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De l’Allemagne : entre Romantisme et productivisme

De l’Allemagne, l’essai de Madame de Staël, écrit de 1807 à 1810, mais publié en 1813, en pleine déroute des armées napoléoniennes, fut à l’époque un véritable brûlot : il osait remettre en cause la supériorité du Classicisme et des Lumières français, et leur opposer, avec enthousiasme, la nouvelle littérature et la nouvelle philosophie romantiques.

Celles-ci, nées en Angleterre et en Allemagne, se sont étendues en France grâce à une première génération d’émigrés, représentés par Chateaubriand et Madame de Staël, avant d’être rapidement étouffées par la génération Hugo, qui en a surtout repris les oripeaux, pour en habiller l’idéologie même contre laquelle s’était dressé le Romantisme : le libéralisme ; on trouve encore dans les manuels de littérature ce contre-sens absolu, tiré de la Préface d’Hernani de Hugo : "Le romantisme n’est, à tout prendre, que le libéralisme en littérature" !

L’exposition " De l’Allemagne " est symbolique et actuelle à bien des titres : l’hégémonie économique et politique de l’Allemagne dans l’Europe de l’euro justifierait un bien plus grand intérêt à l’égard de sa culture qui est à peu près inexistante en France (on aurait pourtant intérêt à méditer les derniers livres de Günter Grass, Toute une Histoire et En Crabe, très critiques à l’égard de l’Allemagne d’après la réunification). Elle nous donne en même temps l’occasion de réfléchir sur ce décalage entre l’impérialisme politico-économique de l’Allemagne et son actuelle indifférence à son influence culturelle.

L’exposition nous rappelle que le mouvement romantique est né en Allemagne comme un mouvement de résistance contre l’agression et l’occupation française, d’abord révolutionnaire, puis napoléonienne ; avant de se traduire dans les faits, les armes à la main (lors du soulèvement allemand qu’on appelle aussi le soulèvement des Poètes), il s’est développé sur le plan théorique,dans les esprits des intellectuels et artistes allemands : ils ont rejeté les goûts et les idées françaises, le Classicisme et la conception libérale (celle des Lumières) de la société et de l’homme, qui est celle que nous avons vue se développer depuis les régimes Bush et Thatcher (réjouissons-nous : la Sorcière est morte !), aux États-Unis puis en Europe, où elle a détruit le système de solidarité sociale mis en place après la Libération pour aboutir à la grande Crise du Système actuelle.

Cette conception est celle d’un Homo calculator qui n’a aucun autre critère ni but que la maximisation de ses intérêts économiques, et celle d’une non-société ("There is no such thing as society", disait la Sorcière) où tous les homines calculatores s’affrontent avec pour seul résultat l’augmentation de la production matérielle dans un mouvement sans finalité.

Les Romantiques, il y a deux siècles déjà , avaient compris toute l’absurdité et les dangers d’une telle théorie, et ils ont tenté de revenir à une Société fondée sur l’homme et les valeurs proprement humaines qui sont les valeurs symboliques (les comportements économiques ne sont au fond que des comportements de prédation que nous avons en commun avec les animaux) : non, les hommes ne sont pas des monades aussi fermées sur elles-mêmes qu’interchangeables (puisque ne connaissant d’autre valeur que l’équivalent universel de la monnaie). Un homme naît dans une famille, dans un terroir, dans une nation unie par des traditions culturelles millénaires. De même qu’il se prolonge dans ses ancêtres et ses enfants, l’homme romantique cherche un sens à sa vie dans ce qui lui permet de sortir de sa finitude individuelle, la Nature et le sens du sacré, c’est-à -dire ce qui le dépasse et, à la fois, le fait participer à un Tout cosmique.

C’est ce fonds symbolique qui a nourri la peinture de Kaspar David Friedrich, à qui est consacré le secteur le plus intéressant de l’exposition (si on cherche un équivalent en France, il faut oublier Delacroix et les Romantiques officiels, qui relèvent en fait de la peinture académique, et regarder plutôt du côté de Corot et de l’école de Barbizon). A l’opposé de Goethe qui veut représenter la nature de façon scientifique (on voit de lui une aquarelle représentant une tulipe bien morne), Friedrich nous invite à fermer les yeux physiques pour ouvrir ceux de l’âme : c’est dans ses tableaux que le paysage est vraiment un état d’âme, mais aussi l’expression d’une philosophie de la vie.

Dans cette oeuvre qui réenchante le monde, on peut retenir deux types de tableaux : d’abord, les églises en ruines dans lesquelles et autour desquelles la végétation repousse : il ne faut surtout pas y voir de sens anti-clérical ; ces tableaux traduisent au contraire une synthèse entre Foi et Nature : par-delà les ruines matérielles, la foi perdure dans la vigueur de la nature. Pendant la période de l’occupation française, ils s’enrichissent d’un sens patriotique : dans " Tombeau hunnique " , une église abrite le tombeau d’un antique héros, d’où surgissent des arbrisseaux : le sang qui coulait en lui se confondait avec la sève de la végétation de sa terre, et il reste vivant en elle. Le voyageur qui se recueille sur sa tombe y puise la force de résistance qui va bientôt éclater dans la guerre de Libération. Dans les tableaux de ports ou de bateaux en mer, on lit une méditation sur le voyage de la vie : " En bateau " montre, sous des voiles gonflées de vent, un couple assis à l’avant et regardant vers le port, symbole d’une vie menée à deux et guidée par des valeurs communes qui permettent d’accepter sereinement la mort.

Contempler ces tableaux permet, à la sortie, d’affronter avec plus de force ce monde de la mondialisation qui atomise les hommes et veut les envoyer, dès qu’ils n’ont plus assez d’argent ou d’énergie pour consommer, au mouroir. Malheureusement, après Histoire et Nature, la troisième partie de l’exposition, Ecce homo, est indigente : on passe, sans transition, sans analyse, à la guerre, au nazisme, à la catastrophe. A-t-on voulu reconduire ce cliché selon lequel ce sont les forces irrationnelles du romantisme qui ont conduit au nazisme la société allemande ?

Et si c’était le contraire ? et si le romantisme était ce qui la protégeait, le drame étant sa défaite ? Le Romantisme exécrait les bourgeois, industriels et banquiers qui ont fait de la Prusse puis de l’Allemagne une puissance en expansion, dont la productivité réclamait de nouveaux marchés et entrait en compétition avec les États-Unis. L’attachement à la nature et la patrie a été instrumentalisé par le libéral-nazisme allemand comme le néo-libéralisme actuel instrumentalise et dénature des concepts compassionnels, droits de l’homme et luttes pour l’égalité, pour mener une politique de guerre à outrance contre des pays de plus en plus nombreux.

Châtrer nos cultures traditionnelles de toutes leurs valeurs ne mène pas à l’harmonie universelle que faisaient miroiter les Lumières, mais au Meilleur des Mondes mondialisé et à la guerre de tous contre tous. Au contraire, les pays qui, ces dernières décennies, en Amérique du Sud, ont su trouver une nouvelle voie vers une société plus juste et solidaire ont mis en avant la communauté (en Bolivie, dans le sud du Mexique, la communauté villageoise est le cadre de la vie traditionnelle), la nature et le sacré (la cérémonie officielle d’investiture d’Evo Morales s’est doublée d’une cérémonie en l’honneur de la Pacha Mama) et le patriotisme (contre l’oppression et l’interventionnisme chronique des États-Unis).

La culture allemande aurait pu nous montrer cette voie ; au contraire, sa puissance économique en a fait, dans les années 30-40 et de nouveau aujourd’hui, sous le parapluie étatsunien, le champion d’une politique impérialiste tournée vers le nihilisme culturel et la destruction des pays qui, eux, n’ont pas renoncé à leurs traditions et leurs valeurs, obstacle sur le chemin de l’uniformisation mondialisatrice.

Dans la pauvreté culturelle actuelle, on ne peut qu’envier la richesse spirituelle du Romantisme, regretter qu’il ait été noyé dans le productivisme et l’affairisme scientiste de la fin du XIXe siècle, mais on peut aussi y puiser une volonté de résistance contre la brutalité cynique de la mondialisation financière.

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