RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Deux Jours, une nuit, ou le prix d’un être humain.

Les responsables du Festival de Cannes, conscients de la débilité de leur sélection (voire son caractère provoquant, dans le cas du film de propagande anti-russe de Hazanavicius, The Search), ont, semble-t-il, demandé un brevet de vertu cinéphilique à trois réalisateurs indiscutables, icônes aussi bien du cinéma esthète (Godard) que du cinéma social (Ken Loach et les frères Dardenne).

Aussi pouvait-on aborder Deux Jours, une nuit avec une pointe de scepticisme, corroborée par 3 observations. Les Dardenne, connus pour choisir des actrices non-professionnelles, ou peu connues, ou du moins belges, comme Cécile de France pour Le Gamin au vélo, sont cette fois allés chercher une actrice oscarisée, à laquelle il fallait d’abord, disent-ils, faire perdre son "accent parisien".

L’intrigue du film (une femme menacée de licenciement doit convaincre ses collègues de voter pour sa réintégration) semble un remake de Douze Hommes en colère, de Sidney Lumet, archétype du film progressiste américain ; dans ce cadre, les institutions ne sont jamais remises en cause, on ne parle que d’individus : si ceux-ci sont intègres (s’ils ne trompent pas leur femme, ne disent pas de mensonges, font leur prière avant d’aller se coucher), alors les lois seront bonnes ; si les jurés sont intègres, la peine de mort ne sera jamais appliquée qu’à bon escient. Enfin, Deux Jours, une nuit repose ainsi sur un scénario répétitif, qu’on pouvait redouter fastidieux.

Et pourtant, disons-le tout de suite, le film emporte très vite l’adhésion. Marion Cotillard a pris l’accent belge, de sorte qu’on pourrait la croire doublée par Yolande Moreau – si ce n’est que son accent est trop appliqué pour sonner vraiment juste.

Loin de s’ennuyer, on suit l’histoire en s’ impliquant de plus en plus dans son enjeu, et on compte avec Sandra les voix gagnées et celles qui restent à emporter pour atteindre la majorité. Les Dardenne ont du métier (cela se sent même peut-être un peu trop) et ont su varier la dizaine de discussions entre Sandra et ses collègues, suivant la situation familiale et économique de chacun, son origine (avec un Turc, un Africain, un Maghrébin, un "Miguel" et la famille italienne du mari de Sandra, l’Europe de l’immigration est bien représentée) et l’intensité dramatique de chaque séquence : tantôt Sandra est accueillie à bras ouverts par des collègues qui se repentent d’avoir voté une première fois contre elle, tantôt la tension monte et il lui arrive même de recevoir des coups.

Reste la dernière objection : les Dardenne ne présentent-il pas une vision trop étroitement individualiste du monde du travail ? A cela on peut répondre que ce film, comme les derniers films de Ken Loach, est un simple constat : la classe ouvrière a été atomisée par les stratégies du patronat, qui ont rendu l’action collective inopérante, et le mettent en mesure d’enfermer les ouvriers dans des dilemmes pervers "à la Camus" : soit voter le licenciement d’une collègue, soit perdre la prime mensuelle de 1000 euros correspondant aux heures sup qui compensaient l’absence de Sandra en congé-maladie (on entend d’ailleurs l’un des ouvriers dire qu’il veut faire ces heures sup "pour gagner plus", suivant un slogan célèbre).

Dans une telle situation, on est surpris de ne jamais entendre parler des délégués syndicaux : Sandra a bien une camarade, Juliette, qui la soutient et organise la résistance, mais elle semble n’agir qu’en tant qu’amie, en vertu de leurs liens personnels. (Ken Loach, déjà, en 1993, dans Raining Stones, prenait acte de l’inefficacité des syndicats). Heureusement, dans le cas d’Alphonse, l’Africain, la religion supplée à la formation syndicale, inexistante, et l’amour du prochain à la solidarité de classe !

Pourtant, Deux Jours, une nuit, comme Looking for Eric, est un plaidoyer pour l’action collective. Les discussions de Sandra avec ses collègues, en resserrant le lien social, l’aident à se reconstruire face à l’épreuve de la menace du chômage. Et lorsqu’arrive le lundi, jour du vote, et qu’on entre, pour la première fois, dans le lieu objet de l’action, l’usine, celle-ci n’apparaît plus comme un tribunal redoutable, mais comme le lieu d’un travail en équipe : les acteurs du drame sont ressoudés par la blouse de travail qu’ils portent et cette séquence se déroule dans une ambiance différente, moins pesante. Dès lors, au milieu de ses camarades, et quel que soit le vote qu’ils se préparent à émettre, et le résultat de la consultation, Sandra peut retrouver le sourire en déclarant : "On s’est bien battus".

Certes, l’optique chrétienne, personnaliste des Dardenne peut sembler peu incisive pour un film social, alors qu’elle était en adéquation avec le sujet du Gamin au vélo (la rédemption, par l’amour d’une mère adoptive, d’un enfant abandonné). Mais Deux Jours, une nuit, comme L’Enfant, comme Le Silence de Lorna, pose une question essentielle : dans une société libérale, où tout est marchandisé, quel est le prix d’un être humain ? Les 1000 euros, leitmotiv du film, prix du sacrifice de Sandra, répondent à la somme équivalant au bébé vendu et à l’amour de sa mère (dont le compagnon a fait une mère porteuse malgré elle), ou à la somme que Lorna doit recevoir en échange de son mariage blanc avec un toxicomane et l’élimination de celui-ci, et, finalement, aux trente deniers, prix du Christ pour Judas.

Deux Jours, une nuit, c’est la durée du week-end pendant lequel Sandra, malgré son abattement, son sentiment de solitude et les rebuffades, essaie d’inverser le sens du vote, mais c’est aussi la durée de la Passion du Christ. La culture chrétienne, chez les Dardenne, comme les convictions marxistes chez Ken Loach, rend à la figure de l’ouvrier toute sa dignité.

URL de cet article 25720
  

Une histoire populaire des États-Unis - De 1492 à nos jours
Howard ZINN
Cette histoire des États-Unis présente le point de vue de ceux dont les manuels d’histoire parlent habituellement peu. L’auteur confronte avec minutie la version officielle et héroïque (de Christophe Colomb à George Walker Bush) aux témoignages des acteurs les plus modestes. Les Indiens, les esclaves en fuite, les soldats déserteurs, les jeunes ouvrières du textile, les syndicalistes, les GI du Vietnam, les activistes des années 1980-1990, tous, jusqu’aux victimes contemporaines de la politique (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"Nos sociétés sont des taudis intellectuels. Nos croyances sur le monde et sur les autres ont été créées par le même système qui nous a entraînés dans des guerres répétées qui ont tué des millions de personnes. On ne peut pas construire une civilisation uniquement à partir de l’ignorance et du mensonge." - Julian Assange

Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.