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La question : le boom de l’apprentissage est-il artificiel ?

Les aides financières à l’embauche des apprentis expliquent en grande partie la hausse record de cette forme d’emploi observée depuis 2020. Elles ont été maintenues jusqu’à la fin du quinquennat.

En route pour le million ? 837 000 contrats d’apprentissage ont été signés en 2022, selon la Dares, l’Institut statistique du ministère du Travail. C’est 120 % de plus qu’à la fin de l’année 2019 ! De tels chiffres auraient été jugés impensables il y a quelques années, quand l’objectif – longtemps rêvé – de 500 000 apprentis semblait hors de portée. Par quel miracle l’exécutif multiplie-t-il donc les records ?

Première explication d’ordre statistique : ce bond de 370 000 contrats prospère en partie sur le déclin d’autres voies de formation. A commencer par les contrats de professionnalisation, qui fonctionnent sur le même principe, c’est-à-dire une alternance entre périodes de formation et de présence en entreprise pour un travailleur, le plus souvent jeune. Alors qu’en 2018, la Dares constatait 235 000 entrées sous ce régime, leur nombre a été quasiment divisé par deux, avec 121 000 contrats signés fin 2022.

Point de hasard dans cette chute : les établissements de formation ont délaissé le « contrat pro » au profit de l’apprentissage, davantage soutenu financièrement depuis la loi Avenir professionnel adoptée en 2018. De quoi relativiser en partie la performance statistique. En 2022, 87 % des contrats d’alternance s’inscrivent dans le cadre de l’apprentissage.

Par ailleurs, les apprentis supplantent une partie des « scolaires » déjà intégrés dans le système éducatif classique et que les entreprises avaient l’habitude d’accueillir dans le cadre de stages. Dans les lycées professionnels, la part des apprentis est passée de 26,7 % en 2018 à 29,6 % des effectifs en 2020, selon les données de l’Éducation nationale.

L’enseignement supérieur en première ligne

Mais cette « conversion » à l’apprentissage est surtout spectaculaire au niveau de l’enseignement supérieur : en 2020, 15,7 % des effectifs y sont désormais des apprentis, une part qui a progressé de 3,9 points en un an. Les étudiants des licences professionnelles sont les plus séduits : 55 % des effectifs y étaient des apprentis en 2020. Depuis 2019, cette part a décollé de 17 points !

29,1 % des étudiants en BTS ont aussi opté pour cette voie de formation, une proportion en hausse de 5,9 points. En écoles de commerce, on trouve 15,6 % d’apprentis, soit une progression de 7,9 points. Le poids de l’apprentissage reste en revanche stable dans les cursus d’ingénieur (15,5 %) ainsi que parmi les étudiants en master (4,7 %).

Les entreprises, de leur côté, ont accueilli les apprentis à bras ouverts. L’alternance a ainsi fini par peser 4 % de l’emploi salarié au troisième trimestre 2022, contre 3 % en 2020 et 2,4 % en 2017, selon les services statistiques du ministère du Travail. L’apprentissage représente ainsi près d’un tiers des créations nettes d’emplois depuis la fin de l’année 2019, d’après l’Insee. Comment expliquer un tel bond ? Les tensions de recrutement ont pu jouer un rôle.

« Les employeurs qui n’arrivent plus à recruter des jeunes sortis de formation sont allés les chercher pendant qu’ils étaient encore étudiants, en les embauchant sous contrat d’apprentissage », avance l’économiste Bruno Coquet, expert associé à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Effet d’aubaine

Mais pour l’expert, comme pour la plupart des observateurs, l’explication principale vient des très généreuses aides financières désormais accordées par l’Etat aux employeurs. A l’été 2020, le gouvernement lance en effet une prime en cas d’embauche d’un apprenti s’élevant à 5 000 euros pour les mineurs et 8 000 euros pour les majeurs, versée la première année.

Jusqu’alors, seules les entreprises de moins de 250 salariés et les diplômes ou titres de niveau inférieur ou égal au bac bénéficiaient d’incitations spécifiques. Dès l’élargissement des aides, la facture pour les finances publiques s’envole : 4,3 milliards d’euros en 2021.

Certes, l’apprentissage a augmenté dans tous les niveaux de formation – du CAP au bac +5 –, mais le bond des effectifs dans les formations de niveau bac +2, éligibles à l’aide, s’est surtout manifesté dans le supérieur, dès l’élargissement des aides. Au point de représenter, en 2022, 63 % de l’ensemble des contrats d’apprentissage, contre 44,2 % en 2019.

« On voit une coïncidence forte entre la mise en place des aides et l’explosion de l’apprentissage. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement a renoncé à supprimer cette aide malgré l’envolée de la facture », rappelle Bruno Coquet.

Depuis le 1er janvier 2023, l’aide est fixée à 6 000 euros, quel que soit l’âge. L’aide à l’embauche vient ainsi compenser une partie du salaire versé à l’apprenti, lui-même compris entre 27 et 78 % du minimum légal selon l’âge et l’année de formation, à l’exception des plus de 26 ans. Un apprenti âgé de 18 à 20 ans touchera par exemple 734,99 euros au minimum par mois la première année et 871,73 euros la deuxième. A cela s’ajoute une exonération partielle de cotisations sociales.

Un changement structurel ?

Un cumul d’avantages très tentant pour les entreprises, selon Marie-Hélène Toutin, ingénieure de recherche à l’Université de Lille.

« La baisse très importante du coût de l’apprentissage a perturbé les raisonnements habituels des entreprises. Cette incitation installe l’idée que la formation ne coûte plus grand-chose, car l’aide compense le manque de productivité de l’apprenti », souligne cette spécialiste de l’apprentissage, associée au Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications).

Au-delà des motivations financières, les entreprises se laisseront-elles convaincre structurellement par les autres vertus de l’apprentissage ? Selon Marie-Hélène Toutin, il y en a plusieurs : formation à des compétences spécifiques aux entreprises, possibilité pour les PME de s’offrir les compétences de juniors bien formés à petit coût pour au moins quelques années, mais aussi valorisation en interne des salariés plus âgés, qui deviennent des tuteurs et transmettent ainsi leurs savoirs.

« On peut penser qu’une partie de cette promotion offerte à l’apprentissage pourra subsister dans le futur. Ce sera la partie artificielle qui disparaîtra, mais le problème est d’en évaluer la quantité », convient Bruno Coquet. Difficile de savoir, tant que l’aide exceptionnelle ne sera pas supprimée. C’est-à-dire, pas avant 2027.

15 Mars 2023

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