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La lente descente aux enfers des Etats-Unis

Ce que les Etasuniens voudraient savoir sur la santé économique de leur pays, et qu’ils n’osent pas demander, se trouve pourtant sous leurs yeux. Le taux de chômage a certes atteint un niveau élevé, 6,4%, mais, au-delà de ce pourcentage, la réalité montre les effets pervers de la crise qui frappe le pays. Bon nombre d’employés, souvent les meilleurs, sont systématiquement virés et remplacés par des gens moins expérimentés, qui acceptent des salaires plus bas. Alors que les disparités salariales augmentent, tout comme la pauvreté.

Il Manifesto

10 juillet 2003

Le pays de George W. Bush s’engouffre dans l’une des plus graves crises de son histoire.

Par ANGELA PASCUCCI

Triste été aux Etats-Unis. Les adolescents qui, à cette saison, cherchent un job pour payer leurs frais d’écolage ou aider leur famille ont trouvé, cette année, les places de travail déjà occupées par d’autres candidats : des universitaires ou des adultes au chômage qui n’avaient visiblement pas le choix, si l’on considère qu’ils ont accepté d’empocher moins de 7 dollars de l’heure, en faisant les petits boulots destinés aux teenagers. Déjà , au mois d’août de l’année dernière, le Centre d’études pour le marché du travail de la Northeastern University de Boston relevait, dans un rapport, que les jeunes adolescents avaient vécu l’été le plus dur, du point de vue de l’emploi, depuis trente-sept ans.

2,6 MILLIONS D’EMPLOIS BIFFÉS

Ce phénomène a pris de l’ampleur dans les mois qui ont suivi. En février 2003, le Centre de la Northeastern University a montré, dans une étude intitulée Left Behind in the Labor Market, que 5,5 millions de jeunes, entre 16 et 24 ans, ont quitté l’école l’an dernier, mais n’ont pas trouvé de travail. Résultat : bon nombre d’entre eux errent dans les rues, se retrouvent déconnectés de la société, frustrés et malheureux. Depuis 2002, cette armée de jeunes en colère a vu ses rangs grossir de 12%. Or les statistiques officielles du chômage étasunien n’en font que très peu de cas. L’administration et les politiciens préfèrent traiter ce fait comme un problème secondaire, alors qu’il s’agit d’un élément révélateur d’une crise profonde.
Car, au-delà de la pénurie de jobs d’été pour les jeunes, en effet, le marché du travail est en train de s’assécher, en particulier pour certaines couches de la population. Depuis que George W. Bush occupe le Bureau ovale de Washington, quelque 2,6 millions de places de travail ont été effacées dans le pays. « Comme des marques de craies sur un tableau noir », glosent les analystes. Certes, les Etats-Unis, comme bien d’autres pays, font face à une crise globale. Il y a eu d’abord l’éclatement de la bulle de la nouvelle économie, puis l’accumulation des scandales financiers, Enron, Worldcom, etc. Des événements qui sont se déroulés alors que le spectre de la récession commençait à pointer le bout de son nez.
Sans oublier les attentats du 11 septembre 2001 qui sont aussi - cela va de soi - à mettre sur le compte des difficultés que traverse le pays. Mais toutes ces causes engendrent aujourd’hui des effets qui s’abattent avec une violence renouvelée sur le marché du travail. Les changements structurels qui en découlent sortent, bien entendu, du cadre dépeint par le taux officiel du chômage, qui a atteint 6,4%, le chiffre le plus élevé depuis 1994. Pour mémoire, avant cette date, durant les toutes premières années de la décennie 1990, le taux avait bondi à 7,8%. Or, en 1994, le pourcentage de 6,4% correspondait à environ 7,9 millions de personnes cherchant un job. Aujourd’hui, ce même pourcentage photographie une autre réalité : ce ne sont pas moins de 9 millions d’individus qui, dix ans plus tard, se retrouvent sans emploi.

LE « CHOC » ET LA « TERREUR »

Mais, par rapport aux années nonante, l’atmosphère s’avère beaucoup plus lourde aux Etats-Unis. « Nous assistons à une détérioration de la situation », déclarait, début juin, l’économiste Sophia Koropechy à l’agence AP. « C’est ce qui effraie le plus les gens, d’autant qu’ils ont le sentiment de vivre dans un monde différent. » Et il y a aussi des effets en contre-tendance. Exemple : alors que des dizaines de milliers d’emplois disparaissent, comme le montrent les statistiques publiées le 3 juillet par le Département du travail, les employeurs multiplient, eux, les contrats de travail part time. Aux Etats-Unis, il faut savoir que, actuellement, quelque 4,8 millions de personnes ont une activité à temps partiel. Beaucoup d’entre elles sont contraintes d’accepter ce type de contrats, car il leur est impossible de trouver un emploi à plein temps.
Globalement, les sans-emploi sont au nombre de 10,5 millions, y compris le 1,5 million de personnes « découragées » par le marché du travail et qui ont décidé de jeter l’éponge. « Voulez-vous vraiment avoir un choc et ressentir de la peur ? Venez à New York », écrivait, le 8 mai dernier, Bob Herbert, éditorialiste du New York Times, en paraphrasant le slogan guerrier (choc et terreur) que l’administration Bush avait lancé avant l’invasion de l’Irak. Dans son commentaire, le journaliste décrit la dernière vague de laissés-pour-compte qui allongent les files d’attente des centres sociaux de la ville. Ces personnes, écrit-il, faisaient partie de la catégorie des nantis. En perdant leur travail, elles se sont progressivement retrouvées à la rue. Pas moins de 250 000 postes de travail se sont volatilisés à New York au cours des deux dernières années et demie.
Au chômage qui augmente s’ajoute la réduction drastique des services sociaux et sanitaires, l’une des conséquences de la crise fiscale qui frappe les Etats-Unis. Du Texas à la Californie, elle investit aussi le système scolaire. A l’origine, les coupes fiscales voulues par l’administration étasunienne, argumentent les économistes, n’auront d’autre effet que de drainer des ressources pour les collectivités, mais elles ne relanceront pas l’économie du pays. En revanche, elles déboucheront sur un changement radical dans la distribution du revenu, ce qui se soldera par un bénéfice pour les couches aisées de la population.

INÉGALITÉS SALARIALES

Tout cela advient alors que, comme l’indique le rapport du Census Bureau (relatif à l’an 2001), en une seule année, environ 1,3 million d’Etasuniens ont franchi le seuil de la pauvreté. Parmi ces nouveaux pauvres, fait inédit, les Blancs seraient plus nombreux par rapports à d’autres groupes. L’étude fait aussi état d’une très forte inégalité de traitement salarial, un phénomène en augmentation depuis quinze ans. Dans ce contexte, il est normal que les personnes qui n’ont pas encore jeté l’éponge, et qui continuent à chercher un emploi, acceptent alors tout ce qu’on leur propose. Mais, revers de la médaille, de plus en plus d’individus restent exclus du marché du travail durant une période toujours plus longue.
Dans une étude datée du 5 juin, le Center on Budget and Policy Priorities avance que 68% des personnes qui touchent le TEUC, le subside-chômage provisoire d’urgence, arrivent au terme de leurs droits sans avoir trouvé un nouvel emploi, et ce malgré les prolongements dilatoires décidés par le Congrès. Il faut savoir que le TEUC est un programme fédéral d’assistance qui s’ajoute, en temps de crise, aux indemnités de chômage octroyées par les Etats. Parmi les quelque 5 millions de bénéficiaires touchant les subsides fédéraux depuis le début du programme, en mars 2002, environ 3 millions n’avaient toujours pas trouvé d’emploi en janvier 2003, délai d’échéance du TEUC. Or, selon d’autres études, 62% des personnes qui restent en dehors de tout programme d’assistance durant plus de neuf mois sont contraintes de recourir à des emprunts. « Cela faisait vingt ans que le temps de recherche d’un emploi n’avait pas été si long », faisait observer, le 8 juin, une analyste dans une dépêche de l’agence AP. Elle mettait aussi en évidence que, parmi ceux qui cherchent un emploi, environ 13% continuent à le faire durant plus d’un an.

LES MEILLEURS SONT VIRÉS

Un article publié le 11 juin dans le Wall Street Journal décrit l’ambiance, lourde, qui règne sur le marché du travail étasunien. Il relate à cet effet les licenciements qui sont intervenus dans le grand circuit de la vente au détail qui s’est débarrassé, sans pitié, de ses meilleurs vendeurs, c’est-à -dire de ceux qui parvenaient à décrocher les commissions les plus élevées, et étaient capables de gagner plus de 18 dollars de l’heure. Ceux-ci ont été remplacés par de nouveaux vendeurs que les employeurs ont aussitôt embauchés en leur offrant des salaires plus bas. Une mesure visant à réduire les coûts, disent-ils. Reste qu’aucune loi n’a pu empêcher que les meilleurs éléments soient mis à la porte du jour au lendemain.
Contacté par le quotidien économique étasunien, le bureau de comptabilité qui verse les salaires pour le compte d’environ 5000 petites et moyennes entreprises a déclaré avoir relevé, d’une année à l’autre, une diminution moyenne de 3% des paies versées. Une infographie du Wall Street Journal montre en outre une chute précipitée, depuis 2000, du salaire moyen hebdomadaire des employés étasuniens travaillant à plein temps. « J’ai été virée comme une malpropre », raconte une caissière des Wal-Mart Stores, promptement remplacée par une employée ayant accepté un salaire plus bas. Elle touchait 9,15 dollars de l’heure. L’un des meilleurs vendeurs de la chaîne Circuit City explique, lui, qu’il a réussi à trouver une autre place de travail, mais qu’il a dû se résoudre à une diminution de 21% de son revenu précédent. Après l’avoir licencié, son ancienne entreprise avait refusé de lui rédiger un certificat de travail. Mais le vendeur, qui en avait vu de toutes les couleurs durant quinze ans de carrière, avait heureusement gardé les copies de ses bulletins de vente.
Face à cette crise, personne ne semble voir le bout du tunnel. Mais y en a-t-il un ? Il est probable, en tous les cas, que l’on se soit engagé dans un très long tunnel, si l’on en croit le magazine Business Week daté du 3 février. L’hebdomadaire économique étasunien annonçait le lancement d’une nouvelle phase, qui a cependant déjà pris son départ, consistant dans la délocalisation à l’étranger des activités productives comprenant les travailleurs spécialisés. Selon l’analyste John McCarthy, au moins 3,3 millions de travailleurs white collar, l’équivalent de 136 milliards de dollars de revenu annuel, déménageront, d’ici à 2015, dans d’autres pays. Avec, bien entendu, des salaires plus bas.

Traduction et adaptation : Fabio Lo Verso.

Les Etats sont unis dans l’endettement

La Californie est au bord de la débâcle financière, le New Jersey pourrait fermer boutique, pour l’Oregon, c’est carrément la banqueroute. Les Etats devaient boucler leurs comptes le 30 juin à minuit. Mais, face à la plus importante crise fiscale que le pays ait connue depuis la Grande Déprime, en 1929, la majorité d’entre eux ne savaient toujours pas comment s’y prendre pour équilibrer leurs bilans. Il suffit d’analyser les chiffres publiés, le 26 juin, dans le Rapport fiscal 2003, pour comprendre comment « un mauvais rêve est en passe de se transformer en cauchemar », comme l’affirme un éditorialiste du New York Times.
Les démocrates et les républicains ont engagé un bras de fer sur la manière avec laquelle les Etats pourraient affronter cette situation. Le parti de George W. Bush s’oppose à toute nouvelle imposition fiscale et prône la solution des « coupes budgétaires », alors qu’il n’y a presque plus rien à « couper » et qu’un peu partout, on racle les fonds de tiroir. Trente-sept Etats ont, d’un côté, déjà diminué leurs dépenses à hauteur de 14,5 milliards de dollars, en supprimant certains services destinés aux citoyens et en licenciant des fonctionnaires. De l’autre, malgré les réserves émises par la Maison-Blanche, les gouverneurs de 19 Etats ont dû se résoudre à proposer l’application de nouveaux impôts pour 17,5 milliards de dollars.

EXEMPLE DE LA CALIFORNIE

L’exemple de la Californie illustre l’ampleur du phénomène. Il y a trois ans, cet Etat affichait un surplus financier de 9 milliards de dollars. Aujourd’hui, le bilan enregistre un déficit historique de 38 milliards. Pas étonnant, dès lors, que les enseignants des écoles publiques s’attendent à ce qu’on leur dise un jour qu’ils ne seront pas payés. D’autres secteurs seront touchés. Les résidences et les établissements médico-sociaux pour les personnes âgées sont carrément menacés de fermeture, tandis qu’environ 30 000 fonctionnaires qui, jusqu’à il y a quelques mois, attendaient encore des augmentations de salaire, ont reçu des lettres de pré-licenciement. Bref, la sixième économie mondiale, le berceau de la nouvelle économie, est en train de s’engouffrer dans l’une des plus graves crises économiques et sociales de son histoire.

RÉCOLTE ÉLECTORALE

L’Oregon, qui figure parmi les Etats les plus exposés, affiche le taux plus élevé d’habitants n’ayant pas suffisamment de ressources pour s’alimenter correctement. Les écoles y ont déjà subi une cure drastique, alors que l’administration a nié à 100 000 personnes malades, possédant un revenu insuffisant, le traitement pharmacologique dont elles avaient besoin. De son côté, le New Jersey a annoncé que, en l’absence d’un concordat entre les partis politiques, l’Etat pourrait se voir obligé de maintenir uniquement les services qui « garantissent la sécurité publique » : police, prisons, etc.
En attendant, les deux candidats aux élection présidentielles de 2004, George W. Bush et Dick Cheney (qui ont aboli certains impôts pour favoriser les couches les plus riches du pays), sont en train d’effectuer leur tournée pour chercher des financements destinés à promouvoir leur campagne électorale. Ils ont déjà récolté 17 millions de dollars, et devraient avoir atteint ou dépassé, ces jours-ci, la somme de 30 millions. L’objectif visé se monte à 200 millions de dollars : le double par rapport à l’an 2000. Une somme sans doute méritée...

APi/il manifesto

Traduit et adapté par Flo.

http://www.lecourrier.ch/Selection/sel2003_570.htm

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