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Duplicité et courte vue

La France est désormais la cible absolue de Daech. Nous ne devons pas en être étonnés : l’Etat islamique le proclame depuis de longs mois.

A en croire divers observateurs plutôt bien informés les attentats odieux du 13 novembre dernier ne sont que le prélude d’’une guerre d’un nouveau genre qui « étend ses opérations sur notre sol. Face à cette menace, il conviendrait de garder son sang-froid, d’éviter les solutions qui exacerbent le problème au lieu de le résoudre. Au contraire, les dirigeants français, soutenus par une écrasante – le mot est faible – majorité de la représentation parlementaire, sont tombés dans le piège que nous tendent les « soldats de Dieu ». Puisqu’ils font la guerre chez nous, nous allons leur répondre chez eux. Deux leçons sont déjà à tirer de cette posture : il est presque impossible de délimiter les cibles de cette guerre ; l’occident civilisé est devenu incapable d’agir autrement que dans l’urgence. Réalisons bien que la seconde leçon a des racines solidement ancrées dans notre Histoire et dans la volonté mortifère de perpétuer l’ordre inégalitaire du monde.

En avril 2004, nous écrivions ceci : «  Dans « la guerre de tous contre tous », les armées suréquipées sont vouées au désastre. L’attaque de l’Irak l’an dernier et ses périlleuses suites n’ont fait que provoquer le développement des vocations criminelles. Partout des groupuscules dormants et interconnectés rêvent de passer à l’action. Dans toutes les métropoles, la peur s’installe face à un ennemi qui est partout et nulle part. La guerre froide d’autrefois a laissé place à la panique froide. » (1) Une douzaine d’années plus tard nous devons nous résoudre à accepter que cette sentence, bien qu’elle nous fut reprochée par d’imprudents optimistes, est aujourd’hui pleinement et tragiquement confirmée par les faits. L’ennemi est donc difficilement saisissable quand il agit chez nous. Cela ne signifie pas qu’il faut se garder de renforcer les moyens de la Police, du Renseignement et de la Justice. Il faut bien sûr élever le niveau de la protection de nos sociétés, déjouer les projets criminels des djihadistes. Mais, la naïveté ne doit pas être de mise : nous n’atteindrons jamais l’efficacité totale, loin s’en faudra probablement. Croyons-en le juge Marc Trévidic qui n’est pas le dernier informé en cette matière sensible : « L’évidence est là : nous ne sommes plus en mesure de prévenir les attentats comme par le passé. On ne peut plus les empêcher. Il y a là quelque chose d’inéluctable. » (2) Cependant, qu’en est-il des cibles visées par les armées de « la coalition » sur les lieux mêmes de la naissance de Daech ? On le sait bien maintenant : les « frappes chirurgicales » rêvées par George W. Bush sont une vue de l’esprit. Ironie mal placée : l’on bombarde même des hôpitaux ! Dans les régions d’Irak et de Syrie que nous tapissons de bombes, pour éradiquer « le monstre », ne vivent pas que des fanatiques de l’Etat islamique ou des gens plus ou moins acquis à sa cause délirante. L’humiliation ressentie par les populations civiles décimées va croître et embellir. Elle nourrira un peu plus la haine envers l’Occident. Effroyable spirale !

Mais au fait, d’où vient le monstre ? Depuis 2012 la dictature militaire d’Egypte a travaillé à l’écrasement du « printemps arabe », armée par la France et la Russie, aidée financièrement par "nos amis les rois" d’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis. Par la fourniture de matériels militaires conséquents "nous" aidons également ces dictatures à exploiter les quinze millions d’immigrés de la Péninsule arabique, à mener une sale guerre au Yémen contre les populations qui ont commencé de se soulever lors du printemps arabe. C’est donc une guerre sociale à grande échelle que notre impérialisme – non, le mot n’est pas trop fort – mène au quotidien dans les pays ’musulmans’, sous couvert de "lutte contre le terrorisme". Certes cela est réalisé par l’intermédiaire d’Etats régionaux, conformément à la « doctrine Nixon » mais le dessein souffre peu de contestation pour qui sait regarder derrière les paravents maladroitement dressés. La base étasunienne de Bahreïn, la base française d’Abu Dhabi sont de sûrs garants pour les dictatures religieuses du Golfe qui dans leur "lutte pour la stabilité de la Péninsule" ont pour alliés d’autres dictatures religieuses, telle la Mauritanie (régime islamique d’apartheid anti-noirs inventé par les marabouts locaux avec le soutien de notre « Gauche coloniale ») ou encore le Soudan et le Pakistan… Les régimes qui étaient pro-talibans ou pro-Ben Laden sont ceux que "nos armées" et nos "champions nationaux" de l’armement ou du pétrole soutenaient et soutiennent encore massivement ! Il faut se rendre à l’évidence, la France est plus ou moins directement devenue, dans le sillage des Etats-Unis, un des meilleurs commanditaires des groupes terroristes transnationaux, de la Libye à la Syrie. Et, cela est efficace : la revue Foreign Affairs de novembre/décembre 2015 proclame que l’Etat islamique n’est plus un problème, car le pétrole continue à couler à flot. Superbe indécence !

Le manque de réactions, depuis des années, face à la politique étrangère de la France paraît devoir persister, du moins à en croire les sondages d’une opinion certes puissamment marquée par l’émotion. Le temps est peut-être venu pour les citoyens attachés à l’idéal démocratique d’envisager autre chose que seulement afficher qu’ils sont de bons vivants pour tenter de persuader l’adversaire inconsistant qu’ils ne sont pas apeurés. De toute façon, cela n’émoussera en rien Le délire de l’islamo-fascisme. Une autre certitude est patente : L’Etat islamique sera vaincu comme l’ont été tous ses devanciers fascistes. Nous n’en serons pourtant pas quittes avec l’islamisme. Pour l’écrivain algérien Boualem Sansal, Daech est une branche morte de l’Islam. Elle tombera le moment venu, après avoir fait encore des ravages. Le plus préoccupant réside dans la concurrence acharnée que se livrent dans le « monde musulman » les branches saines de l’Islam radical. C’est à l’aune de cette menace à large spectre que doit être jugée la politique étrangère de la France et de ses alliés. Force est de constater qu’elle est de courte vue. Elle est ainsi marquée du sceau de l’amateurisme. François Hollande entrera certainement dans l’Histoire pour son quinquennat… guerrier de bout en bout.

Yann Fiévet

(1) Yann Fiévet, « Des Twin Towers à Atocha en passant par Bagdad », Le Peuple Breton, avril 2004 . Dans cet article, l’expression « panique froide » était empruntée à Paul Virilio.

(2) Entretien publié par Paris-Match le 30 septembre 2015.

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