Plein écran
commentaires
Les « indignés » se rebellent

Espagne : déroute électorale du parti socialiste

« Vous sauvez les banques, vous volez les pauvres ». Angel, 25 ans, ingénieur au chômage, affiche toujours sa pancarte au milieu de la Puerta del Sol, place emblématique de Madrid, au lendemain du scrutin municipal et régional accouchant d’une déroute du Parti socialiste de José Luis Zapatero et d’une victoire en demie teinte du très droitier Parti populaire. Dimanche dernier, Angel a préféré rester près de sa tente dressée au milieu de dizaines d’autres et ne pas aller voter car « les deux grandes formations politiques offrent le même choix, un programme de soumission économique. » Dans soixante autres villes d’Espagne, ont eu lieu la même démonstration prenant appui sur les mêmes revendications.

Une révolte sociale inédite se déroule en Espagne. Comme en Tunisie et en Egypte, les jeunes sont à l’origine du mouvement, les réseaux sociaux et internet jouant le rôle moteur d’information, d’organisation, de mobilisation. Autour du campement, le sérieux de l’organisation étonne les plus âgés notamment les retraités venus demander timidement comment ils pourraient se joindre au mouvement. D’un côté de la Puerta del Sol, les portes paroles - la plupart étudiant en communication - préparent un communiqué. De l’autre Pedro, 30 ans, informaticien sans travail, se charge de la propreté. « Ici, canettes et bouteilles sont interdites », dit-il préparant son équipe à une nouvelle « opération balayage ». Sonia, 26 ans, infirmière, assure avec Joaquim, 28 ans, médecin, le suivi des petits bobos. Quant au très musclé José, dit Pepe, avec sa bande de joyeux drilles, il s’assure que des provocateurs ne viennent pas faciliter une possible intervention de la police. Les Espagnols indisciplinés, n’est-ce pas un cliché à ranger au rayon du passé ?

Le mouvement « Democratia Real, Ya » (Démocratie réelle, maintenant) a surgi le 15 mai comme une explosion de colère d’une jeunesse étranglée par la crise. 45% des chômeurs ont moins de 25 ans, les plans d’austérité décrétés par la Commission européenne et le FMI appliqués à la lettre par les socialistes au pouvoir jettent à la rue les plus démunis, particulièrement les jeunes. Le sentiment de ras-le-bol a gagné une frange majoritaire du peuple de gauche comme en témoigne la forte abstention, dimanche dernier, du traditionnel électorat socialiste.

Le manifeste du mouvement du « 15-M », sans leader affiché, s’intitule : « Je suis indigné ». Les auteurs se revendiquent de Stéphane Hessel. Que réclament-t-ils ? La fin de la corruption et de la collusion entre pouvoir économique et politique, le droit au travail, à un logement digne, un système démocratique plus participatif, le rejet du bipartisme, l’éclosion d’un véritable pluralisme. Ils condamnent la globalisation et la complicité des politiques face aux marchés financiers. Sans le dire, c’est le capitalisme qu’ils ont en ligne de mire.

Il aura fallu un peu plus de trente ans pour que la nouvelle génération espagnole donne le signal du changement nécessaire. Après la mort de Franco, l’accord pour une « transition démocratique », évita, selon ses partisans, une guerre civile, pour ses détracteurs il permit de blanchir la dictature. Pendant plus de trente ans, la génération sortant du fascisme se réfugia dans le silence. On parlait peu des crimes commis par le franquisme, on évoquait du bout des lèvres les fosses communes, l’exil et la peur. Le peuple de gauche se réfugiait massivement dans le vote socialiste croyant ainsi se prémunir d’un retour du franquiste. Dans le même temps, la droite menait une opération maquillage dite « démocratique » fondant au moindre rayon de soleil. Une élection une fois à gauche, une autre à droite pendant plus de trente ans pour une même gestion à quelques nuances près. La nouvelle génération espagnole refuse cette politique, affirme que « sans passé, il n’y a pas d’avenir », souhaite vivre dans une véritable démocratie, demande le droit à la parole.

Plusieurs vieux responsables politiques et chroniqueurs patentés, complètement dépassés par l’ampleur de l’événement, assurent que le mouvement est manipulé en sous-main par les cocos-écolos de la Gauche Unie, d’autres allant jusqu’à y voir la main de l’ETA. Ils sont totalement à côté de la plaque ne comprenant pas où feignant de ne pas comprendre l’exaspération d’une partie considérable de la population dynamisée par une jeunesse débarrassée d’une peur diffuse entretenue encore chez leurs parents.

L’Espagne bouge, enfin. Les vieux caciques socialistes et de la droite n’ont plus le monopole de la vie de la cité.

José Fort (pour l’Humanité Dimanche)

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

29/05/2011 08:43 par Dominique

Dans son livre "Après la démocratie" Emmanuel Todd dit que la seule frange de la population susceptible de bouger est celle des jeunes diplomés sans travail, exclus de la vie professionelle ou exploités dans des "stages" non-payés ou dans des contrats à durée déterminée.

Ce sont eux qui sont les plus grandes victimes du système, et comme ils sont instruits, ils voient les mensonges et les fausses promesses, ils voient la corruption et la dérive d’une oligarchie occupée seulement à profiter du système et à en faire profiter leurs copains aux frais de la nation...

Et voilà ce que E. Todd avait dit est arrivé. Alors on peut peut-être écouter les solutions qu’il propose : selon lui il faut mettre des barrières douanières à l’Europe pour sauver ce qu’il reste de notre industrie, de nos emplois, et de nous salaires, il faut contraindre l’Allmagne à cesser de jouer les Chines à l’intérieur de l’Europe en faisant son excédent de balance commercial aux dépens de ses "alliés" et trouver une monnaie parallèle à l’Euro pour permettre les adaptations monétaires (ce dernier point je ne suis plus sure si c’est lui qui le dit ou d’autres économistes).

Il était confronté à Henri Guaino l’autre soir à l’émission "Ce soir ou jamais". Guaino répétait toujours la même chose comme un perroquet et comme ce qu’il disait était démonté par E. Todd, il a fini par essayer de l’empêcher de parler en criant "C’est pas vrai, C’est pas vrai, c’est pas vrai, c’est pas vrai" sans arrêt. Et E. Todd continuait sa démonstration imperturbablement, comme si une mouche bourdonnait et rien de plus...

Et dire que c’est par Henri Guaino et consorts qui nous sommes "dirigés" autant dire qu’ils ne dirigent rien (à part enlever et remettre des radars), ils laissent tout aller parce que 1. ça leur profite et 2. Et même s’ils voulaient ils sont incapables d’arrêter la machine qui s’est emballée par la faute du libre échange non régulé tellement ils sont crasses en économie et en géopolitique et obsédés par leur idéologie libérale qu’ils prônent envers et contre tout, aussi aveugles que des poules qui courent après qu’on leur ai coupé le cou.

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.