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De l’assistance humanitaire à l’indigence totalitaire : une invitation aux medias haitiens pour que l’information soit un outil d’autodefense et de formation de l’opinion.

Ô assistance, quand ta générosité nous déshumanise

Presque 6 ans après la déferlante solidarité qui s’est abattue sur Haïti suite au séisme dévastateur du 12 janvier 2010, l’écosystème haïtien, par la faute de l’ouragan Matthew, se trouve encore sous les feux des projecteurs de l’assistance humanitaire. Et comme toujours, les messages de solidarité, les vœux de sympathie et de compassion, les appels de collecte de fonds s’égrènent comme autant de prières remerciant et invoquant Dame Nature pour cette nouvelle opportunité qui permettra de célébrer la résilience haïtienne.

Mais que cette onde de générosité, traversée par de multitudes alternances, et dédiée à l’endroit des « mendiants et des emmerdeurs haïtiens », pour reprendre la pensée d’un officiel canadien, eut été efficace si elle était là au moment opportun. Je veux parler de l’instant critique où le peuple haïtien dignement se battait contre l’impunité, l’indécence et la toute-puissance diplomatiques de l’ONU qui s’était abritée derrière un indigne rempart d’immunité pour refuser d’endosser la responsabilité du choléra et de dédommager les milliers de victimes haïtiennes. Je pense aussi à ces moments de solitude, pendant ces 5 dernières années, où le peuple haïtien exigeait la tenue d’élections crédibles, honnêtes et transparentes dans les échéances prévues par la constitution haïtienne. Je pense surtout au moment précis des turbulences électorales, qui laissaient retentir l’écho des luttes du peuple haïtien pour une véritable alternance démocratique non assujettie aux intérêts de puissantes fondations. Plus structurellement, je fais allusion à ces moments troublants où la justice était mise à genoux et où s’installait l’urgence d’une quête profonde pour l’émergence d’un leadership national crédible, éthique et compétent en rupture avec la dominante culture des mauvais arrangements et de l’éternel choix du moins pire.

Mais que cette générosité eut été pertinente et agissante, si elle était là pour nous accompagner dans le renforcement de nos institutions nationales, dont celles qui luttent contre la corruption et pour le triomphe de la justice, afin qu’elles soient moins indigentes dans leur méthode de travail et plus intelligente et efficiente dans leur gouvernance. Mais que c’eût été utile que ces litanies de compassion et ces concerts de sympathies fussent mobilisées pour amplifier la demande de justice du peuple haïtien pour que l’impunité cesse de transformer les cycles électoraux en une quête permanente d’immunité, d’ascension sociale et de recyclage de caïds crapuleux ou de gangsters à col blanc.

Mais hélas, cette générosité avait les yeux tournés vers des ailleurs secoués par ces urgences qui, seules, peuvent mobiliser les fonds dont elle se gave et qu’elle recherche pour se donner bonne mine. Ainsi la transparence était voilée par l’opacité de puissants intérêts. La solidarité était paralysée par l’inertie des alliances couveuses de mauvais arrangements. La compassion s’était murée dans une indifférence fondée sur la surdité, la cécité et la complicité. Mais voilà que soudainement, grâce à Matthew, Haïti redevient l’objet de toutes les attractions humanitaires parce qu’à nouveau mobilisable pour la prochaine récolte ! Sans vouloir cracher sur cette assistance, souvent de bonne foi mais récupérée à chaque fois par la puissante machine battant pavillon humanitaire, il nous semble urgent de rappeler que l’escroquerie dissimulée derrière les vœux de la compassion internationale est plus mortelle que les déferlantes cycloniques et les secousses sismiques.

Reconstruire Haïti, c’est aussi lutter pour une information de qualité

Ainsi il nous plait de penser qu’il est venu le temps de lancer la lutte pour la reconstruction d’Haïti sur de solides bases tout en ayant soin de démasquer énergiquement l’imposture de certaines actions et l’indigence de certaines réflexions. Il est temps de laisser émerger une vraie réflexion journalistique à contrecourant de la pensée médiatique haïtienne dominante. A contre-courant de Celle qui sombre dans l’aussi simple que ça ou dans la complaisance des émissions de copinage qui ramassent et réduisent la pensée à un verbiage confus. A contre-courant de celle qui se réfugie dans l’autocensure ou qui se contente d’analyse complaisante et réductrice pour protéger ses accointances. A contre-courant de celle qui refuse à dessein ou par incapacité de questionner les alliances, les collusions et les soumissions conditionnant notre précarité et notre échec.

Le contexte de déchéance humaine et de déliquescence institutionnelle dans lequel se trouve notre écosystème nous exige d’avoir une opinion publique critique, avertie et éthique. Et il n’y a que la presse qui peut travailler à façonner cette opinion publique. Car l’opinion publique dans un pays est en partie le reflet de la compétence, de l’éthique et du courage des médias.
De ce fait, il est fondamental que la presse, dans sa globalité, cesse d’être une simple caisse de résonance des communiqués officiels où la pensée critique est soumise à la dictature de la publicité et des subventions. Il est vital que la presse, dans sa globalité, cesse d’être cet espace de ramassage où la parole est confisquée par des mercenaires du verbiage et voilée par l’imposture d’un militantisme qui n’est qu’un affairisme médiatique de circonstance. Il est urgent que la presse, dans sa globalité, cesse d’alimenter la pensée indigente, celle-là même qui structure « l’état minimum » que certains éditorialistes pourtant dénoncent. Celle-là même qui renforce l’auberge des compromis et du tout est permis dans laquelle tous les politiques cherchent refuge. Dans notre contexte de déchéance, la presse ne peut plus se montrer complaisante et indulgente vis-à-vis de cette communauté d’intérêts qui vit et se nourrit de l’échec de la collectivité.

La presse doit se réapproprier ou réinventer cet outil de « la pensée critique qui invite à sortir des certitudes, de l’inertie paresseuse et des accointances crasseuses, quand bien même confortables », pour pousser aux questionnements. La presse doit être le creuset de la parole insoumise pour aider le peuple à ne pas sombrer dans l’oubli des urgences porteuses d’indigence. Elle doit être l’outil qui maintient le peuple en éveil pour que sa conscience ne soit pas manipulée par ces innombrables sollicitations et assistances à valeurs déshumanisantes. C’est la presse qui doit aider le peuple à reconquérir sans cesse sa liberté et sa dignité en refusant les évidences qui ne font que célébrer ou renforcer sa servitude.

La presse doit apprendre à considérer« l’information comme un devoir » et une exigence de formation du citoyen et non comme une liberté de manipulation de l’opinion à célébrer folkloriquement. Pour ce faire, les médias doivent inscrire leurs actions dans une perspective pédagogique nourrie par une objectivité porteuse d’éthique et d’engagement. Il est venu le temps de responsabiliser et de rationaliser le discours politique pour faire reculer, l’imposture, l’escroquerie, l’indigence et le populisme. Gardons à l’esprit que « la liberté ne s’use que quand on cesse d’en faire usage ». Et la liberté s’accompagne d’une exigence de responsabilité. Il n’y a donc aucune certitude, aucun acquis de liberté à célébrer mais plutôt davantage d’espaces d’insoumission à conquérir ou à reconquérir sans cesse.

Cette perspective permanente et militante, mais non moins pédagogique, est la seule objectivité qu’il faut sans cesse rechercher et maintenir pour que l’information soit un outil d’analyse cherchant à rompre avec les préjugés qui donnent l’illusion de comprendre. Ainsi au lieu de densifier le vide, les médias devraient s’inscrire dans une éthique de responsabilité et d’éducation en privilégiant les sujets porteurs de questionnement. Car l’information ne peut être une source de formation et d’intelligence que si elle rompt avec le simplisme et la contemplation de l’immédiateté pour passer à une étape de questionnement en mobilisant les évènements du passé pour se projeter dans le futur. C’est dans cette démarche analytique et dans cette perspective critique que les médias doivent s’inscrire pour forger l’opinion publique, bousculer l’indigence, construire la raison et éclairer le chemin vers des lendemains moins chaotiques et moins dramatiques.

Revisiter le passé pour questionner les projets d’assistance

Dans cette optique, la pensée critique nous porte à comprendre qu’il faut toujours aller au-delà de l’immédiateté suggérée par l’opinion et l’évidence. Qu’importe que ce soit une information statistique, économique ou politique. Derrière les événements de toute banalité se trouvent des structures, des motifs dont seule l’analyse peut révéler les liens pour éclairer la vérité du projet dont ils sont porteurs.

Dans une précédence tribune, intitulée « un scrutin à enjeu complexe », publiée par Alter Presse, avant l’annonce du festival MASSIMADI, nous avions attiré l’attention sur l’enjeu de ce scrutin en posant 3 questions pertinentes. Avec une froide lucidité et une claire connaissance de l’histoire, nous avions demandé : « Comment empêcher au peuple de faire une nouvelle fois, comme en 1990, irruption sur la scène politique pour se réapproprier son destin (..) ? Comment empêcher au peuple haïtien de choisir ses dirigeants légitimes sans violence et sans influence de la communauté internationale ? Comment conforter les stratèges du chaos haïtien sans s’impliquer dangereusement pour ne pas fragiliser les puissants alliés, qui coïncidemment, se trouvent, sur d’autres théâtres électoraux aussi fragiles et précaires ? »

Fort d’une compréhension structurée par notre métier qui consiste à fouiller dans les données pour trouver des certitudes afin de structurer la prise de décision, nous avions suggéré qu’il fallait : « rester prudent quant à la tenue de ce scrutin. Car il faut savoir écouter et déceler, par-delà les silences angoissants, les mouvements et les agissements des forces de l’ombre qui ne vivent que de chaos et de la souffrance des peuples ».

Loin de nous l’idée de conjecturer quoi que ce soit quant aux évènements qui ont conduit au report des élections du 9 octobre 2016. Mais on ne peut nous refuser le droit de reconnaitre que, coïncidemment, le festival MASSIMADI et l’ouragan Matthew participent d’un même objectif : ils ont cassé l’élan populaire autour des élections. Au vrai, nous avions dit aussi que les maitres du chaos avaient compris depuis 1990 que la seule façon de maitriser le processus électoral était d’empêcher la participation populaire. En ce sens, coïncidemment, MASSIMADI donne l’impression d’avoir été un test de provocation pré-électorale tandis que Matthew s’apparente à une de ces perturbations provoquées par des technologies d’un temps futuriste qui tentent de mesurer l’efficacité de certaines armes dans l’imminence des guerres à mener sur des fronts où la présence de troupes au sol serait à la fois hasardeuse, imprudente et dangereuse.

Ainsi tout se retrouve lié dans une dynamique, sinon provoquée du moins intelligemment exploitée, cherchant à refaire l’histoire pour asseoir les vieilles dominations. Refaire l’histoire en jouant la farce ou le drame comme un perpétuel recommencement pour ceux et celles qui ne prennent pas le temps de déceler les fils invisibles qui relient les évènements entre eux.
Ainsi tout porte à croire que ce que MASSIMADI a initié, Matthew l’a parachevé en offrant, coïncidemment, aux maitres du chaos la possibilité de reprendre la main sur le processus électoral haïtien. Probablement Matthew va contribuer à reconfigurer l’échiquier de la campagne électorale. Ainsi le hold-up électoral acquis par la violence et l’ingérence en 2010, mais rendu impossible par la vigilance citoyenne et la prévoyance d’une certaine rectitude politique, semble être sur le point d’être réactivé par l’indigence humanitaire. Ainsi, à défaut d’empêcher la tenue du scrutin électoral par la violence comme en 1987, ou de se l’approprier par l’ingérence comme en 2010, on peut mobiliser les réseaux d’assistance humanitaire pour que la générosité et la sollicitude envers les sinistrés portent le label d’une certaine couleur politique où, comme en commune chorale, on invitera le peuple à voir l’avenir et à chanter la vie en rose.

Construire des perspectives structurantes au-delà de l’assistance

Mais il reste aussi d’autres perspectives. Celle relevant d’une exigence éthique nationale. Celle qui invite la presse et la société civile à mobiliser l’opinion publique pour responsabiliser les institutions du service public de la justice. Pour les forcer à sortir de leur indigente inertie pour mettre en place le dispositif informationnel, humain et technologique capable de retracer l’origine de ces fonds qui financent certaines de ces activités d’assistance soutenues par des fondations qui structurent notre précarité en transformant l’échec de la collectivité en réussite personnelle. Exigence qui doit empêcher que les fonds détournés reviennent plomber l’écosystème humain et organisationnel en donnant de la visibilité à des gens en désamour constant avec la légalité. Il y a aussi la perspective de la solidarité internationale. Celle mobilisant la vraie assistance que le peuple haïtien attend de la communauté internationale. Celle qui peut l’aider à récupérer les fonds volés et détournés par les gouvernements, les prédateurs et les imposteurs politiques successifs de 1957 à 2016 pour reconstruire Haïti dans la dignité et sur des bases structurellement résistantes avec l’aide et la solidarité de tous et de toutes celles de par le monde qui s’inscrivent dans la dignité

En dehors de ces perspectives structurantes, le souffle des vents cycloniques restera toujours moins dangereux que celui qui porte l’écho assourdissant de cette fausse solidarité et de cette ambivalente générosité, ô combien, intéressées par leurs propres succès.

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