De Tunisie à Haïti : des dictateurs trop peu inquiétés

Il va de soi que les grands textes internationaux, comme la Charte des
Nations unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme ou le
Pacte des droits économiques, sociaux et culturels, doivent être respectés
par tous les pays les ayant ratifiés. Pourtant, force est de constater de
grandes disparités entre les traitements réservés à des dirigeants comme
Zine el-Abidine Ben Ali, Jean-Claude Duvalier, Thomas Sankara ou Patrice
Lumumba. Les deux premiers sont des dictateurs reconnus, coupables de
détournements de fonds, de corruption et de répression sanglante.
Contraint de quitter le pouvoir par une révolte populaire qu’il avait
échoué à mater, Ben Ali a fui la Tunisie en s’accaparant une tonne et
demie d’or. Aujourd’hui, les multiples atteintes contre la liberté du
peuple tunisien et la démocratie depuis son accession au pouvoir en 1987
font la une de l’actualité. En 1986, également suite à une révolte du
peuple haïtien, Duvalier fils n’a eu d’autre choix que de fuir son pays,
Haïti[1], après plus de trois décennies de dictature imposées par sa
famille. Avec l’accord des autorités françaises, il a trouvé refuge dans
une magnifique demeure qu’il avait acquise sous le rude climat de la Côte
d’Azur française. Le montant de sa fortune estimée était supérieur à la
dette extérieure de son pays. Il n’a pourtant jamais obtenu la validation
de sa demande d’asile, qui a été rejetée en 1992 par le Conseil d’État,
faisant de lui un « sans papiers » qui n’a jamais été inquiété par les
forces de l’ordre françaises. Il vient de rentrer dans son pays où la
justice haïtienne s’intéresse à lui. La justice française ne l’a jamais
trop inquiété…

Le profil des deux autres est fort différent : Lumumba et Sankara sont des
exemples historiques de dirigeants progressistes, luttant farouchement en
faveur de leur peuple, contre les intérêts des classes dominantes,
qu’elles viennent de l’intérieur ou de l’extérieur du pays. Le jour de
l’indépendance de son pays, l’ex-Congo belge, le 30 juin 1960, Lumumba
prononce un discours passionné devant le roi des Belges qui ne le lui
pardonnera pas : « Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée
aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous
traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais
oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte
de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle
nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances,
ni notre sang. » Onze jours plus tard, avec le soutien des puissances
occidentales, la province du Katanga fait sécession : la déstabilisation
de Lumumba commence. Elle se terminera par son exécution avec la
complicité active de militaires belges, le 17 janvier 1961, voici donc
quarante ans.

Pour sa part, Thomas Sankara[2], président du Burkina Faso, s’est
également fait remarquer par un discours remarquable à Addis Abeba le 29
juillet 1987 : « La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord si
nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en
sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en
sûrs également. […] Nous ne pouvons pas accepter leur morale. Nous ne
pouvons pas accepter que l’on nous parle de dignité. Nous ne pouvons pas
accepter que l’on nous parle du mérite de ceux qui paient et de perte de
confiance vis-à -vis de ceux qui ne paieraient pas. Nous devons au
contraire dire que c’est normal aujourd’hui que l’on préfère reconnaître
que les plus grands voleurs sont les plus riches. […] Je voudrais que
notre conférence adopte la nécessité de dire clairement que nous ne
pouvons pas payer la dette. Non pas dans un esprit belliqueux, belliciste.
Ceci, pour éviter que nous allions individuellement nous faire assassiner.
Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là 
à la prochaine conférence ! Par contre, avec le soutien de tous, dont j’ai
grand besoin, nous pourrons éviter de payer. Et en évitant de payer nous
pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement. »

Effectivement, il n’était pas à la conférence suivante : le 15 octobre
1987, avec la complicité des autorités françaises, des hommes de main de
Blaise Compaoré l’exécutaient. Depuis 1987, Blaise Compaoré est président
du Burkina Faso et symbolise à merveilles les relations mafieuses entre la
France et l’Afrique. Comme Duvalier avant 1986, comme Ben Ali avant le 14
janvier 2011, Compaoré est soutenu par la France. Il a d’ailleurs été
reçu discrètement à Paris les 17 et 18 janvier dernier. Dans nombre de
pays dont les peuples subissent une dictature évidente (Tunisie hier, tant
d’autres aujourd’hui encore), les dirigeants européens, notamment
français, se réjouissent de l’action de ces pouvoirs autoritaires qui
servent leurs intérêts en piétinant les droits de leur peuple.

Cela fait maintenant six ans que la Convention des Nations unies contre la
corruption est entrée en vigueur. Elle a fait de la restitution des biens
mal acquis aux pays spoliés un principe fondamental du droit
international. Pourtant, une infime partie des centaines de milliards de
dollars volés par des dirigeants corrompus de par le monde a été
restituée. Des institutions internationales comme le FMI et la Banque
mondiale[3] ont, dans l’histoire récente, financé nombre de dictatures à 
travers le monde, de l’Afrique du Sud de l’apartheid au Chili du général
Pinochet, en passant par l’Indonésie de Suharto ou le Zaïre de Mobutu.
Elles ont ainsi participé directement à la légitimation de fortunes
gigantesques, basées sur le pillage des ressources naturelles. En imposant
la libéralisation des capitaux et l’ouverture des économies, elles ont
facilité le transfert de sommes importantes depuis le Sud vers des paradis
fiscaux et judiciaires.

Dans ce jeu dangereux, il ne suffit pas de pointer du doigt quelques
dirigeants du Sud : il faut dénoncer la complaisance occidentale des
grands dirigeants et des milieux financiers qui bloquent toute enquête
sérieuse sur le sujet. Car si aujourd’hui des dictateurs profitent de
leurs crimes en toute impunité, c’est parce que la volonté politique pour
faire exercer la justice n’existe pas.

Les pays prétendument démocratiques ne doivent pas soutenir, ni même
tolérer, des gouvernements dictatoriaux et corrompus. Pourtant les
exemples de telles compromissions ne manquent pas, notamment au sein des
anciennes colonies françaises. Pendant ce temps, les peuples remboursent
une dette qui est le symbole visible de la soumission de leur pays aux
intérêts des grandes puissances capitalistes et des sociétés
multinationales. Il est grand temps de poser les bases d’une logique
politique, économique et financière radicalement différente, centrée sur
le respect des droits fondamentaux. Il est grand temps que ceux qui ont
conduit le monde dans l’impasse actuelle rendent des comptes en justice.

Damien Millet - Sophie Perchellet

Damien Millet est porte-parole, Sophie Perchellet est vice-présidente du
CADTM France (www.cadtm.org).

[1] Voir Sophie Perchellet, Haïti : entre colonisation, dette et
domination. Deux siècles de lutte pour la liberté, CADTM-PAPDA, 2010.

[2] Voir Damien Millet, L’Afrique sans dette, CADTM-Syllepse, 2005.

[3] Voir Eric Toussaint, Banque mondiale : le coup d’Etat permanent,
CADTM-Syllepse-Cetim, 2006.

COMMENTAIRES  

26/01/2011 12:01 par kounet

Je pense que tous ces dictateurs en exil chez nous, financent en sous-main les partis politiques, c’est pourquoi la justice ( quelle justice ?) n’intervient jamais .C’est déplorable et ça indique la valeur des hommes politiques et des médias qui se taisent .

27/01/2011 00:51 par nina

« il est grand temps que ceux qui ont conduit le monde dans l’impasse actuelle rendent des comptes en justice. »

Il est surtout grand temps que tous ceux qui ont en marre de toute cette mascarade d’Etats dégueulasses et de ces salopards se révoltent !! et se débarrassent ce ces crapules... y a du ménage à faire partout...

30/01/2011 00:39 par Rodney

Dictateurs, Corrupteurs, corrompus....ce ne sont que des qualitificatifs bien appréciés et tolérés dans les pays pauvres.
Je partage avec vous des commentaires sur une "fausse accusation" de malversation d un ancien dirigeant et ses reactions.

http://www.alterpresse.org/spip.php?article4983

Latortue fait la part des choses sur les 44 millions
31 juillet 2006, par AlterPresse

Publie dans Le Nouvelliste du 25 Juillet 2006 :

Latortue fait la part des choses sur les 44 millions

Cher Nouvelliste,

.......

1. J’ai fait déposer, début juillet, par devant le greffe du tribunal civil de Port-au-Prince, la déclaration de mon patrimoine, comme je l’avais déjà fait au début de mon mandat de Premier ministre, dans l’espoir d’inaugurer une tradition à laquelle se plieraient mes successeurs. Vous n’y constaterez pas d’enrichissement personnel.

Commentaire : Jusqu’á preuves du contraire on doit assumer que c’est correct et que vous avez fait ce que est droit et juste.

2. Les deux véhicules " de luxe "avaient été mis à ma disposition par l’Etat Haïtien en conformité aux articles 2 et 3 de l’Arrête du 23 Novembre 2005 qui prévoit pour tout ancien chef d’Etat et de Gouvernement un Secrétariat, un service de sécurité rapprochée et des moyens de transport adéquat, tout ceci á la charge de l’Etat. Quand j’ai été informé officiellement le 19 Juillet 2006 que les bénéfices prévus à l’Arrêté du 23 Novembre 2005 ne seraient accordés qu’aux anciens dignitaires résidant en Haïti, j’ai immédiatement pris contact avec le Consulat d’Haïti à Miami pour coordonner la remise de ces véhicules au gouvernement Haïtien.

Commentaires : Vous avez été Premier Ministre du pays de 2004-2006, je vois dans les arretés, lois et decrets lois pendant cette periode , votre signature et celle de l áncien President Me Bonniface Alexandre entr’autres. Je trouve ca bien surprenant que c est un an aprés vous connaissez les details (qu il fallait retourner les voitures) des lois et decrets promulgués sous votre gouvernement et dans beaucoup de cas que vous avez signés vous-meme.

L important vous avez remis á l’Etat Haitien ses biens. Bravo !

3. Je n’ai bien évidemment jamais émis de décret octroyant des indemnités (" privilèges ") de 15.000 dollars US aux anciens Premiers ministres (sous entendu moi-même). Ce genre d’information, cher Nouvelliste et chers Parlementaires, était quand même très facile à vérifier, en l’occurrence auprès du " Moniteur ", ou du ministère des Finances, ou du Secrétariat du Conseil des Ministres.

Commentaire : Vous avez raison, il faut faire une investigation a fond sur ce point. Car, une simple analyse indique que la somme est vraiment incompatible aux réalités locales. Comment Haiti pourrait payer 15 000 usd a tout ancien premier ministre ? Comment comprendre que la pension d’un Ministre a superieur a son ancien salaire.

Malheureusement, les vagues references que vous indiquez nous permettent pas aussi facilement de trouver cette justification des 15 milles dollars. Moniteurs : que publication, numero ?

D’ailleurs le montant serait defini en Gdes. En fait, selon les recherches jusqu’ á date, vous ëtes le Premier ancien ministre a jouir d une telle pension. Je vous témoigenrait d une grande gratitude si vous indiquez, le numero du Moniteur, page,art. qui definit ce montant. En passant, sur quel gouvernement ? Cela doit sortir á la lumiere qui ont fait ces calculs pour definir ce montant aux anciens premiers ministres. J’evtie de croire que telle decision a été prise durant la transition, pour la transition. les rumeurs dises que ce fut une decision de Me Bonniface. Corrigez moi, s il y a lieu. J’à­magine la somme est encore plus grande pour un ancien Président ?

Sur le fond, enfin, de votre article, à propos de per diem prétendûment " auto-accordés " (le montant des per diem est fixé par l’administration et non pas par le Premier Ministre) par Latortue qui seraient élevés à " 44 millions de gourdes " en deux ans, cette somme correspondrait peut-être aux sommes investies par la Primature pour les frais de sa diplomatie et de ses nombreux déplacements à l’étranger ; frais engagés pour la défense et la promotion des intérêts d’Haïti et aussi pour mettre fin á l’isolement d’Haïti sur le plan international....

Commentaire : Je comprends bien que la somme d un million ne dit pas beacoup pour l économie des grandes nations. On dépense plus que ca dans une noce de riches aux Etats Unis. En fait,

Si on fait un calcul simple, 1 million / 365*2 (ans)= 730 aprox. = 136 usd par jour comme perdiem. Si je me trompe pas les consultants de l Union Européenne se gagnent un peu plus par jour pour dans un pays a conflits comme Haiti(dans leur cas, si la mission dure deux ans, ce perdiem serait revisé á la baisse).

Bref, dans votre cas, je crois que c’est trop simple de vous accuser de vol. Mais, cependant, il faudra repenser les termes de sacrifices qu’on utilise pour definir votre mission en Haiti. Comme un grand patriote qui a été au secours du pays. Le jeu en vaut la chandelle si on tient compte d 1 million pendant 2 ans + 300 milles usd par an comme pension. Dans dix vous allez couté a ce pays debordé de pauvres 3 millions comme pensionnaire de l’Etat.

Accordez-moi que cette dépense a été utile (960 autres millions de dollars investis !), qu’elle est très modeste au regard des usages en cours dans les pays en développement á diplomatie dynamique , qu’elle est infiniment inférieure aux dépenses non productives dilapidées par la présidence Aristide pour gaver ses avocats et ses groupes de pressions aux Etats-Unis et en Afrique, et qu’elle est probablement du même ordre (car les hôtels, les restaurants et les avions ne sont pas gratuits), que celle engagée par la nouvelle équipe gouvernementale pour des voyages à l’étranger, avant même son investiture officielle et depuis .D’ailleurs , je souhaite respectueusement , au passage , aux nouveaux chefs de l’exécutif,encore plus de résultats, et de récolter le 25 juillet ce que nous avons essayé de semer, pour " un million de dollars ", dans les décombres de Lavalas.

Commentaire :

Je n aime pas trop cette comparaison aux dépenses effectuées par M. Aristide pour ses avocats et lobbyistes. Si vous avez vous meme conseillé et créé le CEA pour investiguer des malversations dites commises sous le regime de M. Aristide. Dire que votre million n est rien par rapport aux depenses de M. Aristide, comme dire : "Sa m pa anyen la si n konpare l ak sa lavalas te fé".

Encore une fois, je ne sous-entends pas que cette ce que vous avez voulu dire. Seulement, que ca porte á la confusion , faire une telle approche ou comparaison pour justifier vos frais. Je considére de mauvaise foi toute tentative de vous nier le droit a ces frais. Toutefois, pour un pays en crise, le montant reste discutable.

En plus, c’est vraiment édiafiant savoir que vous avez, avec un million de dollars, pu obtenir 996 autres millions pour le pays. Donc, votre paiment ne represent qu’un 1% du montant. Je serais plutot calme de savoir quel fut le pourcentage que representaient les frais et paiements des autres ministres (ou lobbyistes queconques) durant la transition ?!?!?!!?!?!

...Le Premier ministre, d’hier et d’aujourd’hui, ni le Président, ne sont pas chargés de tout (heureusement !). Arrêtons la fable duvaliérienne et aristidiste des hommes providentiels ou des prophètes. Si scandale il y a eu, cher " Nouvelliste ", chers journalistes, enquêtez, investiguez, recoupez les témoignages, retournez sur le terrain, questionnez, contestez, proposez, démontrez, investissez (car une information coûte beaucoup plus cher et d’efforts qu’un zin)...

Commentaire : ci, je vous rejoins, il faut investiguer, fouiller , presenter les documents, recus,etc avant d’attaquer l’integrité d’un citoyen et profeessionel. Nous devons ëtre plus responsables et consequents quand on se propose d’attaquer la dignité du compatriote. Qu’il s’appelle M Latortue ou M. Aristide, on doit cesser le denigrement á bon marché sans presenter des prueves irrefutables.

Sous le régne de M. Latortue et Me Bonniface, le régime lavalassien a été démonisé. Aprés la transition, c’est cas du gouvernement de M. Latortue. Je dis , autant !

En Haiti, on sait tout. Chacun accuse l’autre. De Papa Doc, Baby Doc, les Pushistes, passant par M. Aristide, M. Latortue, pour arriver á Preval, tous sont suspectés certains pour fraudes, corruptions, d autres pour crimes. Personne ne peut rien prouver ! Est -il correct de legitimer les soupcons partisans et souvent malintentionés ?
Partout, l ’accusation sans fondements, est condammable par les lois.

Ann sispann fé dilatwa, Ann sispann bouyi zen sou do zót !

Kiyés kap bay premye kout róch la ?

Si le peuple Haitien reste passif aux regards de ces décrets lois et arretés octoyant ces sommes colossales á nos anciens dirigeeants presidents et ministres, la misére du peuple Haitien ne fait que s’accroitre.

En passant, j’espére que M. Latortue a payé á M. Neptune ses memes frais de quinze milles dollars qui lui aussi devrait avoir droit comme ancien ministre....

Sous la presidence de M. Préval, on a connu au moins trois differents premiers ministres, ont ils accés aussi 15 000 milles dollars ?!?!?!

Cessons de rendre responsable un individu ou un groupe (duvalieriste, lavalassien, etc), faut chercher á éliminer les problémes á la source. Faut trouver la source de toute corruption.

A tout seigneur tout honneur !

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