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L’inoubliable grand-père du roi des Pays-Bas

L’accession au trône des Pays-Bas de l’épanoui Willem-Alexander et de sa femme, fille d’un ministre du dictateur argentin Videla, me donne l’occasion d’évoquer la mémoire du grand-père du nouveau roi, le prince Bernhard de Lippe-Biesterfeld, et son implication dans l’affaire Lockheed.

Bernhard est né allemand en 1911 dans une famille de haute noblesse. Il est fait prince à l’âge de trois ans (son vrai patronyme est Bernhard Leopold Friedrich Eberhard Julius Kurt Karl Gottfried Peter zur Lippe-Biesterfeld ; tout le monde ne peut pas en dire autant). À 22 ans, il adhère au parti nazi, qu’il quitte trois ans plus tard.

Il épouse la princesse héritière Juliana en 1937. Naîtront quatre enfants, dont Beatrix qui vient d’abdiquer en faveur de son fils. Bernhard vivra une longue liaison avec la jeune Hélène Grinda, sœur de Jean-Noël Grinda, ancien grand champion français de tennis (et playboy célèbre) dans les années soixante. De cette liaison naîtra une fille en 1967. Bernhard aura également un ou deux autres enfants illégitimes.

Né Allemand, Bernhard fit tout pour devenir un vrai Hollandais, ne s’exprimant, par exemple, que dans la langue du pays. Avec sa femme la Reine Juliana, il contribua à simplifier l’image de la monarchie au Pays-Bas. On parla alors de « monarchie à vélo », ce qui n’empêcha pas la reine d’être l’une des femmes les plus riches du monde. Douée, comme sa mère la reine Wilehlmine, qui avait résisté à Hitler, d’une forte personnalité, Juliana n’hésita pas à dénoncer la Guerre froide devant le Congrès des États-Unis.

Bernhard joua un rôle politique discret mais déterminant. Il fut l’un des fondateurs – avec Antoine Pinay et Guy Mollet – du désormais controversé Groupe de Bilderberg, qui tient son nom du lieu de la première réunion à l’hôtel Bilderberd à Oosterbeek dans les faubourgs d’Arnhem. Et puis, il fit des affaires.

En 1976, il fut sérieusement compromis dans l’affaire Lockheed. C’est le président de Lockheed en personne qui porta les premières accusations sérieuses, selon lesquelles le prince aurait touché 1,2 million de dollars en pots-de-vin en échange de sa voix d’inspecteur-général des armées pour l’achat du Starfighter F104 contre le Mirage 5. Des hommes politiques allemands, italiens, japonais furent également compromis. Le prince nia farouchement (« Je suis au-dessus de tout cela », se contenta-t-il de répondre dans un premier temps). Une enquête officielle conclut cependant qu’il était « entré dans des relations et des situations qui ne sont pas acceptables. » Le gouvernement de centre-gauche du Joop Den Uyl déclara que le prince avait porté atteinte aux intérêts de l’État. Une action pénale fut engagée. La reine menaça d’abdiquer si bien que la justice renonça à poursuivre. Le prince dut néanmoins démissionner de ses fonctions qui auraient impliqué des confusions d’intérêt et il lui fut interdit de porter l’uniforme (il transgressa cette interdiction lors de l’enterrement de Lord Mountbatten et lors de sa propre mise en bière).

Le prince finit par exprimer ses regrets. : « J’espère que j’aurai la possibilité de me racheter et de restaurer la confiance en moi. » Il abandonna également la présidence de sa chère Conférence de Bilderberg. Pour l’anecdote (mais tout est très sérieux en la matière), la reine Beatrix participa à la réunion de 2003 au nom de la compagnie Shell. Elle eut le plaisir de côtoyer (au château de Versailles fermé au public pendant une semaine) Nicolas Beytout, Dominique de Villepin, Jean-Claude Trichet, Michel Bon, Jean-Louis Bruguières, Jean-François Copé, Valéry Giscard d’Estaing, Pascal Lamy, mais pas Bernard Guetta, pourtant présent l’année précédente.

La « prince à vélo » aimait beaucoup l’argent. Dans les Trente Glorieuses bataves de l’après-guerre, dans cette période de reconstruction, il se vécut en entrepreneur et homme d’affaires de pointe. Il fut membre de nombreux conseils de surveillance : KLM, Fokker et l’aciérie Hoogovens. Il s’intéressa beaucoup aux relations commerciales entre les Pays-Bas et l’Argentine (le mariage de son petit-fils à une citoyenne de ce pays relève du tropisme), où sa rencontre avec le dictateur Perón et sa femme Evita déboucha sur de juteux contrats avec le camionneur Werkspoor.

Tout ayant une fin, le prince admit dans un entretien donné en 2002, mais devant paraître à titre posthume, qu’il avait bien reçu des pots-de-vin en 1960 : « J’ai toujours gagné beaucoup d’argent, les millions de Lockheed , je n’en avais pas besoin. Comment ai-je pu être aussi stupide ? ».

On se le demande.

http://bernard-gensane.over-blog.com

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