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L’identité du Minaret

photo Satish Arikkath

Face à une question biaisée

Posée par un étranger, la question, « Qu’est-ce qu’être français ? », vaste sujet par ailleurs, aurait manifesté le désir de découvrir la culture et l’histoire de France. Posée par un « fraîchement » français, elle traduirait la volonté d’intégration de ce dernier. Mais conçue et débattue par un français de « souche », une telle interrogation interpelle ce même étranger. En effet, « Pourquoi un peuple d’une très longue et riche Histoire qui a inspiré tant de peuples, en est arrivée à se poser une telle question en 2009 ? ». Ce qui inquiète d’autant plus le « français pas de souche » puisque ce dernier endosse une identité qui, de par la question posée, semble ne plus savoir qui elle est. De ces deux remarques, on aboutit à une interrogation : Qu’est-ce qu’être français ? est-elle la bonne question ?

Les commentaires qui ont suivis « l’histoire du Minaret Suisse » ont permis de lever le doute.

En effet, le Ministre de l’identité nationale et de l’immigration a ouvert le débat par une question biaisée. Est-ce pour masquer, mis à part le voile et la burqua, la question de la présence de l’Islam dans l’hexagone ? Soit dit en passant, la question est tout à fait légitime. Depuis une vingtaine d’années, politiques et intellectuels occidentaux dissertent autour de l’hypothèse de la compatibilité de l’islam et de la démocratie. Servant souvent de voile, la laïcité a masqué la question sous-jacente : « l’islam est-il soluble dans l’identité européenne et, en particulier, française ? »

Avant d’être une question d’urbanisme, le minaret est une question ou... un problème, de patrimonisation. Dans un siècle, le minaret aura t-il un rôle culturel dans « le patrimoine identitaire français » ?

C’est une question existentielle que le journal le Figaro, posa le 26 octobre 1985 en ces termes « ...Révélés pour la première fois, les chiffres secrets qui, dans les trente années à venir mettront en péril les identités nationales et déterminent le sort de notre civilisation. Seront nous Français dans trente ans ?... »

Vingt quatre ans plus tard, tout en refusant les communautarismes, le 12 novembre 2009, à la Chapelle-en-Vercors, le Président de la République souligne ce qui est véritablement en jeu dans les termes suivants : « A force de cultiver la haine de soi, nous avons fermé les portes de l’avenir. On est français parce qu’on regarde la chrétienté et les lumières comme deux versants d’une même civilisation. » Sans oublier que des valeurs républicaines comme la citoyenneté et la laïcité ont joué un grand rôle, non sans mal, dans l’intégration du judaïsme pour en faire un « versant judéo-chrétien. »

Cependant, quelles que soient les précautions verbales prises, le débat ainsi ouvert sous-entend que l’identité nationale est menacée et donc qu’il faut la protéger en réaffirmant ce qui la définit. Si « haine de soi », il y a, une telle réaffirmation permet-elle de s’en libérer ?

En tout cas, elle aide à désigner « celui qui n’est pas dans l’un ou l’autre versant » comme l’auteur du mal être. Ainsi, les réponses qui en découleront du débat définiront, de fait, une ligne de démarcation entre un « nous » et un « eux ». Le rappel répété que cette identité s’inscrit dans les valeurs de la République ne dissipe nullement les inquiétudes ressenties par celui qui est ainsi mis à l’index. En d’autres termes, l’inquiétude des auteurs de la question existentielle « qu’est- ce qu’être français ? » agresse celui qui ne l’est pas de « souche » parce qu’il est ainsi ramené à sa posture d’étranger. A celui qui, enfin dévoilé, va définir la frontière qui va permettre de distinguer le dehors du dedans. Il est celui qui permet de s’enfermer dans un « entre nous. » Et tout naturellement, le débat sur l’identité a officialisé une parole xénophobe que, entre autres, la Secrétaire d’Etat en charge de la famille flatte à l’aide de propos, élevée au rang de pensée. Pour couronner le tout, elle assume ses propos dans le village même de l’antidreyfusard Maurice Barrés. Mais que pense la Secrétaire d’Etat du propos du buteur de l’équipe de France, de football, de la fuite financière de l’idole de la France et de dizaines de spéculateurs financiers français qui -eux- parlent « argent à l’endroit » ?

Une réponse : idéologique, économique, sociale et culturelle

Mais il ne faut pas pour autant sous estimer cette question existentielle car elle est la manifestation de la peur de l’autochtone, inquiet pour son « environnement social et culturel chrétien ». Face à cette peur, l’argument de la laïcité est comme le bouclier sans l’épée. Il est nécessaire en tant qu’instrument d’ouverture et de pacification mais insuffisant. Insuffisant car cette peur est, avant tout, liée à un système idéologique et économique, inapte à produire de l’espoir et donc incapable de projeter l’être dans un devenir. Un système qui institutionnalise la précarité sociale pour le plus grand nombre et fragilise ainsi la cohésion sociale. Ceci d’autant plus que le discours politique qui légitime ce système, injecte dans la société toutes sortes de peur : sociale, sanitaire, écologique, sécuritaire... Culturelle … Face à cette idéologie qui diffuse une forme de « totalitarisme avec consentement », rien ne s’oppose véritablement qui exprime un espoir collectif.

Pour l’étranger, l’identité française signifiait : droit à l’éducation, droit à la santé, protection sociale, droit du travail et services publics. Droits qui impliquent le devoir de les défendre en tant que citoyens jouissant de ses droits. C’est l’articulation entre ces droits et ces devoirs dans un cadre républicain laïque qui donnent un sens au triptyque « égalité, liberté, fraternité ». En démantelant ses droit au nom de la liberté du marché et de la spéculation, le système en place affaiblit, justement, cette identité. En un mot, l’identité nationale est d’autant mieux portée que la solidarité nationale est forte et vivante.

C’est pour cela que, à défaut d’un puissant mouvement politique et syndical capable de porter une espérance progressiste, les apprentis sorciers du système capitaliste n’hésiteront pas, si nécessaire, à désigner un bouc émissaire pour exorciser une angoisse sociale de plus en plus répandue. Certes, les partis politiques de gauche ont raison de dénoncer l’instrumentalisation de cette peur par la droite et son extrême mais contrairement à ceux que pensent certains responsables politiques, le débat ouvert ne peut plus être fermé. En revanche, elles ont tord de ne pas prendre en considération « cette peur » mais encore faut-il qu’elles aient à coeur de fonder un projet de société offrant une nouvelle perspective historique de progrès social et culturel qui entre autres , produira un « nouveau sédiment dans les versants existants de l’identité française. »

Enfin, que penseraient de ce débat, le fusillé de l’affiche rouge, l’arménien Manoukian, les résistants algériens, Mohamed Lakhdar-Toumi qui intègre les Francs tireurs et partisans français (FTPF) de Paris rive droite, Salah Bouchafa qui meurt à Dachau le 6 avril 1944 sous le matricule 80233 ou encore le résistant Guinéen Ba Adi, plus connu sous le nom de Adi Ba, qui, dès le mois d’octobre 1940, intègre le réseau "Ceux de la Résistance" avec l’instituteur Froitier et le plombier Arburger, justement dans le Vercors ?

C’étaient des étrangers aux regards des occupants et des occupés et plus particulièrement des tenants de l’identité nationale.

Mehdi Moussaoui
23 décembre 2009

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