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Comment des crétins incultes ont-ils réussi à s’imposer à Washington ?

Le déclin de l’intelligence et de l’érudition dans la politique américaine résulte d’une série de calamités imbriquées les unes dans les autres.

Comment a-t’on pu laisser faire ? Comment la politique aux États-unis en est-elle venue à être aux mains de gens qui font de l’ignorance une vertu ?

Est-ce la compassion qui a permis au plus proche parent de l’espèce humaine sur terre d’effectuer deux mandats à la Maison Blanche ? Comment Palin, Dan Quayle et d’autres embrumés du cerveau ont-ils pu arriver là où ils sont ? Comment les meetings de la campagne présidentielle de 2008 des Républicains ont-ils pu être couverts par les vociférations des grandes gueules incultes qui soutenaient que Barack Obama était musulman et terroriste ?

Comme la plupart des gens de ce côté-ci de l’Atlantique, la politique américaine me sidère depuis de nombreuses années. Les États-unis ont les meilleures universités du monde et attirent chez eux les plus grands savants. Ils sont à la pointe des découvertes en science et en médecine. Leur richesse et leur puissance s’appuient sur des savoirs. Et malgré cela, cas unique au monde (excepté peut-être l’Australie), l’érudition est un handicap politique rédhibitoire.

Il y a eu des exceptions au cours de ces cent dernières années - Franklin Roosevelt, JF Kennedy et Bill Clinton ont dissimulé leur intellectualisme sous un vernis de populisme qui leur a permis de s’en sortir, mais Adlai Stevenson, Al Gore et John Kerry ont été traînés dans la boue par leurs adversaires qui les accusaient de faire partie de l’élite intellectuelle (comme si cela n’était pas un critère pour postuler à la présidence). Peut-être que le moment décisif où la politique intelligente a été battue en brèche a été la réplique de Ronald Reagan à Jimmy Carter en 1980 lors du débat présidentiel.
Carter, un peu hésitant, utilisant des mots de plus d’une syllabe, développait en plusieurs points les avantages d’une couverture maladie universelle. C’est alors que Reagan, souriant, lui a répondu : " Ca y est, voilà que vous remettez ça".

Son propre programme sur la couverture maladie aurait effaré la plupart des Américains s’il l’avait soigneusement expliqué comme l’avait fait Carter pour le sien, mais il avait trouvé la formule pour éviter les questions politiques épineuses en faisant passer ses adversaires pour des intellos.

Cela n’a pas toujours été le cas. Les pères fondateurs de la république (Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, James Madison, John Adams, Alexander Hamilton et les autres) faisaient partie des plus grands penseurs de leur époque. Et ils ne ressentaient nul besoin de s’en cacher.

Comment le projet qu’ils avaient lancé a-t-il dégénéré au point de tomber entre les mains d’un GW Bush ou d’une Sarah Palin ?

Au premier abord, la réponse est facile. Les élus ignares sont élus par des électeurs ignares. Le système éducatif en Amérique, comme le système de santé, sont des fiascos notoires. Dans le pays le plus puissant au monde, un adulte sur 5 croit que le soleil tourne autour de la terre ; seuls 26% des Américains conviennent que l’évolution des espèces est guidée par la sélection naturelle ; 2/3 des jeunes adultes sont incapables de repérer l’Irak sur une carte ; 2/3 des électeurs ne savent pas quelles sont les trois branches du gouvernement ; Les performances en maths des adolescents de 15 ans se classent au 24° rang des 29 pays de l’OCDE.

Mais tout cela ne fait qu’étendre le mystère : comment tant de citoyens américains sont-ils devenus si crétins et si méfiants vis-à -vis de l’intelligence ? Le livre de Susan Jacoby, "l’àˆre de la déraison en Amérique" apporte l’explication la plus complète qu’il m’ait été donné de lire jusqu’à présent. Elle montre que la dégradation de la politique américaine découle d’une cascade de catastrophes imbriquées les unes dans les autres.

Un des thèmes est à la fois banal et clair : la religion (en particulier le fondamentalisme religieux) vous rend idiot. Les États-unis sont le seul pays où le fondamentalisme chrétien soit répandu et en expansion.

Jacoby montre qu’il y avait autrefois une certaine logique à son anti-rationalisme.
Au cours des toutes premières décennies qui ont suivi la parution de "L’Origine des Espèces", par exemple, les Américains avaient de bonnes raisons de rejeter la théorie de la sélection naturelle et de se méfier des intellectuels en vue. Depuis le début, la théorie de Darwin a été assimilée à la philosophie brutale (connue aujourd’hui sous le nom de Darwinisme social) de l’écrivain britannique Herbert Spencer. La doctrine de Spencer, qui a fait les choux gras de la presse populaire grâce au soutien financier d’Andrew Carnegie, John D Rockefeller et Thomas Edison, laissaient entendre que les milliardaires étaient tout en haut d"une "scala natura" (échelle de la nature) créée par l’évolution. En empêchant l’éradication des personnes les moins adaptées à la survie, l’État interventionniste affaiblissait le pays. Les énormes inégalités économiques étaient à la fois justifiables et nécessaires.

En d’autres termes, on avait fini par confondre le darwinisme et le système barbare de la politique économique du laisser-faire. De nombreux chrétiens ont réagi par le rejet. Il est particulièrement ironique que cette doctrine, rejetée il y a un siècle par des fondamentalistes aussi réputés que William Jennings Bryan, soit aujourd’hui à la base de la conception économique de la droite chrétienne. Les fondamentalistes actuels réfutent la théorie de l’évolution de Darwin et adhèrent à la théorie pseudo-scientifique du darwinisme social.

Mais il y avait d’autres raisons, plus profondes, à l’isolement intellectuel des fondamentalistes. L’enseignement dans les états du sud des États-unis s’appuyait sur le dogme d’une aristocratie de planteurs ignares, ce qui a donné naissance à un gouffre éducatif béant. "Dans le sud", écrit Jacoby, "ce qu’on ne peut qu’appeler un "blocus intellectuel" a été imposé de façon à faire barrage à toute philosophie susceptible de menacer l’ordre social."

La "Southern Baptist Convention" (Convention baptiste du sud), actuellement le culte le plus répandu aux États-unis, a été à l’esclavage et à la ségrégation ce que l’Église Réformée Hollandaise a été à l’apartheid. Elle a fait plus que tout autre organisme pour maintenir le sud dans l’abêtissement. Dans les années soixante, elle a tenté d’empêcher la déségrégation en créant un réseau d’écoles et d’universités chrétiennes. Un élève peut donc actuellement effectuer toute sa scolarité depuis la maternelle jusqu’à l’université sans jamais passer par l’enseignement laïque. Le dogme des baptistes du sud se transmet également tel quel par le biais du système scolaire.

D’après les conclusions d’une enquête réalisée par des professeurs de l’Université du Texas en 1998, un professeur de biologie sur quatre qui enseigne dans les écoles publiques au Texas croit que les êtres humains et les dinosaures ont vécu sur terre à la même époque.

Cette catastrophe est le résultat de la fétichisation de l’autodidacte en Amérique. Même si lui-même regrettait profondément de ne pas avoir reçu un enseignement traditionnel, l’ascension d’Abraham Lincoln est constamment citée en exemple pour conforter l’idée qu’une bonne instruction payée par l’état est inutile : tout ce dont on a besoin pour réussir, c’est de la détermination et un individualisme à toute épreuve. Cela aurait pu être profitable quand les authentiques mouvements pour l’apprentissage autodidacte comme celui qui s’est créé autour des "Little Blue Books" dans la première moitié du XX°s, étaient en vogue. Mais à l’époque de l’infotainment , c’est le meilleur moyen de créer la confusion.

Parallèlement à l’influence des fondamentalistes religieux, les raisons pour lesquelles les intellectuels ont peut-être des problèmes lors des élections, c’est que l’intellectualisme a été assimilé à de la subversion.

La relation éphémère de certains penseurs avec le communisme, il y a longtemps de cela, a été instrumentalisée pour créer l’impression dans l’esprit de la population que tous les intellectuels sont des communistes.

Pratiquement tous les jours, des gens comme Rush Limbaugh et Bill O’Reilly (animateurs radio et télé célèbres aux US, NDT) vilipendent les "élites libérales" qui mènent les États-unis à la ruine.

Agiter le spectre d’intellos subversifs a joué un rôle essentiel lors des élections de Reagan et de Bush. Une authentique classe d’intellectuels (comme les néocons - dont certains sont d’anciens communistes - qui entourent Bush) a réussi à présenter le conflit politique comme une bataille entre l’Américain lambda et une élite politique composée de socialos surdiplômés. Toute tentative de contrer les thèses de la droite est, ainsi, désormais taxée d’élitisme.

Obama a beaucoup à offrir aux États-unis, mais rien de tout cela ne prendra fin s’il accède à la Maison Blanche. S’il n’y a pas un virage à 180% pour résoudre la crise du système scolaire public ou si le fondamentalisme religieux ne périclite pas, il y aura encore des débouchés dans la politique pour des gens, comme Palin et Bush, qui font étalage de leur ignorance crasse.

George Monbiot

The Guardian,
Tuesday October 28 2008
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2008/oct/28/us-education-elect...

Traduction et notes annexes :
Des bassines et du zèle
pour le Grand Soir http://ww.legrandsoir.info


Notes annexes :

Pour se rendre compte de l’étendue du désastre culturel, quelques "bushismes" :

"Vous voyez, les nations libres sont des nations pacifiques. Les nations libres ne s’attaquent pas entre elles. Les nations libres ne fabriquent pas d’armes de destruction massive.""Milwaukee, Wis., Oct. 3, 2003.

Je n’ai pas grandi dans l’océan, euh … je veux dire : près de l’océan, j’ai grandi dans le désert. Et donc, c’était un agréable contraste de voir l’océan. Et j’aime ça surtout quand je vais à la pêche" Washington, D.C., Sept. 26, 2008

Les gens en Louisiane doivent se rendre compte que dans tout le pays beaucoup de gens prient - ils prient pour ceux dont les vies ont été complètement bouleversées. Et j’en fais partie."" Baton Rouge, Sept. 3, 2008

"Mais bien souvent, on me demande : Pourquoi ? Pourquoi vous vous souciez-vous de ce qui se passe en dehors de l’Amérique ?""Washington, D.C., June 26, 2008

Et ils n’ont aucun irrespect pour les vies humaines" (parlant de la "barbarie" des combattants afghans) - Washington, D.C., July 15, 2008

Tout au long de notre histoire, la Déclaration a poussé les immigrés venus du monde entierà venir s’installer en Amérique. Ces immigrés ont contribué à transformer les 13 petites colonies en un grand pays de plus de 300 personnes" "Charlottesville, Va., July 4, 2008

Bien souvent, on me demande : "mais comment ça se fait que vous pensiez tant à aider les affamés et les malades dans des coins obscurs de la planète ?" ""Washington, D.C., April 18, 2008 …

Et en cherchant bien, il y a probablement des citations de l’actuel président de la France (et de l’Europe) qui dénotent de cette tendance …

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