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Je suis simplement un révolutionnaire, par Hugo Chavez Frias.

Le texte qui suit est une partie de l’entretien accordé par Hugo Chavez aux journalistes Rosa Miriam Elizalde et Luis Baez pour le livre "CHAVEZ NUESTRO", présenté à Cuba en décembre 2004 à l’occasion de la visite du président vénézuélien.

Publié le 2 janvier 2005 dans le quotidien cubain "Juventud Rebelde"


Il nous attendait à Miraflores, à 10 heures le soir. Un peu avant, nous avions rencontré le candidat au poste de gouverneur de l’Etat de Miranda, Diosdado Cabello, qui sortait d’une réunion et était informé que nous allions avoir un entretien avec le président vénézuélien Hugo Chavez Frias : "Attendez-vous à ce que ce soit long". Ce furent six heures d’envolée oratoire sous un toit de palmes, dans le petit patio situé à côté du bureau présidentiel, sans d’autres témoins que le froid du petit matin qui enveloppe la vallée de Caracas.

Pourtant, avec Chavez, il n’y a jamais trop de temps de conversation. La majorité des thèmes que nous avions mis à notre ordre du jour ne furent pas abordés, alors que d’autres le furent de manière inattendue, métissant d’émotion un dialogue qui cherchait à suivre les pistes de diverses histoires incomplètes que des compagnons, des voisins d’enfance et des familiers du président nous avaient révélé au cours de nos pérégrinations à Caracas et dans les Etats de Lara, Tachira et Barinas.

Nous entendions suivre à la trace les détails qui ne figuraient pas dans les nombreux et presque toujours longs entretiens publiés depuis ce jour de la rébellion militaire du 4 février 1992. Plus que des réflexions sur les convulsions de l’histoire du Venezuela des dernières décades, sur laquelle il existe une abondante bibliographie, nous nous sommes intéressés aux traits fondamentaux d’une personnalité hors du commun, turbulente et sensible. Nous nous étions proposés de découvrir quelques unes des multiples facettes d’un chef d’Etat qui rompt avec toutes les conventions : quelqu’un qui a l’habitude de chanter au milieu d’un discours et que les vénézuéliens les plus humbles ressentent comme très proche et très familier.

Nous savions que cette rencontre, même si elle se prolongeait de longues heures, serait incomplète pour cerner un être humain qui a vécu beaucoup plus que ce qu’on devrait attendre de quelqu’un qui a tout juste 50 ans. Avec lui nous n’avons pas éprouvé cette distance protocolaire, parfois refroidissante, que constitue la rencontre avec un chef d’Etat.

Hugo Chavez nous a reçu détendu et déterminé, vêtu d’une chemise rouge et d’un jean bleu. Il nous attendait au pied de l’ascenseur, souriant, avec la batte de base-ball qu’utilisa Sammy Sosa le 25 février 1999 dans un match d’exhibition à la Cité Universitaire de Caracas. Ce jour-là le président taquina le joueur dominicain et Sammy lui répondit en réussissant 6 coups de circuit. "Ce n’est pas n’importe quelle batte-nous a t-il dit avec malice-avec celle-là , je vais leur connecter un coup [1] aux gringos le jour du référendum. Vous allez voir ça".

Et ce fut ainsi.


Photo : RNV

Hugo Chavez

Tous les enfants ont un rêve

Tous les enfants ont des rêves. Je n’en avais pas un mais deux. Le premier est né une de ces fins d’année quand mon papa, de retour d’un cours de perfectionnement professionnel pour enseignants à Caracas, m’offrit un exemplaire de l’Encyclopédie Autodidacte Quillet. Elle se composait de quatre tomes grands et volumineux avec plein de figures et de graphiques. Je les dévorai, voyageant de par le monde avec les illustrations et les histoires. Il y avait même un petit cours d’allemand dans ces livres et je me mis, avec mon cousin Adrian, à apprendre cette langue. Adrian, qui rêvait d’être torero, regardait une photo et disait : "Quand je serai dans l’arène monumentale de Valencia...". C’était son rêve, le mien étant d’être peintre. Grâce à ces ouvrages je me suis mis à dessiner et des années plus tard j’ai suivi des cours de peinture à Barinas, du temps des études secondaires. Je sortais du lycée le soir pour aller à l’école de peinture Cristobal Rojas. Une bien jolie professeur qui donnait ce cours nous prévenait : "Le plus difficile à peindre, c’est les mains", et elle nous exposait des modèles pour que nous les dessinions. Elle nous expliquait la technique du clair-obscur et la combinaison des couleurs.

Mon autre grand rêve était le base-ball. Je le portais dans l’âme depuis tout petit, mais c’est à Barinas qu’il se consolida, quand nous sommes rentrés dans une équipe qui s’est constituée en 1967 ou 1968. Mon idole était Isaias "Latigo" Chavez, de l’équipe de Magallanes, un garçon de Chacao (quartier résidentiel de Caracas, ndt) qui n’était pas de notre famille. A 21 ans il était déjà lanceur (pitcher) en Ligue Professionnelle. On l’appelait Latigo parce qu’il lançait comme s’il avait un fouet dans la main droite. Je ne l’ai jamais vu car je ne regardais jamais la télé (ce n’est que Cadet de l’Armée que j’ai commencé à la voir), mais je parvenais très bien à l’imaginer, grâce à un extraordinaire commentateur que nous avions au Venezuela, Delio Amado Leon. Je l’écoutais à la radio : "Isaias Chavez se prépare, il lève une jambe... Le Juan Marichal vénézuélien lance une droite... strike (frappe), la première". Cela, je l’ai toujours dans ma tête.

Le 16 mars 1969, un dimanche, je m’étais levé un peu plus tard. Alors que ma grand-mère Rosa était en train de préparer le petit déjeuner, j’allumai la radio pour écouter de la musique, et soudain : "Information urgente", l’information qui tomba, ce fut un moment comme si elle me tua. Un avion s’était écrasé peu après son décollage de l’aérodrome de Maracaibo et il n’y avait pas de survivants. Parmi eux il y avait le "Latigo" Chavez. Terrible. Je n’ai été à l’école ni le lundi ni le mardi. J’étais écrasé. Je m’inventai une prière que je récitais toutes les nuits, dans laquelle je jurais que je deviendrais comme lui un lanceur de Ligue Pro.

A partir de ce moment, le rêve d’être joueur de base-ball se substitua totalement à celui de peintre. J’ai finis par être connu dans le milieu du base-ball de Barinos, et l’année suivante j’évoluais dans le championnat de zone, comme lanceur. Comme on me disait que je devais renforcer mes jambes, je me mis à trottiner. Je courais tous les jours. Grand mère me disait : "Tu vas devenir fou". Je rentrais du lycée et me mettais à lancer des pierres et d’autres choses contre une boîte que j’avais posée à côté d’un palmier dans le patio. J’avais construit un dispositif très rustique pour frapper les citrons et perfectionner les lancers : "Tu m’épuises avec les citrons", me disait Mamie Rosa. J’avais l’idée fixe, mais fixe, fixe, de devenir un joueur professionnel. J’ai été trois ans lanceur-ouvreur à Barinas. Cela m’a fait du mal car en plus de l’obsession, qui était exagérée, je me suis mis à lancer comme relais dans la catégorie supérieure. Le bras n’a pas tenu.

L’Académie Militaire

Déjà enfant la vie militaire m’attirait. Quand je regarde derrière, je me vois jouant à la guerre dans le patio de Mamie Rosa. Nous construisions des forts militaires avec des boîtes en zinc et des planches, et nous nous lancions à les conquérir. Au début on se tirait des amandes sèches, puis des pierres. Un jour on a lancé une pierre à mon frère cadet et on lui cassé la tête. Ainsi s’achevèrent les jeux de guerre.

J’ai été très heureux d’entrer à l’Académie. Franchement, j’avais désiré étudier la physique et les mathématiques et en outre être joueur professionnel dans l’équipe des Magallanes. C’était mon objectif, j’y consacrais beaucoup d’entraînement, spécialement dans la manière d’attraper la balle et la technique du lancer. Mais la vie militaire me passionna, au point que je lui subordonnais tout.

Quand je suis entré à l’Académie, Adan, d’un an mon aîné, étudiait à l’Université des Andes à Mérida. J’ai dit à mon papa que je voulais étudier la même chose que mon frère. A Barinas il n’y avait pas d’université. Mon papa m’a dit : "Bon, on va aller à Mérida parler à ton cousin Angel pour l’inscription". Nous devons être à jamais reconnaissants à notre père et à notre mère d’avoir pu étudier, bien qu’étant d’une famille sans ressources. Ils nous ont donné l’impulsion, au prix de mille sacrifices.

Mais à Mérida il n’y avait pas de base-ball professionnel et j’ai dit à mon père : "Non, s’il n’y a pas de base-ball à Mérida, je n’y vais pas". J’étais dans ce dilemme, cherchant une manière d’aller à Caracas, près du Magallanes, lorsqu’on nous amena à une conférence à l’Amphithéâtre. Un lieutenant du Fort de Tabacare à Barinas, fit une conférence pour tous les garçons de la 5e année de secondaire. "C’est pour moi, je m’en vais à Caracas". Je me disais qu’ensuite je pourrais demander un congé et rester dans la capitale pour ne faire que du base-ball. C’était comme une étape, un pont, et je commençai à me préparer pour les examens physiques.

J’ai un grand ami, Angarita, qui était alors en 1ere année à l’Académie. Quand il rentra à Barinas pour la Semaine Sainte, je lui parlai et il me trouva les formulaires pour l’inscription aux examens qui se tenaient à Barinas. Je passai ces premières éliminatoires sans problème.

Un peu plus tard je reçus à la maison un télégramme me convoquant à l’Académie : "Que vas-tu faire à Caracas dans une école militaire", s’étonna mon père. "Je passe le concours". Quand ? Maman m’approuva et m’appuya et finalement, papa accepta : "Bon, fiston, vas y alors". Je pris un billet d’autobus et je partis tout seul, effrayé, pour me présenter à l’examen d’admission à l’Académie. C’était la première fois que j’allais à Caracas.

La passion politique

Adan a été un de ceux qui ont le plus influé dans ma formation politique. Il est très humble et n’en fait pas état ouvertement, mais il a une grande responsabilité dans ma formation. A Mérida mon frère était un militant du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (le MIR). Je ne le savais pas, je remarquais seulement que lui et ses amis avaient tous les cheveux longs et la barbe. Manifestement je détonnais avec mes cheveux très courts et mon uniforme.

Le Mouvement vers le socialisme (MAS) était alors naissant et j’allais dans ce sens. D’autres, Vladimir Ruiz et les enfants de Ruz Guevara, un vieux communiste, étaient en train de fonder la Causa R [2]. Cétait des amis, il m’acceptèrent malgré l’uniforme. Tout n’a pas été simple, bien sûr. Une fois un gars, un homme jeune, m’a apostrophé : "Ce mec en uniforme doit être un de ces parasites". On a failli en venir aux mains, mais le groupe m’a défendu : "Du calme, copain, c’est Hugo Chavez, un ami à nous". Je me suis intéressé tout particulièrement à la question sociale, et si je regarde en arrière, je crois que j’ai eu dès l’enfance de la sympathie pour les rebelles. La zone de Sabaneta était une zone insurgée. Dans mon village, beaucoup allèrent dans la guérilla, et mon père lui-même était lié au Mouvement Electoral du Peuple (le MEP), de tendance socialiste, dirigé par le vieux Luis Beltran Prieto Figueroa. En dépit de ce penchant à gauche et du terra in favorable à la chose politique, je n’ai adhéré à aucun parti. Je me souviens avoir assisté à une réunion d’Adan, comme invité, vêtu en civil.

Il y a deux événements qui ont été déterminants dans ma vocation politique et radicalisé ma pensée.

En premier lieu, il y a eu ma participation à une expérience éducative au sein des Forces Armées Nationales (FAN), connue sous le nom Plan Andrès Bello. On a passé des examens très difficiles à l’Académie pour la sélection. Sur 375, seulement 67 sont sortis diplômés. Il y avait une coupure assez profonde entre la vieille école militaire et la nouvelle, avec un groupe d’officiers de première ligne comme le directeur de l’Académie, qui est aujourd’hui notre ambassadeur au Canada, le général Jorge Osorio Garcia, Pérez Arcay, Betancourt Infante, Pompeyo Torralba...

Ce groupe d’officiers entendait dans cette expérience forger les consciences. Ils firent appel à des professeurs civils et cherchèrent à nous donner une formation humaniste. On a ainsi étudié la Méthodologie, la Sociologie, l’Economie, l’Histoire Universelle, l’Analyse, la Physique, la Chimie, l’introduction au Droit, le Droit Constitutionnel... Le Conseil National des Universités (CNU) a exigé des études supérieures pour avaliser le cursus universitaire.

Le Plan Andrès Bello a énormément contribué à notre formation, bien que cela ne suffise pas pour comprendre ce qui s’est passé au sein des Forces Armées. Il y a bien d’autres facteurs, dont sont aussi sortis quelques traîtres. J’ai reçu de ma promotion et de celles qui ont suivi une solidarité et une identification plus grande que ce que j’imaginais. Sans doute ceux qui se prêtèrent au coup d’avril 2002 étaient ils diplômés avant nous, en particulier dans la promotion immédiatement antérieure, qui a constitué l’ultime ligne d’arrière-garde de l’oligarchie, l’ultime coup de griffe du fascisme et de l’anticommunisme.

Le second événement, associé au précédent, a été la découverte de Bolivar. J’ai lu de tout avec avidité, mais en particulier ses propres écrits, les travaux liés à sa pensée et sa biographie. Nuit après nuit, j’étudiais dans les salles, après le tocsin du silence, à neuf heures. On était autorisés à rester jusqu’à 23 heures et parfois je restais jusqu’à la fin. Parfois même on m’a trouvé endormi sur un pupitre avec un livre ouvert. Je me souviens d’un brigadier colombien, aujourd’hui général dans son pays, qui un jour m’a trouvé ainsi. J’ai cru qu’il allait me sanctionner. Il m’a dit : "Non, non, je te félicite, cadet, pour ton esprit de dépassement".

La première fois que j’ai entendu Fidel

Les voix de la guérillas, comme je l’ai dit, nous étaient très familières. Du jour où j’ai entendu les noms de Fidel et du Che, je ne les ai jamais oubliés. C’était en 1967, j’avais 13 ans et j’étais en première année de secondaire. Je me souviens avoir entendu à la radio que le Che était en Bolivie et je me suis dit : "Pourquoi est-il tout seul ?". J’en ai parlé un jour à Fidel. "Regarde comme est la vie, Fidel. J’avais 13 ans et j’ai entendu à la radio que le Che était encerclé en Bolivie. J’étais un enfant et je me suis demandé : "Pourquoi Fidel n’a pas envoyé un bataillon, des avions". C’était infantile, mais cela démontrait mon identification absolue avec eux, un point de vue marqué par les sympathies que je ressentais de Barinas pour ces deux leaders.

Des années plus tard, en 1973, nous étions dans les montagnes proches de Caracas, à l’entraînement avec les aspirants cadets qui arrivaient à l’Académie Militaire. Pour nous distraire, nous écoutions les nouvelles sur les radios militaires. Une de ces nuits, il faisait un froid d’épouvante. Nous étions, Pedro Ruiz Rondon, un camarade de peloton, un autre dont j’ai oublié le nom et moi-même, à Charallave, à 30 kilomètres de Caracas. A l’insu des officiers, nous nous sommes mis à actionner une de ces vieilles radios GRS 9 à tube, qui avait une manivelle pour charger l’énergie. Soudain, on a entendu une voix, une vois que nous ne connaissions pas, qui dénonçait le coup d’Etat au Chili et la mort d’Allende : "Plus jamais ça" ai-je dit. C’était Fidel sur Radio La Havane de Cuba.

Une phrase m’est restée gravée à jamais : "Si chaque travailleur, si chaque ouvrier avait eu un fusil dans les mains, il n’y aurait pas eu le coup fasciste chilien". Ces mots m’ont tellement marqué qu’ils sont devenus un mot d’ordre, une espèce de clef que nous seulement déchiffrons. Chaque fois que j’ai revu Pedro Ruiz, un ami intime qui est décédé il y a un an et demi, l’un de nous disait : "Si chaque travailleur, si chaque ouvrier...", et l’autre complétait la phrase. On le faisait où que nous nous trouvions. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c’était dans un avion, et il m’a répété : "Si chaque travailleur...".

Les premiers signes de rébellion

La douleur déclenche en moi beaucoup de choses. L’année 1982 a été de mort et de vie. Mon fils Hugo est né. J’ai atteint le grade de capitaine. Ce fut aussi l’année du Serment du Saman de Güere [3]. J’ai été pratiquement confirmé comme militaire, après être passé par beaucoup de difficultés et de doutes : je voulais démissionner, je ne voulais plus...

Dans la profession militaire l’Ordre de Mérite est très important. Tu es dans les premiers ou tu es dans les derniers. En particulier pour ceux qui considèrent la carrière militaire comme un apostolat, être dans les premiers importe beaucoup. Je suis sorti 6e de l’Académie sur 67. Pourtant j’ai été dans les derniers à être promu lieutenant, parce que j’ai eu beaucoup de problèmes. Comme l’avait prédit ma grand-mère, j’étais donc un rebelle.

Je contestais les supérieurs, jamais je ne me taisais. J’ai eu un problème sérieux dans un camp antiguérilla, en voyant comment ils torturaient des paysans, supposés guérilleros et prisonniers de guerre. Ils étaient en train de frapper avec une batte doublée d’une couverture ceux-ci, qui poussaient des cris terribles. On voyait que c’était de pauvres gens, presque morts de faim, maigres. J’affrontai le colonel : "Non, non, je n’accepte pas ça ici", et je lui ai enlevé la batte que j’ai lancé au loin. A la suite de cela, le colonel fit un rapport contre moi, m’accusant d’avoir gêné le travail de Renseignement... J’ai même pensé rentrer dans la guérilla et j’ai été jusqu’à fonder en 1977 une armée : l’Armée de Libération du Peuple du Venezuela. J’en ris aujourd’hui car nous étions à peine 10 dans cette armée !

Après mon diplôme de sortie de l’Académie et un passage par Barinas, j’ai fait partie d’un bataillon anti-subversif, d’abord à Cumana en ensuite à San Mateo, dans l’Etat d’Anzotegui. Nous avons étudié la guerre subversive, et à ce moment-là je me suis énormément interrogé. Je crois que dès la sortie de l’Académie j’étais en recherche d’un mouvement révolutionnaire. J’étais très inquiet, je conversais beaucoup avec Adan et d’autres camarades de la gauche. A cette influence s’ajouta la recherche historique sur Maisanta [4]. Tout cela nourrissait mon sentiment de rébellion. C’est à cette époque que je me suis mis à lire Fidel, le Che, Mao, Plekanov, Zamora... et des livres comme "Los peces gordos" de America Martin, "Le rôle de l’individu dans l’histoire", "Que faire ?", et bien sûr, j’ai approfondi Bolivar.

Certains de ces livres, d’ailleurs, je les ai découverts dans le coffre d’une vieille Mercedes Benz toute trouée de balles que nous avons rencontré par hasard dans un poste antiguérilla. Le véhicule était depuis des années enfoncé dans les hauteurs du talus. J’ai saisi ce butin, j’ai restauré et fait relier les livres que j’ai lu et conservai. Je crois que j’en ai toujours quelques uns par là . C’est ainsi que vers 21 ou 22 ans, je suis devenu un homme de gauche

Bolivar

On a donné le nom de Bolivar à ma promotion. Ce fut pour moi un jour d’émotion et d’allégresse. Quelques vieux militaires s’opposaient à ce que le très grand nom de Bolivar soit donné à un groupe, qu’un tel engagement serait énorme à porter, qu’il y avait djà une promotion Bolivar, celle de 1940. Malgré tout, le nom fut retenu et de ce jour nous n’étions plus que "les bolivariens" et nous nous considérions comme tels.

Plus tard à l’Académie, je ne me contentais pas de faire de temps en temps des exposés aux soldats sur la pensée du Libertador, mais quand il me fallait sanctionner les cadets, je ne leur imposais jamais un effort physique comme faire des tours du patio en courant, ce qui était habituel, je les réunissais face à la statue de Bolivar, en petits groupes. Je leur lisais des textes du Libertador ou je les amenais dans une salle de classe, à l’heure du club et des distractions, pour leur conter des épisodes de la Campagne Admirable.

Cette passion pour Bolivar est née au cours de ces années par l’étude de l’Histoire Militaire avec le général Jacinto Pérez Arcay et le commandant Betancourt Infante, un autre excellent instructeur en Histoire. Pérez Aracay vous a raconté l’histoire de laquelle il m’a sorti, à la suite d’une conférence dans la maison natale de Bolivar, où je m’étais confronté publiquement à quelqu’un qui affirmait que le Libertador était un tyran. Dans mon intervention ce jour-là , je m’efforçais de faire comprendre la situation dans laquelle se trouvait le Libertador. Oui, il a gouverné réellement sous la dictature, mais une chose est une dictature par nécessité, par obligation, due à l’anarchie, et autre chose de tyranniser un peuple. Il a dit une fois à son peuple : "Ne me demandez pas que je parle de liberté, comment parler de liberté, si j’ai assumé la dictature ?".

Face à ce courant antibolivar, de discrédit du personnage, j’ai argumenté sur le contexte à partir des faits historiques. Quelqu’un a alors répliqué durement, c’était une femme, pour dénoncer ces "pourritures de dictateurs" et le débat s’est poursuivi. Ensuite un professeur d’histoire, membre du MEP (Mouvement Electoral Populaire) s’est levé. J’ai défendu ma position. La nouvelle est arrivée à l’Académie. J’ai dû faire un rapport pour le dimanche soir et Pérez Aracay m’a sauvé de cette sale histoire qui aurait pu me valoir l’expulsion de l’Académie pour avoir émis des opinions politiques.

Lorsque Carlos Andrés Pérez m’a remit le sabre de diplômé de l’Académie, je portais déjà l’azimut, la boussole parfaitement orientée. Le Hugo Chavez à son entrée était un garçon de la campagne, un llanero [5] avec des aspirations de joueur de base-ball. Quatre années plus tard, sortait un sous-lieutenant dont le cap était le chemin révolutionnaire. Quelqu’un qui n’avait pas d’engagement vis-à -vis de qui que ce soit, qui n’appartenait à aucun mouvement, qui n’était enrôlé dans aucun parti, mais qui savait très bien dans quelle direction il allait. Comme a dit José Ortega y Gasset, "Je suis moi et ma circonstance". Hugo Chavez était déjà l’homme et sa cirnconstance.

Un père

Sa fille Maria Gabriela nous avait dit une peu avant : "J’aime Fidel comme un grand-père parce qu’il aime mon père comme un fils".

C’est vrai. Fidel est comme un père. Je le vois ainsi moi aussi, et un jour je le lui ai même écrit. Depuis longtemps, il est pour moi une référence obligatoire. En prison j’ai beaucoup lu. L’histoire m’absoudra, Un grain de maïs, ses discours et entretiens... Vous savez ce que j’ai demandé à Dieu en prison ? : "Mon Dieu, je veux connaître Fidel, quand je sortirai et que j’aurai la liberté pour parler, pour dire qui je suis et ce que je pense". J’ai beaucoup pensé à cela : à sortir pour qu’on se connaisse.

Ensuite il y a eu la rencontre à La Havane, dont ce sera en décembre le 10eme anniversaire. Cette réunion a été pour moi merveilleuse, je n’oublierai jamais ce premier contact, les premières heures de la conversation. A mesure que les années ont passé, Fidel s’est érigé en un père. C’est ainsi que nous le voyons, mes enfants et moi, et même le petit fils Manuelito, qui parait-il s’est tordu de rire quand il a vu Fidel.

Le jour où il est entré dans la petite maison de la grand-mère à Sabatena, il a dû se baisser. La porte est très basse et lui un géant. Je l’ai vu, non ? ai-je raconté à Adan, je le regardais comme dans un rêve : "On aurait dit un roman de Garcia Marquez". Imaginez, 40 ans après avoir entendu le nom de Fidel Castro pour la première fois, il était là , entrant dans la maison où nous avons été élevés. Je me suis rappelé de cette action sur la Place Bolivar, où on n’avait mis l’estrade où il n’est pas allé pour une raison de sécurité : Oh mon Dieu ! On dirait vraiment un roman comme ceux qu’écrit le Gabo, mais au lieu de 500 ans de solitude, nous avons 500 ans de compagnie.

Fidel est pour moi un père, un camarade, un maître de la stratégie parfaite. Un jour il y aura à écrire tant de choses sur tout ce que nous sommes en train de vivre et des rencontres que nous avons eu avec lui... Une relation si profonde et si spirituelle s’est forgée que je suis convaincu que lui ressent la même chose que moi : nous devons tous deux être reconnaissants à la vie de nous être rencontrés.


 Entretien accordé par Hugo Chavez aux journalistes Rosa Miriam Elizalde et Luis Baez pour le livre "CHAVEZ NUESTRO".


 Traduit du castillan par Gérard Jugant pour Révolution Bolivarienne N°8 (à paraitre)

[1Pour ceux qui connaissent le base-ball, le président Chavez se réfère au coup décisif qui consiste à lancer la balle au-delà des lignes. Il utilise le mot jonron dérivé de home run. Ndt

[2Causa Radical a été fondé au début des années 70 par des dissidents du Parti communiste qui n’avaient pas suivi le MAS lors de sa fondation. A petits pas le mouvement Causa R va se frayer un chemin, se réclamant de la défense des secteurs défavorisés de la population et a fini par perturber quelque peu le jeu des partis traditionnels en remportant des succès électoraux, dont la mairie de Cararas. Ndt

[3Cet événement est d’une grande importance dans la Geste chaviste. Le 17 décembre 1982, sous l’ombre de l’immense arbre historique du Saman de Güere (à San Mateo, Etat d’Aragua) a été fondé le Mouvement Bolivarien Révolutionnaire (MBR 200) par trois capitaines dont Chavez, et quelques soldats. Le Serment, qui rappelle celui de Bolivar en 1805 sur le mont Aventin à Rome, promet de libérer le Venezuela des chaînes qui l’opprime. En outre, le 17 décembre est le jour de la mort du Libertador, et le Serment est à l’approche du bicentenaire de sa naissance, d’où le 200 du MBR. Ndt

[4Maisanta est un autre symbole fort du chavisme. On connaît le rôle des fameux commandos électoraux Maisanta dans le processus révolutionnaire. Pedro Pérez Delgado dit "Maisanta" était un guérillero qui, dans les llanos, lutta contre la dictature de Juan Vicente Gomez dans les premières décades du XXe siècle. Or Maisanta est le bisaïeul d’Hugo Chavez. Ndt

[5Hugo Chavez est né en 1954 à Sabaneta (Etat de Barinas), dans la vaste région de plaines et de steppes des llanos, couvrant le centre du pays. Les habitants des llanos sont des llaneros. Ndt


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"Bon, j’imagine que vous ne pouvez tout de même pas tuer vos subordonnés"

seule réponse fournie par les élèves d’une école de commerce de Philadelphie
lorsque le professeur demanda à ses élèves de lui donner un exemple de
comportement repréhensible dans une entreprise.

Cité par Serge Halimi, dans le Monde Diplomatique de février 2005, page 2

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