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La Militarisation du Marché - Counterpunch.


( Lire aussi : Le projet d’une bourse iranienne du pétrole, par Krassimir Petrov. )




Le combat contre le populisme international


Counterpunch, 23 septembre 2005.


Après des années d’obsession sur Cuba, les Etats-Unis ont décidé de
devenir obsédés sur toute l’Amérique latine parce qu’il semblerait à 
présent que la menace représentée par Cuba ait été largement exagérée.
Après tout, que vaut le danger du communisme face au fléau du populisme
international ?

A présent, la principale menace contre la sécurité nationale (des US -
NDT) est l’effet subversif du mécontentement populaire envers le libre
marché néolibéral et la volonté des Etats-Unis de le globaliser sous
couvert d’un Accorde le Libre Commerce des Amériques ( ALCA ou ZLEA. ZLEA est l’acronyme du projet de Zone de Libre-Échange des Amériques, traduction française de ALCA (en portugais) et FTAA (en anglais). Lire Oui à la vie. Non à la ZLEA.). Ainsi, un nouveau virus est apparu pour remplacer celui du communisme qui
infectait le corps politique : l’affaiblissement du marché, n’importe où
en Amérique latine, crée les conditions de contamination par le
populisme international.


A la pêche aux amis

Les officiels de l’administration ont récemment sondé l’Amérique latine
à la recherche de quelqu’un, n’importe qui, qui seraient d’accord avec
eux pour dire que Hugo Chavez est en train de diriger un axe de
populisme dédié au renversement des gouvernements et contre le
libre-marché. Cuba, désormais considérée comme un Venezuela fauché, a
été rétrogradée au rôle de complice.

Les recherches ont échoué. Le schisme entre les Etats-Unis et
l’Amérique latine, que Bush tente désespéramment de réparer, trouve ses
origines en 1998 lors du Sommet des Amériques au Chili, où les délégués
étaient plus occupés à faire rentrer Cuba dans l’Organisation des Etats
Américains que de signer l’ALCA. Avec le recul, il parait évident que
l’insistance des Etats-Unis à vouloir forcer l’intégration de l’Amérique
selon leurs conditions à poussé l’Amérique latine à envisager cette
intégration selon ses propres termes.

Au mois de mai 2003, le Conseil Permanent de l’OEA, en réaction aux
pressions du Secrétaire d’Etat Colin Powell visant à faire condamner
Cuba, publia une déclaration pondérée et non-directive qui n’obtint pas
la majorité. Le mois suivant, les délégués de l’OEA ont tout simplement
ignoré sa demande d’aide pour "hâter" la chute de Fidel Castro.

Au mois d’avril 2005, la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice effectua une
tournée en Amérique latine en brandissant des accusations sans preuves
contre le Venezuela et Cuba, accusations qui passent aujourd’hui pour
des faits établis. Rice, lors de ses auditions devant le Sénat en
janvier, avait avancé le "fait" que Chavez était un fauteur de trouble
et Cuba "un avant-poste de la tyrannie" (Miami Herald, 18 janv 2005).
Mais au Brésil, le Président Luiz Inacio Lula da Silva a qualifié ses
remarques de "diffamations et insinuations" contre un pays ami (Los
Angeles Times
, 02 avril 2005). Au Chili, le Président Ricardo Lagos
rappela à Rice que Chavez avait été "légitimement et régulièrement élu"
(Prensa Latina, 29 avril 2005).


La militarisation des gardiens du capital

L’administration Bush a tenté de mettre en place une stratégie de
militarisation du marché contre le populisme, tout comme elle a
militarisée la réponse au terrorisme. Aussi ridicules que soient les
accusations contre Cuba et Venezuela, l’administration Bush a tenté de
leur donner une dimension intellectuelle en plaçant un cadre idéologique
où il est affirmé que le moindre désordre social ou économique peut
nécessiter une intervention multilatérale de remise en ordre.

Le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld présenta cette stratégie en
Novembre 2004, lors d’une réunion des ministres de la défense de l’OEA à 
Quito, Equateur. Il proposa la création d’une force militaire
multilatérale - sous le commandement du Conseil de Défense
Inter-Américaine (qui siège à Washington DC) - qui pourrait intervenir
dans les états qui n’obéiraient pas à certaines normes démocratiques.

Le plan fût présenté comme un élément de lutte contre le terrorisme, le
trafic de drogue, la criminalité et autres menaces déstabilisatrices. En
résumé, le plan proposait de réunir les fonctions militaires et
policières et d’attribuer un rôle central aux militaires dans la
direction des affaires régionales.

Au lieu d’inciter les généraux à renverser des gouvernements au nom de
l’anti-communisme, Rumsfeld les verrait bien en train de rendre le monde
un lieu plus sûr pour le libre-marché.

Les fondements intellectuels de ce plan se trouvent dans un rapport
intitulé "Fostering Regional Development" http://counciloftheamericas.org/coa/DMAREPORT.pdf rédigé pour le
Pentagone par le Conseil des Amériques. Ce rapport propose le
renforcement des mesures de sécurité contre toutes sortes de crimes
imaginables afin d’instaurer un climat plus favorable à l’investissement
étranger.

Cette approche est basée sur les Principes de Williamsburg, adoptés à la
première réunion des ministres de la défense des Amériques et qui s’est
tenue à Williamsburg, Virginie, en 1995. Ces principes appellent à 
protéger la démocratie via une sécurité collective et mutuelle,
reconnaissant que "le développement de la sécurité sur le plan
économique affecte profondément la sécurité sur le plan militaire, et
vice versa."

Le rapport aborde la question du mécontentement grandissant en Amérique
latine contre les économies néolibérales et "l’implantation" du
populisme. Le "populisme" est un terme qui désigne les mouvements
populaires que la Maison Blanche n’approuve pas. Le rapport encouragait
les Ministres de la Défense à discuter à Quito de certaines choses que
certaines personnes ignorent encore : "le lien entre les questions de
défense et celles du développement d’un marché libre".

Alors que les liens entre l’extension du néolibéralisme et les questions
de défense pourraient échapper à certains, selon Rumsfeld, une force
militaire multilatérale - dirigée évidemment par les Etats-Unis -
devrait débarrasser tous les pays de tous les terroristes, bandits,
junkies et populistes si on veut un cadre favorable aux investissements.

Les auteurs du rapport signalent à raison l’importance de la misère, de
la criminalité, de la corruption en Amérique latine, mais la solution à 
tous ces maux est largement confiée à la baguette magique des "lois du
marché", alors que ce sont ces lois, sans aucun doute, qui sont à 
l’origine de tous ces maux.

Il faut noter que l’administration Bush est arrivé à mettre sur le même
pied d’égalité "marché libre" et "démocratie" dans l’art de gouverner -
sans provoquer de débats et sans aucun consensus international. Il
faudrait dire aussi que le clientélisme, le marché interne protégé, ses
exportations subventionnées, et d’autres caractéristiques de l’économie
des Etats-Unis rendraient ce pays inacceptable devant ses propres
exigences néolibérales.

Pour montrer combien le marché libre peut fonctionner de pair avec la
force, le rapport désigne la Chine comme un exemple de succès dans
l’accumulation de Capital facilité par la suppression de toute
opposition interne.

Pour montrer les progrès accomplis par le concept de coopération
multilatérale de sécurité sur le continent, les auteurs du rapport nous
invitent à "observer sous nos fenêtres" les forces de maintien de la
paix en Haïti, composées de différents pays d’Amérique latine.

Mais on peut se demander en quoi le renversement par les Etats-Unis en
2004 du président démocratiquement élu Jean-Bertrand Aristide, et son
remplacement par une bande de voyous armés, pourrait être conforme aux
Principes de Williamsburg, notamment, "que la préservation de la
démocratie est la base de la garantie d’une sécurité collective". En
fait, le rapport va jusqu’à féliciter les pays qui ont envoyé des
soldats en Haïti pour soutenir un gouvernement illégitime soumis aux
Etats-Unis.

Les délégués à Quito ont rejeté le plan de Rumsfeld et le document final
insistait sur la souveraineté nationale au lieu de la militarisation du
Marché.

Mais Rumsfeld tient à son idée d’une défense multilatérale de défense du
marché contre les méchants. Dans son voyage d’affaires d’avril 2005 en
Amérique du Sud, Rumsfeld fit la leçon au président Paraguayen Nicanor
Duarte sur l’axe Cuba-Venezuela et le besoin de multilatéralisme.

Duarte expliqua à Rumsfeld que les relations entre le Paraguay et Cuba
et le Venezuela étaient normales, et loua le Venezuela pour avoir aidé
économiquement son pays à travers son aide pétrolière. Plus tard, Duarte
déclara à un journal local que le Paraguay avait reçu peu d’aide des
Etats-Unis et appela les Etats-Unis à ouvrir leur marché aux produits
Paraguayens. (Agence France-Presse, 17 août 2005).

Le ministre de la Défense du Paraguay, Roberto Gonzalez, publia une
déclaration qui semblait signifier une fin de non recevoir à l’ALCA de
la part du Paraguay. "Nous sommes d’accord, pouvait-on lire dans la
déclaration, "sur la nécessité de construire l’unité d’une Amérique du
sud qui aurait plus de poids politique dans les décisions globales,
particulièrement en matière d’économie, de finances, de distribution de
l’information et du savoir" (agence espagnole EFE, 20 août 2005)

Pas découragé, Rumsfeld se rendit au Pérou où le gouvernement du
Président Alejandro Toledo, assiégé par des accusations de corruption
massive et avec un taux de popularité à peine mesurable, se trouvait
dans un état de décomposition avancée. Mais ce n’était pas l’effet de la
politique du gouvernement sur les Péruviens qui préoccupait Rumsfeld
sinon qu’une possible "malgouvernance" ouvrirait la porte aux
"comportements antisociaux et déstabilisateurs," le genre de
déstabilisation dont Chavez pourrait bénéficier et pour laquelle
Rumsfeld a une solution militaire toute prête.

Rumsfeld est préoccupé aussi que Cuba et le Venezuela tentent de
contrôler la Bolivie et s’ingèrent dans la zone où trois frontières se
rejoignent, l’Argentine, le Brésil et le Paraguay, une préoccupation qui
vient après qu’il ait affirmé que des terroristes islamistes se
trouvaient dans cette région. C’est dans cette région que les Etats-Unis
possèdent leur base militaire Mariscal Estigarribia et où les troupes US
mènent des "exercices".

Avant de quitter Asuncion, Rumsfeld asséna une autre de ses "vérités" :
"il y a très certainement des preuves que Cuba et le Venezuela ont eu
une influence négative dans le déroulement des événements en Bolivie."
(Telegraph, 19 août 2005). Mais l’Amiral Marco Antonio Justiniano, chef
des forces armées Boliviennes, a répondu qu’il n’avait aucune élément
pour soutenir une telle thèse. (Deutsche Presse-Agentur, 17 août 2005)

En Juin 2005, malgré une longue série de rebuffades et par l’échec de
Rumsfeld à Quito pour militariser la protection des capitaux, Rice se
rendit à la réunion de l’assemblée générale de l’OEA, à Fort Lauderdale,
pour obtenir l’autorisation de mener des frappes préventives "à 
l’Irakienne" afin de préserver la démocratie en Amérique latine. Les
gouvernements qui ne rempliraient pas les conditions de démocratie
définies par la Charte Inter-Américaine de Démocratie de 2001 seraient
soumis à des sanctions. Les délégués ont rejeté la proposition.

Il est intéressant de noter que Cuba n’aurait pas été concernée parce
que Cuba ne fait pas partie de l’OEA. Mais le Venezuela est un exemple
parfait parce que Rice avait prévu des interventions contre des
dirigeants démocratiquement élus mais qui s’écartaient du droit chemin.

Après avoir ajusté le concept d’intervention au cas du démocratiquement
élu, mais apparemment trop populiste, Chavez, l’importance stratégique
de Cuba pour les Etats-Unis en Amérique latine semble décliner.

Robert Sandels


Robert Sandels writes about Cuba and Latin America for the Latin America
Database at the University of New Mexico and other publications.. He
received a B.A. in Spanish literature in 1958 from the University of the
Americas in Mexico City. He also received an M.A. in American history in
1962 and a Ph.D in Latin American history in 1967 from the University of
Oregon. He has taught at Chico State University in California, at San
Francisco State University, and at Quinnipiac College in Connecticut.


 Source : www.counterpunch.org/sandels09232005.html

 Traduction : Viktor Dedaj pour Cuba Solidarity Project.
Il vient de publier avec Danielle Bleitrach et Maxime Vivas Les États-Unis
DE MAL EMPIRE
Ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud,
Aden.

Viktor Dedaj est l’ auteur, entre autres, de :Reporters Sans Frontières. La liberté de la presse et mon hamster à moi.


Venezuela : Voisinage dangereux, par Noam Chomsky.


La seconde naissance de la Bolivie, par Eduardo Galeano.

Le Vénézuéla avance à grands pas : la misère recule, par Romain Migus.

Le Venezuela retire ses capitaux des USA, par Philippe Grasset.



Les Andes brûlent, le Sud s’organise, Washington perd la main, par Maurice Lemoine.<BR>
Lignes de fracture en Amérique latine. Juin 2005.<BR>
www.monde-diplomatique.fr/2005/06/LEMOINE/12488


Liliane Blaser, une histoire bolivarienne, par Benito Perez.


Est-ce que Washington pourra tolérer une alliance pétrolière entre le Venezuela et la Chine ? par Seth R.DeLong.


L’eau convoitée de l’aquifère Guarani, par Hinde Pomeraniec.



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Toute manifestation à Cuba (ou à Miami, d’ailleurs) qui ne commence pas par "Abajo el bloqueo" (quoi qu’on dise ensuite) est une escroquerie ou une croisade de fous. Et brandir un drapeau états-unien à Cuba, c’est comme brandir un drapeau israélien à Gaza.

Viktor Dedaj

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