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Diaz, les G8 et le vrai visage de la démocratie.

Après Piazza Fontana, de M.T. Giordana, Daniele Vicari vient encore illustrer avec force le genre du cinéma politique italien : bien que Diaz, Un crime d’Etat, concerne les terribles événements du G8 de Gênes en 2001, sa sortie pendant le récent G8 qui s’est tenu en Irlande lui redonnait une pleine actualité.

On peut sans doute faire des reproches au film (Vicari en a reçu aussi bien de la droite et de la police, que de l’extrême-gauche qui lui reproche de ne pas avoir assez parlé de son projet politique) ; mais on a trop besoin de ce type de film pour ne pas le saluer avec gratitude, alors que les medias traditionnels ne sont plus que bourrage de crâne, et en ces temps de trahison des clercs : dimanche dernier, l’inénarrable Michel Serres dissertait sur France-Info (à propos de récentes manifestations) sur Expertise ou Vérité et Opinion, suivant l’opposition scolastique entre Logos et Doxa (pont aux ânes de tout candidat au Bac de philo), pour conclure que les chiffres donnés par la police, relevant de l’Expertise, et donc de la Vérité, sont incontestables, tandis que ceux donnés par les organisateurs des manifestations, relevant de l’Opinion, ne devraient pas être cités (car les mettre en parallèle avec les premiers serait offusquer la Vérité).

Il ne reste donc, pour ouvrir de petites fenêtres sur la réalité, que le cinéma. Le G8 de Gênes a fait un mort, un jeune de 22 ans, Carlo Giuliano, tué d’une balle, mais aussi écrasé à deux reprises par un véhicule de la police. Ceci a marqué les esprits ; mais qui se souvient de la suite ? C’est de cette suite que traite le film.

Diaz s’ouvre sur une scène énigmatique (qu’on reverra plusieurs fois et qui ponctue la première partie du film) : un jeune lance une bouteille qui vient s’écraser à côté d’un véhicule de la police, selon une trajectoire qui se déroule au ralenti et à l’envers : c’est en effet le petit incident fatidique qui va aboutir à un déchaînement de violence policière. Après la mort de Giuliano, les autorités italiennes, voulant en finir avec les jeunes qui continuaient à tenir tête à la police, multipliaient les provocations, cherchant un prétexte : cette bouteille leur permet de se présenter comme menacées et d’utiliser un certain article de loi pour justifier une vaste opération, l’assaut de l’Ecole Diaz. Des centaines de policiers, de Gênes, mais aussi des renforts venus de plusieurs autres villes, attaquent pendant la nuit moins d’une centaine de jeunes anti-système qui dormaient dans le gymnase. La caméra, très mobile, nous plonge dans la violence, la confusion et la panique de cette nuit : elle suit l’irruption des hordes de policiers, les coups de matraques qui s’abattent sur garçons et filles indifféremment, mais aussi sur des médecins et des journalistes, la chasse à l’homme dans les étages de l’école, où on débusque de petits groupes de leurs précaires cachettes, et les mares de sang qui s’élargissent (d’où le sous-titre italien : Don’t clean up this blood) : et tout cela est scrupuleusement exact, il suffit de comparer le film aux vidéos tournées sur le vif.

Mais la caméra s’attarde aussi, en un contre-point ironique, sur un sachet en plastique bleu, qui contient deux cocktails molotov trouvés lors d’une opération policière antérieure, transporté sur les lieux de l’attaque, et qui, en un véritable mouvement chorégraphique, va passer de main en main, jusqu’à se retrouver dans un sac où les policiers accumulent les "preuves" de la présence d’armes dans l’école.

Tandis que les blessés les plus graves sont évacués dans des civières, environ 80 jeunes sont arrêtés et transportés à quelques kilomètres de Gênes dans la caserne de Bolzaneto ; là commence une séquence encore plus sinistre : pendant plusieurs jours, ils seront retenus en dehors de toute légalité et soumis à des tortures et des traitements dégradants, qui évoquent les sévices infligés par les libertins du Salo de Pasolini aux jeunes gens et jeunes filles qu’ils séquestrent : ainsi, on y voit une jeune fille reçue par un crachat d’un policier, puis, conduite à l’infirmerie, déshabillée et humiliée sous les yeux de policiers nonchalamment affalés, par un médecin qui manipule une matraque de façon obscène, (il lui donne alors non plus le nom technique de "tonfa", mais celui de " manganello" qu’elle portait à l’époque fasciste). Et cette référence n’a rien d’arbitraire : on peut lire dans les dépositions des victimes que les policiers les obligeaient à crier : "Viva il duce !" ou : "Vive Pinochet !". Un jeune homme, qu’on oblige à se mettre à quatre pattes, nu, et à aboyer, rappelle même la prison d’Abou Ghraïb.

On se pose alors forcément la question : est-ce cela la démocratie ? On a qualifié le film de coup de poing et, en effet, on prend conscience avec angoisse que la démocratie permet toutes les dérives : il suffit que l’autorité politique en prenne la décision, rien ne l’empêche de perpétrer tous les crimes, aucun frein légal ne l’arrête, et aucune instance, après les faits, ne la sanctionnera ; la police démocratique peut, à tout moment, se transformer en police de dictature, et la magistrature démocratique couvrira tous les crimes. Des centaines de policiers, magistrats, hommes politiques et même médecins impliqués dans les violences, seules quelques dizaines seront jugés, moins encore condamnés, à des peines légères, et la plupart du temps annulées du fait de la prescription (parfois même les délits sont protégés par des lacunes juridiques : ainsi, la loi italienne ne prévoit pas le délit de torture , il ne peut donc pas être poursuivi).

La démocratie apparaît donc bien comme ce "monstre doux" dont parlait déjà Tocqueville, mais un monstre toujours prêt à mordre. Dans ces corps fermés, séparés de la société et destinés à des actions violentes que sont la police et l’armée, on ne peut pas parler de dérives ni de bavures : des événements comme ceux de l’école Diaz dévoilent leur vrai visage, comme, récemment, "la plus grande démocratie du monde" a dû jeter le masque et montrer son vrai visage de Big Brother.

Rosa Llorens

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