RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
"notre cible stratégique, c’est la population"

Etats-Unis : comment les télévisions ont censuré les voix anti-guerre

Au cours de l’automne 2002, semaine après semaine, j’ai vigoureusement débattu contre l’invasion de l’Irak sur la chaine de télévision MSNBC. J’ai utilisé tous les arguments possibles pour tenter de convaincre le public - absence de menace réelle, le coût, l’instabilité. Mais lorsque la guerre se fît imminente, je me suis retrouvé exclu des débats.

Dans mon livre de 2006 « Cable News Confidential » (1) j’explique comment j’ai perdu mon temps de parole :

« Je n’avais plus ma place chez MSNBC après qu’ils aient lancé « Countdown : Iraq » [Compte à rebours : Irak] une émission quotidienne d’une heure qui paraissait plus prompte à présenter la guerre sous un côté glamour qu’à en analyser les fondements ou se poser des questions. L’émission présentait des colonels et des généraux à la retraite qui ressemblaient parfois à des petits garçons avec leurs jouets lorsqu’ils présentaient des cartes, des maquettes et des graphiques pour concocter des scénarii d’invasion.

« Ils me faisaient penser à ces anciens joueurs de foot qui se lancent dans des analyses et présentent des schémas de jeu avant le match. Ce fût très pénible de se retrouver sur la touche chez MSNBC tout en observant ces non-débats où mensonges et désinformation furent servis sans la moindre contestation ».

C’est déjà assez pénible de se voir réduit au silence. Mais pire encore, c’est de voir ces ex-généraux - dont beaucoup travaillaient pour des sociétés d’armement - ne jamais être contredits, ne jamais se voir poser une question délicate par un présentateur. (Je ne pouvais être présent sur un plateau de MSNBC qu’à la condition d’avoir en face de moi au moins un contradicteur volubile de droite).

A part de découvrir l’audace et l’étendue de l’opération, je n’ai pas été réellement surpris par un article récent du New York Times (2) qui raconte comment le Pentagone avait recruté et formé des gradés militaires à la retraite pour devenir « des multiplicateurs de message » et des « substituts » à la propagande mortelle de Donald Rumsfeld.

Les grands méchants dans cette histoire ne sont ni Rumsfeld ni le Pentagone, mais les chaines de télévision. Au pays du premier Amendement (article de la constitution qui garantit, entre autres, la liberté de la presse… - ndt) elles ont sciemment choisi d’abandonner le journalisme et d’évacuer le débat.

Aucune agence gouvernementale n’a forcé MSNBC à donner constamment la parole aux généraux va-t-en guerre, sans jamais un contradicteur en face. Ou de licencier Phil Donahue. Ou de calomnier l’expert en désarmement Scott Ritter. Ou de mettre sur liste noire l’ancien Ministre de la Justice Ramsey Clark.

Ce furent les dirigeants de MSNBC, pas le FBI, qui imposèrent à l’équipe de Donahue un quota de deux partisans de la guerre en cas de présence d’un opposant - de la discrimination positive en faveur des faucons.

Je suis pour une enquête du Congrès sur cette opération de propagande du Pentagone sur l’Irak (3) - où l’on a même vu un général en exercice haranguer d’anciens militaires devenus porte-voix contre rémunération et déclarer « notre cible stratégique, c’est la population ».

Les méchants

Mais je suis aussi pour un examen de CNN, FOX, NBC, ABC, CBS et même NPR (chaine publique - NDT) (4) et qu’elles rendent des comptes pour leur participation à la mission de « contrôle de l’information » du Pentagone.

Et pour avoir une idée du degré de corruption de la télévision étatsunienne aujourd’hui, il suffit de constater le silence quasi total qui y règne sur cet article du Times qui s’appuie sur 8000 pages de documentation interne au Pentagone, obtenue après un procès engagé et gagné par le journal.

Il est important de se rappeler qu’au moment où les grandes chaines de Télévision décidèrent d’abandonner toute éthique journalistique dans leur course à la guerre contre l’Irak, les médias indépendants sur Internet connurent un boom d’audience en choisissant une ligne rédactionnelle totalement différente.

Des émissions comme « Democracy Now ! » présentaient de véritables spécialistes de l’Irak et à qui - oh surprise ! - les faits ont donné raison. Des sites et des blogs indépendants, propulsés par le scepticisme sur la guerre, on vu leur audience exploser.

Quant aux grandes chaines de télévision, elles n’ont PAS été embobinées par la propagande du Pentagone. Elles ont été volontairement complices, et le sont depuis des dizaines d’années.

Il y a des années de cela, en tant que directeur de FAIR, j’ai commencé à interroger les dirigeants des média sur la fiabilité des interventions d’anciens gradés militaires sans contradicteurs. Après la guerre du Golfe de 1991, CNN et d’autres chaines de télévision se sont rendues compte que leurs ex-généraux avaient aidé le Pentagone à tromper et désinformer le public sur la conduite de la guerre.

CNN m’a invité à débattre avec un colonel à la retraite de l’armée US sur ce sujet des ex-militaires intervenant à la télévision. Les analystes militaires n’ont pas l’habitude des débats et le notre commença à chauffer.

Moi : « Pour parler d’écologie, il ne vous viendrait pas à l’esprit d’inviter, les uns derrière les autres, des experts qui seraient à la retraite d’organisations écologistes depuis 20 ou 30 ans et qui seraient toujours loyaux à ces groupes. Pour parler de travailleurs ou de conditions de travail il ne vous viendrait pas à l’esprit d’inviter, les uns derrière les autres, des experts qui n’ont pas côtoyé le monde du travail depuis 30 ans... Mais lorsqu’il s’agit de guerre et de politique étrangère, vous ramenez tous les généraux à la retraite, tous les secrétaires d’état à la retraite ».

le Colonel (avec irritation) : « et qu’est ce que vous voudriez ? Qu’un inspecteur des impôts se ramène pour nous parler de stratégie militaire ? »

Moi : « en plein dans le mille, Colonel... A part les généraux et les amiraux qui savent nous expliquer les différentes manières d’envoyer un missile ou une bombe, nous avons aussi besoin d’autres types d’experts : des experts en droits humains, des experts en médecine, des experts en opérations humanitaires, qui savent de quoi ils parlent lorsqu’ils parlent de bombes qui tombent sur des gens. »

Avant la fin du débat, j’ai exprimé mes doutes de voir un jour les média se débarrasser de cette mauvaise habitude qu’ils ont de s’appuyer sur des sources militaires non fiables :

« Il y ce rituel, ce scénario connu, cette routine, où les journalistes des grands média, à la fin de chaque guerre ou intervention militaire, qui disent « Ah mince, on a été manipulés. On s’est fait avoir. La prochaine fois, on sera plus prudents ». Et lorsque la prochaine fois arrive, on retrouve les mêmes journalistes en train d’interviewer les mêmes spécialistes qui alimentent la désinformation en provenance du Pentagone. »

Experts, et pas Partisans ?

Quelques années plus tard, au cours du bombardement brutal US-OTAN sur la Serbie, Amy Goodman de Democracy Now ! interviewa le vice-président et présentateur de CNN, Frank Sesno :

Goodman : « Si vous défendez la pratique qui consiste à rémunérer d’anciens militaires, des généraux, pour donner leur opinion en temps de guerre, seriez-vous prêt à défendre l’idée de rémunérer des pacifistes pour donner une opinion contradictoire en temps de guerre, d’être présents avec les généraux pour expliquer pourquoi ils pensent que la guerre est une erreur ? »

Sesno : « Nous faisons appel à des généraux parce que ce sont des experts dans leur domaine. Nous les appelons en tant qu’analystes, pas en tant que partisans. »

C’est évident : les experts en guerre sont objectifs ; les experts en paix sont partiaux. Même lorsque le Pentagone aide la chaine de télévision à monter son réseau d’experts militaires.

Peu après l’invasion de l’Irak, les Chef de la rubrique information de CNN, Eason Jordan, reconnût en direct qu’il avait révisé avec le Pentagone la liste d’analystes éventuels. « Ils nous ont opiné pour tous ceux qui figuraient sur la liste. C’était important pour nous ».

De tous les moments pénibles que j’ai vécus - après avoir été viré de MSNBC avec Phil Donahue et d’autres - le pire fut de voir le Général à la retraite Barry McCaffrey, le plus important analyste militaire de NBC, appeler sans cesse à la guerre contre l’Irak.

Ce que les téléspectateurs ne savaient pas, c’est que le général était aussi un membre (avec Lieberman, McCain, Kristol et Perle) d’un comité en faveur de l’invasion de l’Irak appelé « Comité pour la libération de l’Irak ».

Une des figures les plus notoires de ce groupe de partisans du Pentagone fut McCaffrey - personne n’a raconté autant de bêtises avec autant d’autorité. Par exemple sur les plans pour sécuriser l’Irak :

« Je viens d’avoir un compte-rendu du Secrétaire Rumsfeld et de son équipe sur l’après-guerre. Et j’ai été surpris de voir à quel point ils ont pensé à tout et dans les moindres détails. »

Après de début de l’invasion, McCaffrey croassa sur MSNBC « Que Dieu bénisse les tanks Abrams et les blindés Bradley ».

Personne n’obligea NBC ou MSNBC à présenter McCaffrey seul, sans contradicteur. Personne n’empêcha non plus ces chaînes d’expliquer aux téléspectateurs que le général siégeait au Conseil d’Administration de plusieurs sociétés d’armement, dont une qui justement gagnait des millions de dollars grâce aux Abrams et Bradleys bénis par Dieu. (5)

La séparation de la presse et du gouvernement est une des raisons qui poussent de plus en plus d’étatsuniens vers les médias indépendants au détriment des médias commerciaux.

Et les médias indépendants ne diffusent pas des publicités embarrassantes comme celle que NBC diffusait avec fierté en 2003 :

« Face-à -face en Irak, et seul NBC News vous offre les experts. Le Général Norman Schwarzkopf, commandant des forces alliées durant la guerre du Golfe. Le Général Barry McCaffrey, le général 4 étoiles le plus décoré de l’armée. Le Général Wayne Downing, ancien commandant des opérations spéciales et conseiller à la Maison Blanche. L’ambassadeur Richard Butler et ancien inspecteur en désarmement de l’ONU, David Kay. Personne ne connait aussi bien l’Irak que ces gens-là . Les experts. Le meilleur de l’information par le journal télévisé le plus regardé d’Amérique, NBC News ! »

Article Original :
http://www.consortiumnews.com/2008/042808a.html

Traduction VD pour Le Grand Soir


Jeff Cohen est directeur/fondateur de Park Center for Independent Media (6) à Ithaca College.

Son dernier livre est « Cable News Confidential : My Misadventures in Corporate Media »

Fondateur de FAIR (groupe d’observation des médias) en 1986

(1) http://www.amazon.com/Cable-News-Confidential-Misadventures-Corporate/...

(2) http://www.nytimes.com/2008/04/20/washington/20generals.html?ref=world

(3) http://www.freepress.net/pentagon_pundits

(4) http://www.commondreams.org/archive/2008/03/27/7912/

(5) http://www.thenation.com/doc/20030421/interns


URL de cet article 6585
  

La Guerre d’Espagne - Révolution et contre-révolution (1934-1939)
Burnett Bolloten
« La révolution espagnole fut la plus singulière des révolutions collectivistes du XXe siècle. C’est la seule révolution radicale et violente qui se soit produite dans un pays d’Europe de l’Ouest et la seule qui ait été, malgré l’hégémonie communiste croissante, véritablement pluraliste, animée par une multitude de forces, souvent concurrentes et hostiles. Incapable de s’opposer ouvertement à la révolution, la bourgeoisie s’adapta au nouveau régime dans l’espoir que le cours des événements changerait. (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

La pauvreté n’est pas naturelle, ce sont les hommes qui la créent et la tolèrent, et ce sont les hommes qui la vaincront. Vaincre la pauvreté n’est pas un acte de charité, c’est un acte de justice.

Nelson Mandela

Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.