce moment-là qu’ils cessèrent d’être communistes ? Auraient-ils dû alors se tourner vers "les votes blancs" ? D’où, de l’exil ? De Lisbonne ? Il est clair, pourtant, que les guérillas sont retournées aux activités armées parce qu’il n’y avait pas d’autre voie pour survivre et continuer la lutte pour ce que vous appelez "une démocratie efficace" et contre les "ploutocrates économiques"que vous condamnez verbalement. En 1999-2001 les FARC acceptèrent une nouvelle fois de suspendre la lutte de guérilla et d’engager des négociations avec le régime de Pastrana. Ils exigèrent une zone démilitarisée, sans paramilitaires ni troupes de l’armée. Ils proposèrent un programme politique comportant une réforme agraire, le contrôle public national des ressources stratégiques, ainsi qu’un programme massif de travaux publics pour engendrer des emplois. Ce programme a été mis sur la table des négociations et est devenu la base d’un accord de justice et de paix. Vous v ous souvenez sûrement de ces jours, c’était il y a un peu plus de dix ans et seulement 8 années plus tard vous étiez honorés avec le Prix Nobel.

Vous vous souvenez sûrement que les FARC réalisèrent une série de forums publics et d’ateliers et invitèrent des universitaires, des syndicalistes, des fermiers et des hommes d’affaires pour présenter des documents et des propositions. Vous vous rappelez sûrement de ces réformes, en particulier de la proposition de démilitariser le pays de part et d’autre. Docteur Saramago, comme écrivain savant de ce monde, vous savez que les "bandes armées" ne convoquent pas des forums, et n’écoutent ni n’acceptent les propositions de sources plurielles pour faire de la Colombie une démocratie efficace.

Avec l’appui du gouvernement nord-américain le régime de Pastrana a brutalement rompu les négociations et déclenché une attaque contre la zone démilitarisée. Les guérillas et leurs partisans paysans auraient-ils dû répondre en se préparant à émettre des "votes blancs" ? Auraient-ils survécu ? Est-ce à ce moment-là , selon vous, que les guérillas se seraient converties en "bandes armées, ravisseurs et assassins ?". Je suis sérieux, Saramago. Je voudrais que vous me répondiez parce que les propositions des FARC pour une réforme agraire et la démilitarisation ont le soutien de millions de paysans, dépossédés et torturés par le gouvernement colombien que vous avez refusé de nommer, en renvoyant obliquement à la "situation en Colombie". Pourquoi une telle discrétion pour parler d’un gouvernement comme celui de l’actuel président terroriste Uribe, qui a lancé une politique de terre brûlée dans toute la campagne ? José, pourquoi ce silence concernant Uribe ? Pourquoi ne pas condamner la présence nord-américaine massive en Colombie : 3 milliards de dollars d’aide, 800 conseillers militaires, une douzaine de bases militaires et plusieurs milliers de mercenaires payés par le Pentagone ? Cela ne fait-il pas une "invasion étrangère" ? Ou vous faut-il 10 milliards de dollars et cinq divisions de Marines pour appeler cela une occupation militaire nord-américaine et considérer les FARC et l’ELN comme d’authentiques mouvements de guérilla et non des "bandes armées" de maraudeurs et d’assassins ? Je ne suis pas désolé de vous écrire de cette manière directe et insolente qui ne tient pas seulement à mon style mais est une conséquence de l’énorme dommage politique que vous avez causé. Les termes que vous avez utilisé pour calomnier les guérillas font écho à la réthorique du Pentagone, d’Uribe et du reste de l’oligarchie colombienne.

Je vais finir en vous disant ce que je pense.

Les guérillas, les FARC et l’ELN sont aujourd’hui et ont toujours été des guérillas. Elles sont armées parce qu’elles ont à l’être, parce que la Colombie a besoin de changements basiques et que le système n’autorise pas d’autres moyens, y compris des élections se déroulant sans terreur et intimidation. Vous avez le droit d’avoir votre opinion, mais les circonstances, le contexte et la substance de vos remarques ne peut que renforcer les leaders terroristes et les forces militaires en Colombie. Vous vous déclarez communiste, mais il y a beaucoup de types de "communistes" aujourd’hui : ceux qui ont volé le patrimoine public de la Russie et sont devenus des notables oligarchiques ; ceux qui collaborent avec le régime colonial US en Iraq ; ceux qui ont lutté durant quarante ans dans les usines, les forêts et les campagnes de Colombie pour une société sans classes ; et il y a ces "communistes" qui craignent le problème (impérialisme) et craignent la solution (révo lution populaire) et en font une question de préférences personnelles.

Les idées ont, comme vous le savez, vous tout particulièrement, des conséquences, Docteur Saramago, dont les propos sont attendus par des millions de vos adeptes littéraires. Pensez avant de parler de "bandes armées" que vous êtes en train de justifier l’assassinat de milliers et de milliers de Colombiens qui ont fait le choix du chemin le plus difficile et le plus dangereux pour l’émancipation de leur pays. Dans un passé récent nous avons partagé des opinions et des positions. J’ai perdu ma confiance et mes espoirs en vous. Vous avez trahi mes espérances.

Vous suivez votre chemin et je suis le mien.

Sans peine ou regrets,

James Petras

James Petras, ancien professeur de sociologie à l’Université Binghamton de New York, est engagé depuis 50 ans dans la lutte de classe, il conseille les sans-terre et les chômeurs au Brésil et en Argentine, et est l’auteur, avec Henry Veltemeyer, de "Globalization Unmasked" (Zed). Ce livre important est paru en français sous le titre "La face cachée de la mondialisation (Parangon, Paris, 2002).

 Source : www.counterpunch.org/petras12222004.html

 Traduit de l’anglais par Gérard Jugant pour Révolution Bolivarienne N° 8 ( à paraitre)

Washington interdit à James Petrasde voyager à Cuba

Le politologue nord-américain James Petras a été empêché par le Département d’État de son pays de voyager à Cuba, dénonce la publication électronique La Jirbilla.

Petras doit assister en 2005 à la 14e Foire internationale du livre de La Havane (du 3 au 13 dévrier prochain) et à la 8e Rencontre internationale des économistes sur la globalisation et les problèmes du développement (du 7 au 11 du même mois). Washington interdit à James Petras
de voyager à Cuba
 [1]

[1LE politologue nord-américain James Petras a été empêché par le Département d’État de son pays de voyager à Cuba, dénonce la publication électronique La Jirbilla.

Petras doit assister en 2005 à la 14e Foire internationale du livre de La Havane (du 3 au 13 dévrier prochain) et à la 8e Rencontre internationale des économistes sur la globalisation et les problèmes du développement (du 7 au 11 du même mois).

L’information, donnée par Petras lui-même, précise que l’universitaire regrette de ne pas pouvoir voyager à Cuba comme il l’a fait à d’autres occasions, à cause de l’interdiction expresse de Washington.

L’intellectuel étasunien et militant de gauche a fait ses études de sociologie et de philosophie à l’Université de Berkeley, dans l’État de Californie, et a été invité dans des centres d’études supérieures latino-américains et européens.

Pour ce professeur de la Binghamton University de New York, la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA) constitue une nouvelle colonisation de l’éducation et de la pédagogie de l’oppression.

Il s’est joint à la foule des personnes honnêtes du monde entier opposées à l’invasion et à l’occupation de l’Irak par les États-Unis et pour dénoncer l’hostilité de la Maison-Blanche contre La Havane comme prélude à une éventuelle aggression contre Cuba.

Petras a mené diverses études sur l’ordre économique, politique et social établi par les grands centres de pouvoir, une analyse qui lui a valu la reconnaissance dans le domaine des Sciences sociales en Amérique latine et dans le monde.

Parmi ses analyses politico-sociales ressortent L’Argentine et la faim, Le groupe des exclus, et 2003 : une année de guerres impériales, crise économique et soulèvements populaires.

L’interdiction de voyager imposée à l’intellectuel nord-américain se produit dans le cadre des mesures approuvées par le président George W. Bush en juin dernier, qui ont durci encore plus la politique de blocus économique, commercial et financier que les États-Unis mènent depuis le début des années 60 contre Cuba. (PL) Source : Granma.


URL de cet article 1996
   
La télécratie contre la démocratie, de Bernard Stiegler.
Bernard GENSANE
Bernard Stiegler est un penseur original (voir son parcours personnel atypique). Ses opinions politiques personnelles sont parfois un peu déroutantes, comme lorsqu’il montre sa sympathie pour Christian Blanc, un personnage qui, quels qu’aient été ses ralliements successifs, s’est toujours fort bien accommodé du système dénoncé par lui. J’ajoute qu’il y a un grand absent dans ce livre : le capitalisme financier. Cet ouvrage a pour but de montrer comment et pourquoi la relation politique (…)
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Serge Halimi

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