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Comme un lion : quand les lions du Sénégal rencontrent le lion de Peugeot.

Coïncidence ou symptôme, en même temps que l’actualité militaire, l’actualité culturelle tourne notre attention vers l’Afrique et les diverses exploitations dont elle fait l’objet. Sombras, d’Oriol Canals, donnait un visage aux immigrés africains venus récolter les fruits en Catalogne ; Paradis : amour attire l’attention sur l’exploitation des beach boys kenyans par des Européennes d’âge mûr en mal d’amour ; et, en même temps qu’Aujourd’hui nous guide dans Dakar, Comme un lion, de Samuel Collardey, traite encore d’un autre genre d’exploitation, au Sénégal et ailleurs : le trafic des jeunes Africains qui rêvent de devenir footballeurs professionnels.

Il s’agit donc d’un film réaliste, mais sans rien de pédagogique ni de misérabiliste : nous voyons vivre les villageois de Pout, avec ses femmes aux robes colorées et majestueuses, et ses gamins qui, dès qu’ils en ont l’occasion, poussent le ballon dans les rues (l’école en plein air, avec ses dizaines d’enfants agglutinés autour de l’unique maître, montre bien qu’ils n’ont rien à attendre d’une promotion par les études). Nous verrons même fonctionner une assemblée de femmes, sous l’arbre aux palabres, réunies pour décider de la gestion de la tontine. En effet, le jeune héros, Mitri, a été remarqué par un recruteur camerounais, qui demande, pour l’envoyer dans un club français, 5 millions de francs CFA (un peu moins que l’équivalent en Anciens Francs). La grand-mère de Mitri qui, même en vendant son unique bien, le verger dont les fruits la font vivre, n’a pu réunir cette somme, va donc avoir recours à la tontine : ses associées acceptent de lui attribuer, non seulement les cotisations du mois (tontine rotative) mais même le fonds permanent (tontine par accumulation).

Mitri va donc pouvoir réaliser son rêve, mais il sait qu’il se charge en même temps d’une lourde responsabilité : avec ses premiers salaires, il devra rembourser cette dette à la communauté villageoise. Mais il va vite déchanter : à Paris, les douaniers découvrent qu’il n’a pas tous les papiers requis ; l’intermédiaire qui se charge du groupe de jeunes joueurs africains lui évite l’expulsion immédiate, mais, ne sachant que faire de lui, il le conduit, sous prétexte d’essais, dans un stade vide, où il l’abandonne, tel un Petit Poucet. Mitri va donc mener une vie de SDF, sans rien avoir à manger.

Mais Collardey ne veut pas "désespérer Billancourt". Mitri, conformément aux recommandations de sa grand-mère, n’oublie pas ce qu’il est : le rituel des prières lui permet de garder ses structures, et il va sauter, plein d’énergie, sur toutes les occasions qui se présentent, et s’y accrocher : aidé par une Africaine, il entre dans le circuit de l’aide sociale et se retrouve dans un foyer à Montbéliard, où des tests d’orientation en feront un apprenti-serveur malgré lui. Mais Montbéliard se trouve tout près de Sochaux, avec qui il forme le FC Sochaux-Montbéliard ! Mitri ne tarde pas à s’introduire, au culot, dans les entraînements d’une petite équipe de jeunes. Commence alors une belle histoire entre l’orphelin et l’entraîneur dur à cuire qui va décider de lui donner sa chance.

On retrouve ici le schéma de Welcome, le film de Philippe Lioret, qui dénonçait les conditions de vie dans la "jungle de Calais" et le "délit de solidarité", mais il est débarrassé de ses scories sentimentales : l’entraîneur n’est pas en instance de divorce, et Mitri ne veut pas rejoindre une amoureuse menacée d’un mariage forcé. Si Mitri joue contre la montre, c’est que sa grand-mère lui réclame l’argent de la tontine, qu’elle doit déjà rembourser. Cependant, comme dans Welcome, l’aîné va se reconnaître dans le jeune : le rêve brisé de l’entraîneur, chassé du club de Sochaux pour son indiscipline et devenu, comme son père, ouvrier chez Peugeot, va revivre grâce à Mitri.

Bien sûr, c’est une success story, et le happy end, avec l’entrée enivrante sur le stade de Bonal, sous le tonnerre des applaudissements, est vraiment trop beau. Mais, d’une part, Collardey s’inspire de l’histoire d’un joueur africain de Sochaux, et, d’autre part, il suit la ligne humaniste du Ken Loach de Looking for Eric et de La Part des anges : une fois qu’on a dénoncé les injustices sociales (la privatisation des services publics anglais, l’acharnement de la justice contre les petits délinquants et l’impunité des vrais malfrats en col blanc, ou l’exploitation des Africains), pourquoi écraser le héros ? on est reconnaissant au cinéaste de nous laisser sur une note d’espoir.

Autre raison de soutenir ce film : Collardey, qui est né à Besançon (la patrie des Lip), nous emmène sur ses terres, celles du Doubs ; ce faisant, il rompt avec le narcissisme parisianiste qui étouffe bien souvent le cinéma français. Et on pourrait le situer dans une "école" de l’Est qui a déjà donné un film étonnant, Poupoupidou, tourné par G. Eustache-Mathieu dans ce Far-East qu’est Mouthe, la ville la plus froide de France, ou encore le réalisateur Gilles Perret qui, de Ma Mondialisation (en 2006) à Mémoires d’ouvriers (en 2011), raconte l’histoire ouvrière de cette région et, à travers elle, de la France.

Rosa LLORENS

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Le fait que nous soyons martelés de propagande de manière si agressive 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 est une cause d’espoir, pas de désespoir. Le fait qu’ils doivent déployer tant d’efforts pour maintenir l’humanité à ce niveau de folie signifie que l’attraction gravitationnelle va vers la raison, et qu’ils luttent de plus en plus fort contre cette attraction.

Il faut beaucoup d’éducation pour nous rendre aussi stupides.

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