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La guerre de tous contre tous : Le monde est-il condamné ?

« Je montre d’abord que l’état des hommes sans société civile (quel état peut être nommé l’état naturel) est rien sauf « une guerre de tous contre tous » [bellum omnium contra omnes] ; et que, dans cet état, tous ont le droit de toutes choses. »
Hobbes (1651)

Il est courant pour les pays industrialisés de citer d’une façon résignée voire hypocrite les maux de la planète sans tenter d’y trouver des remèdes radicaux.

Le néolibéralisme sauvage semblable à un train fou que personne ne peut arrêter semble tenir en laisse les gouvernants occidentaux et broie les peuples vulnérables aussi bien au Nord qu’au Sud pour la seule religion du profit, le money-théisme, dénuée de toute morale. Les messes hypocrites de Davos, les miettes de l’APD ne peuvent cacher la réalité ; il y a de plus en plus un fossé abyssal entre les riches et les damnés de la Terre. De plus, la fracture sociale, notamment au Nord n’est pas seulement entre le Nord et le Sud, elle est aussi entre les citoyens d’un même pays où les compressions, les besoins de « flexibilité » de rentabilité jettent sur le bord de la route, les plus vulnérables que sont les personnes sans qualification, les personnes âgées et, on l’aura compris, les variables d’ajustement que sont les allogènes.

En 2009, 1,02 milliard d’êtres humains souffrent de la faim dans le monde ; pour éradiquer ce fléau, il suffirait de seulement 30 milliards de dollars par an. En comparaison, le budget militaire de base du Pentagone est de 533,7 milliards de dollars pour l’exercice 2010. En 2010, les sociétés françaises composant l’indice CAC 40, ont réalisé globalement un chiffre d’affaires de 1262 milliards d’euros, en augmentation de 6,92% par rapport à l’année précédente. Les bénéfices cumulés des quarante sociétés de l’indice atteignent 82,5 milliards d’euros, soit 85% de plus que l’année passée. La rémunération des présidents des entreprises du CAC 40 est repartie à la hausse en 2009 avec quelque 928.000 euros en moyenne contre un peu plus de 864.000 euros en 2008, indique le cabinet Proxinvest. Par ailleurs, les institutions financières américaines vont distribuer pour cette année 2010 le chiffre record de 144 milliards de dollars en seul bonus, primes et stock-options à leurs dirigeants c’est-à -dire aux responsables de la crise économique mondiale.

Pour le capitalisme prédateur, tout est bon pour arriver à ses fins, dresser les uns contre les autres, réveiller les démons de la division identitaire voire religieuse, tout ceci est du pain bénit. La guerre de tous contre tous est la stratégie du capital. Même Dominique Strauss-Kahn gardien de l’orthodoxie ultra-néo-libérale s’inquiète. Il a mis en garde contre les deux maux essentiels qui entachent l’économie mondiale : le chômage et la cherté de la vie qui risquent, selon lui, de provoquer des troubles sociaux. « Sinon, ce sera la guerre » a-t-il clamé. Il a également considéré que la cherté des produits alimentaires pourrait aussi avoir des conséquences destructrices chez les populations les plus pauvres. « Le genre de déséquilibres mondiaux qui précèdent les crises, se manifeste de nouveau ».

Dominiqque Strauss Kahn oublie aussi d’ajouter que « 20% de la population mondiale consomme 86% des ressources naturelles, dont la moitié a déjà disparu en un siècle, (il faudra beaucoup moins de temps pour épuiser le reste). Non content de piller le bien commun, le modèle économique néolibéral fondé sur le développement exponentiel, détruit inexorablement la nature, pervertit les relations humaines, compromet gravement l’avenir des générations futures.

Phil Flynn, un spécialiste des marchés agricoles à Chicago, affirme sans ambages, qu’en vérité, « lorsque la FED décide de faire de l’assouplissement quantitatif, elle exporte de l’inflation vers les marchés émergents(...) Il n’y a pas de doute qu’un des effets secondaires d’un dollar faible et de l’assouplissement quantitatif est la hausse des produits de base. Cela a contribué à créer une poussée haussière pour les denrées... ». Ed Yardeni, un autre professionnel des marchés, proposait ironiquement dans sa lettre confidentielle qu’il fallait ajouter le nom du Directeur de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, à la liste des révolutionnaires, puisque sa politique a provoqué des troubles et des révolutions dans le monde. « Depuis qu’il s’est prononcé pour un changement révolutionnaire de politique monétaire le 27 août 2010, lors de son allocution à Jackson Hole, le prix du maïs, du soja et du blé a augmenté respectivement de 53%, de 37% et de 24,4% à la clôture des marchés vendredi dernier. » « L’explosion des prix de l’énergie et de la nourriture se rajoute à un chômage important dans les pays actuellement frappés par des émeutes. » (1)

El Moussaoui, analyste financier, désigne lui aussi du doigt Ben Bernanke le rendant responsable des révoltes du Monde arabe quand il écrit : « Le renchérissement des prix des matières premières est en train de se diffuser au reste de la chaîne en affectant les prix au niveau des importations, de la production des denrées alimentaires, du commerce de gros, du commerce de détail, jusqu’à faire grimper les prix des produits alimentaires à la consommation. Selon l’index des prix de la FAO, publié le 3 février à Rome, les prix ont augmenté pour le septième mois consécutif, pour atteindre 231 points sur l’index établi par la FAO, soit « le plus haut niveau depuis que la FAO a commencé à mesurer les prix alimentaires, en 1990 », indique l’organisation onusienne. Outre l’influence des perturbations de la météo (sécheresse en Russie et en Ukraine, inondations en Australie), de la tendance haussière de la demande en provenance des pays émergents, et la concurrence des biocarburants, il était prévisible qu’imprimer de la monnaie allait affaiblir la valeur du dollar et déboucher sur l’inflation. En effet, plus il y a de monnaie en circulation, plus sa valeur diminue et plus les prix des biens libellés en cette monnaie augmenteront. Cette inflation est une grande menace surtout pour les pays à faibles revenus car ils abritent beaucoup de foyers pauvres qui dépensent plus de la moitié de leurs revenus dans la nourriture, pratiquement la majorité des pays arabes. Face à la polémique, Bernanke nie toute responsabilité de la politique de la FED dans l’inflation des produits alimentaires en désignant comme bouc émissaire, la croissance de la demande en provenance des pays émergents, notamment la Chine. (...) Il est donc permis de penser que la politique monétaire irresponsable de Bernanke est en train de contribuer au remodelage de la scène politique dans le Monde arabe en provoquant un vent inflationniste soufflant sur les braises des tensions sociales dans ces pays. Peut-être un mal pour un bien... » (2)

Selon l’index des prix de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, publié jeudi à Rome, les prix ont augmenté de 3,4% par rapport à décembre, pour atteindre 231 points sur l’index établi par la FAO, « le plus haut niveau depuis que la FAO a commencé à mesurer les prix alimentaires, en 1990 », indique l’organisation onusienne.

Quels sont les autres responsables en dehors de la faiblesse voulue du dollar ?

Pour Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac France. « La part des spéculateurs sur les marchés alimentaires explique en partie la hausse continue des prix depuis l’été 2010. Les produits alimentaires sont devenus des actifs financiers comme les autres. On se souvient en 2008 des images des « émeutes de la faim ». Depuis, plus rien ou presque sur nos écrans, même si le nombre de sous-nutris a bondi et dépassé le milliard. (...) Difficile également de ne pas souligner le rôle des agrocarburants, qui ont détourné plus du tiers de la production de maïs des Etats-Unis, l’année dernière. (...) Mais encore plus que la flambée des prix alimentaires, c’est leur volatilité qui pose problème. Ces marchés ne répondent pas aux hypothèses strictes de l’économie néo-classique standard. Demande rigide, variation aléatoire et difficulté d’ajustement de l’offre, anticipations fausses des producteurs... pour de multiples raisons, les prix varient de façon extrême et chaotique. C’est pourquoi, historiquement, quasiment tous les grands pays ont fortement régulé leurs prix intérieurs pour les stabiliser. » (3)

Mais c’était sans compter sur l’orthodoxie néolibérale, qui a poussé depuis plusieurs dizaines d’années, sous l’égide de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et du Gatt (relayé par l’OMC), à démanteler les outils de régulation des prix alimentaires, dans les pays du Nord comme du Sud. Désormais, leurs prix s’alignent sur les cours mondiaux. En particulier, les pays pauvres, soumis aux plans d’ajustement structurel pour rembourser leur dette, se sont lancés dans la dérégulation de leurs marchés. Confrontés au dumping des pays riches et à la concurrence des agricultures étrangères, engagés dans une spécialisation de leur agriculture pour exporter, ils ont vu leur agriculture vivrière décliner. Une très grande majorité est devenue importatrice nette de produits alimentaires, donc dépendante des cours mondiaux. Quand ceux-ci flambent, c’est un drame pour les populations pauvres urbaines, dont une grande partie du revenu va à l’alimentation. Et quand ils chutent, c’est un drame pour les paysans. De ce fait, la part des spéculateurs par rapport aux acteurs commerciaux a explosé. (...) D’autres causes de la flambée soudaine des prix ont été évoquées, le FMI soulignant par exemple la croissance de la demande alimentaire dans les pays émergents, mais qui sont vite démontées dès lors qu’on les confronte aux indicateurs mondiaux. » (3)

Qu’en est-il des matières premières minérales ?

Là encore la lutte est sourde pour la possession de ces produits, 2010 aura été l’année de toutes les hausses. Faiblesse du dollar, croissance chinoise, spéculation, raréfaction de l’offre, sont autant de facteurs qui tirent vers le haut le prix des matières premières. S’agissant des métaux, on apprend là aussi que les prix ont évolué dans de grandes proportions. La tonne de nickel a coûté jusqu’à 27.500 dollars avant de retomber à 24.000 dollars. Néanmoins, sur un an, la hausse atteint près de 40%. Les tensions, sur l’approvisionnement, ont alimenté cette hausse. La crise actuelle n’aura pas dérogé à la règle : l’once d’or fin a encore augmenté de 25% [elle a atteint 1420$ début mars ]. Il est au plus haut depuis 30 ans. Les incertitudes sur la reprise continueront, en 2011, d’alimenter la hausse S’agissant du pétrole, le baril a atteint 118$. Suite aux révoltes arabes et, notamment la situation en Libye. Mais la hausse n’est probablement pas terminée. La barre des 150$ pourrait être dépassée en 2011. S’agissant du cuivre, la demande chinoise a augmenté. Au final, 40% de hausse en un an et un record : 9700 dollars la tonne. La reprise ne devrait pas apaiser les tensions sur ce marché : +8% en 2011 selon le consensus.

Pour la Commission européenne, « les matières premières sont des composantes essentielles des produits de haute technologie et des produits de consommation courante, tels que les téléphones mobiles, les cellules photovoltaïques en couches minces, les batteries ion lithium, les câbles à fibres optiques ou encore les carburants de synthèse. Or, leur disponibilité est de plus en plus restreinte.(4)

Parmi les 41 minéraux et métaux examinés lors de ce tout premier état des lieux de l’accès aux matières premières dans l’UE, d’après le groupe d’experts, 14 matières premières minérales sont d’une importance critique pour l’Union européenne : l’antimoine, le béryllium, le cobalt, le spath fluor, le gallium, le germanium, le graphite, l’indium, le magnésium, le niobium, les métaux du groupe du platine, les terres rares, le tantale et le tungstène. Les prévisions indiquent que, pour certaines matières premières critiques, le niveau de la demande en 2030 pourrait être plus de trois fois supérieur à celui de 2006. En ce qui concerne l’approvisionnement en matières premières critiques, les risques élevés sont surtout dus au fait qu’une grande partie de la production mondiale provient essentiellement d’un cercle restreint de pays, à savoir la Chine, la Russie, la République démocratique du Congo et le Brésil ».(4)

En juin 2010 le projet chinois d’interdire les exportations de matières premières essentielles appelées « terres rares » dont elle détient 95% dès 2015 est pour les pays occidentaux une source d’inquiétude chez les fabricants de produits de haute technologie allant des ordinateurs aux batteries de voitures électriques et aux turbines éoliennes, ont prévenu certains experts. Le 3 mars 2011, selon certaines sources, des conclusions confidentielles de l’Organisation mondiale du commerce concernant les limites d’exportation de la Chine sur les matières premières, ont ouvert la voie à des contestations formulées par l’UE sur la diminution des exportations de terres rares chinoises.

Ces pays émergents

Alors que l’Europe tente de s’assurer un accès sans distorsion aux matières premières pour ses industries, les conflits commerciaux sur les restrictions à l’exportation constituent des sources de tension croissante au sein du commerce international. En effet, les pays en développement défendent leur droit à réduire l’accès du reste du monde à leurs ressources afin de soutenir le développement de leurs économies nationales. En novembre 2008, la Commission européenne a présenté une nouvelle stratégie intégrée sur les matières premières, proposant trois piliers pour formuler une réponse politique de l’UE aux différents défis liés à l’accès aux ressources mondiales : « L’Histoire mondiale fut influencée par des guerres pour les ressources et la colonisation européenne de l’Afrique s’est opérée en grande partie pour acquérir un contrôle sur les matières premières », a expliqué Mogens Peter Carl, l’ancien directeur général de la DG Commerce à la Commission européenne. Du fait de sa dépendance aux importations, la stratégie de l’UE sur les matières premières, place un accent particulier sur la lutte contre les restrictions à l’exportation, ce qui comprend les taxes, les interdictions d’exporter et la régulation. Le monde assiste déjà à une guerre des ressources aujourd’hui, a expliqué M.Carl, faisant référence à une série de conflits commerciaux causés par les restrictions chinoises quant à l’exportation des terres rares. « La Chine restreint ses exportations mais permet aux entreprises locales de les utiliser et de les transformer en produits finis, c’est ce qui est source de conflit. »

L’impérialisme occidental après avoir laminé les plus faibles s’attaque aux autres puissances qui lui disputent le leadership, et là il a fort à faire, inexorablement, le barycentre de la puissance va basculer vers l’Est. Il est à espérer que les nouveaux maîtres du monde n’emprunteront pas le même chemin que celui de la mondialisation laminoir. On l’aura compris , seule la réhabilitation de la dignité humaine qui doit être ce faisant au coeur de tout projet de société quelque soit la latitude. On peut l’espérer avec les pays émergents, notamment l’Inde et la Chine pétries d’une sagesse de plus de trois millénaires.

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. http://www.comiterepubliquecanada.ca/ EgypteCestlhyperinflationalimentaire.htm

2. El Moussaoui : Bernanke est-il en train de réussir là où Bush a échoué ? Agoravox 4.03.2011

3. Aurélie Trouvé. http://www.mediapart.fr /club/edition/les-invites-de-mediapart/article/140111/flamblee-des-prix-alimentaires-memes-causes-mem14 Janvier 2011

4. Rapport Commission européenne IP/10/752 Bruxelles, le 17 juin 2010 http://ec.europa.eu/enterprise/policies/raw-materials/critical/index_fr.htm

5. Matières premières : Vers une guerre des ressources mondiales ? Euractiv 03 mars 2011

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