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16 commentaires

Le culte de l’Amérique en Europe

Le rapport que l’Europe entretient avec les États-Unis ressemble à s’y méprendre au rapport traditionnel métropole-colonie à ceci près que la colonie d’antan s’est muée en modèle-type universel. Le moindre événement qui a lieu aux États-Unis a une projection hors norme dans le Vieux Continent. Un attentat engendre trois morts outre-Atlantique et aussitôt le plan Vigipirate est renforcé en France ; un cyclone s’apprête à toucher la côte est des Etats-Unis, après avoir dévasté les Caraïbes, et c’est toute l’Europe qui retient son souffle.

La double explosion qui a frappé le marathon de Boston a joui d’une exposition médiatique extraordinaire : éditions spéciales dans les journaux télévisés et dans la presse écrite. Un événement similaire dans un pays périphérique n’aurait très certainement pas joui du même écho. A l’inverse, les États-Unis sont recroquevillés sur leur société et font très peu cas de ce qui se passe au-delà de leurs frontières, hormis lorsque leurs intérêts directs sont en cause.

Ce qui est nommé fâcheusement « mondialisation » n’est en réalité que la propagation virale de la culture consumériste étasunienne et de son corrélat moral dans le reste du monde. Ce qui se déroule aux états-Unis préfigure très souvent ce qui se passera d’ici peu en Europe : combat entre le moderne (néo-libéralisme anglo-américain) contre l’ancien, le dépassé (modèle social européen). Sarkozy, qui faisait du jogging à New-York affublé d’un T-shirt NYPD, incarne à merveille cette dévotion infantile pour l’Oncle Sam. En son temps, il déclarait au Journal Le Monde : « J’aime l’énergie et la fluidité de l’Amérique. Ce sentiment que tout est possible. Cette impression - peut être artificielle - que des sagas sont possibles, qu’on peut partir du bas de l’échelle et monter très haut, ou bien le contraire ». (1)

La sujétion européenne est non seulement politique mais aussi économique et intellectuelle. La politique étrangère européenne est déjà sous tutelle, alors que le marché européen n’est déjà plus qu’un comptoir de marchandises étasuniennes. L’UE est la terre d’accueil la plus importante du monde pour les marchandises, les services et les capitaux en provenance des États-Unis.

L’Angleterre, la France, l’Allemagne qui étaient les incubateurs des courants de pensée avant-gardistes, se contentent de plus en plus de décalquer les concepts et idées marqués du sceau étasunien . Tout ce qui est estampillé États-Unis, par rapport à n’importe lequel de ses équivalents, représente per se une valeur ajoutée. Que ce soit en nouvelles technologies (Apple, Microsoft, Google, Facebook…), en vêtements (Nike), en productions culturelles de masse (cinéma, série TV, musique,…), en boissons et en produits alimentaires (Coca-cola, Mc Donald,…), le Made in USA bénéficie d’une attractivité sans égal (2).

« Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous leur joug. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beaux tout ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal que les enfants n’apprennent à lire avec des images brillantes » avisait déjà Étienne de La Boétie. (3)

Cette acculturation psychologique s’exprime de la manière la plus éclatante par l’anglomanie butée qui sévit autant dans les couches populaires qu’au sein des élites dirigeantes (4). Publicitaires, journalistes, scientifiques, hommes politiques recourent abusivement à l’anglais qui est censé conférer un surcroît de sérieux à leurs propos. L’anglais est en passe de devenir une véritable « supralangue » qui relègue toutes autres langues au rang de dialecte régional. La langue n’est pas simplement un vecteur de communication ; il s’agit en outre d’un objet idéologique qui traduit une certaine « cosmovision » c’est-à -dire une appréhension générale de l’existence.

L’onde du culte de l’Amérique, l’idée que c’est le meilleur pays au monde, s’étend à l’Europe entière et au reste du monde. Après les événements du 11 septembre 2001, l’Europe avait proclamé ses affinités électives avec les États-Unis sous l’aphorisme « nous sommes tous américains ». Cette déclaration de soumission s’est concrétisée et s’est même intensifiée ces dernières années dans les faits et dans les esprits. La conversion à la culture usaméricaine, au néo-libéralisme, à l’esprit du temps, contraint malheureusement les masses à l’aliénation et à l’encerclement de l’imaginaire.

Emrah Kaynak

(1) http://www.lemonde.fr/societe/article/2006/09/09/nicolas-sarkozy-j-aime-l-energie-et-la-fluidite-de-l-amerique_811330_3224.html

(2) Cette Amérique qu’on aime, Thierry Fiorilli, http://archives.lesoir.be/cette-amerique-qu-8217-on-aime-8230-_t-20081031-00JUJY.html.

(3) Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1574.

(4) L’anglomanie en Belgique francophone,
http://correspo.ccdmd.qc.ca/Corr16-3/Anglomanie.html.

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COMMENTAIRES  

20/04/2013 11:14 par Al Damir

On assiste à la perte d’identité des pays qui constituent la civilisation et la culture européenne, au bénéfice de l’instauration par le Nouvel Ordre Mondial,de la pensée unique, d’une société standard et d’un individu code/ barre. Ce qui conduit inexorablement à la perte de la condition humaine et la disparition de toutes ses valeurs.

20/04/2013 11:51 par Feufollet

La lutte entre la conscience critique
Et l’ inconsciente soummission
Tourne à l’avantage de la dernière
Les moyens donnés à l’une et à l’autre étant disproportionnés
Une civilisation mercantile et impérialiste doit soummettre les consciences
Et la société du spectacle en est le moyen le plus puissant
M. de la Boétie l’avait déjà compris au 16éme siècle
On comprend pourquoi les "modernes" n’aiment pas la "vieille Europe"

20/04/2013 12:00 par Fald

Si encore tous ces cons formistes (oui, oui, en deux mots !) parlaient anglais !

Demandez à de vrais anglicistes ce qu’ils pensent du globish baragouiné en France de la maternelle à la terminale, ainsi que dans les conseils d’administration !

20/04/2013 14:36 par calamejulia

Ainsi que je l’ai dit et rappelé, nommer Amérique les seuls Etats-Unis est une aberration
sans nom. Ces Etats qui se sont extraits d’un continent Hénaurme pour faire leur loi dans
le monde méritent d’être traités comme un seul Etat : les USA et point barre.

20/04/2013 15:40 par erwin

@ calamejulia :

Parfaitement, ce titre est SCANDALEUX !!!
Je ne comprends pas que LGS n’ait pas demandé à l’auteur de corriger cette grossière erreur.

Sauf si l’amalgame est volontaire avec pour but justement d’insister sur son omniprésence parmi les peuples européens. Mais ce n’est franchement pas explicite dans l’article.

20/04/2013 17:15 par legrandsoir

Connaissant l’auteur...
Connaissant le site...

... à votre avis ?

20/04/2013 16:18 par erwin

A mon sens, le summum du culte des États-Unis en France chez les personnes d’un certain âge, est cette phrase, qu’il faut absolument déconstruire à chaque fois qu’on la rencontre : "Sans les Américains, on serait tous allemands".
Je précise que rien d’autre que leur déontologie et leur culture historique n’incite à l’heure actuelle les professeurs d’histoire à présenter la bataille de Stalingrad et la contre-offensive soviétique comme LE facteur déterminant de la victoire des alliés.
Ajoutons que dans le nouveau programme de 3e, l’ensemble de la Seconde Guerre mondiale (l’occupation de la France mise à part, 3 à 4 heures pour elle toute seule), donc les moments clés du conflit, les éléments idéologiques et les génocides, doit être traité en "3 à 4 heures", ce qui n’aide pas à une compréhension sereine des événements.
Curieusement, Pearl Harbor a disparu du programme, même si la guerre du Pacifique est un objet d’étude possible. Aurait-on peur que trop de professeurs se posent des questions à voix haute ?

20/04/2013 17:00 par Lulu

La classe capitaliste a toujours eu tendance à exagérer la richesse de certaines cultures au détriment d’autres. Derrière ce genre de favoritisme se cache les intérêts de ceux qui cherchent à opprimer, exploiter, et tentent de couvrir cette oppression et cette exploitation sous le voile hypocrite de la supériorité culturelle.

C’est sous cette bannière que les chrétiens du nord de l’Espagne ont détruit le système d’irrigation et les autres éléments de la culture islamique andalouse, et ont ensuite détruit les cultures florissantes des Aztèques et des Incas. C’est aussi sous cette bannière que les colonialistes français, britanniques et allemands ont systématiquement asservi les populations d’Afrique, d’Asie et du Pacifique. Non contents de réduire ces populations à l’état de bêtes de somme, ils leur ont pris leur âme en même temps que leurs terres.

Et c’est très précisément ce qui nous attend :
Le gouvernement Ayrault va-t-il vendre la France aux Etats-Unis ?

20/04/2013 19:13 par erwin

@ je sais bien...
mais pour moi c’était loin d’être clair en lisant l’article.
Désolé d’avoir crié, j’aurais du attendre d’être un peu plus réveillé. Je réfléchirai avant de me moquer la prochaine fois qu’un lecteur ne comprend pas un billet de Théophraste...

21/04/2013 04:48 par Vania

Complètement d’accord. Face à ce totalitarisme, il faut RÉSISTER. Je n’achète pas des produits étatsuniens, dans la mesure ou je peux les remplacer par un produit local ( pas de coca-cola, pas de dentifrice colgate, pas des produits kraft, pas des pantalons "jeans") .J’exige qu’on me parle en français (en France), en espagnol (en Espagne). Je refuse de répondre au franglais ou je fais semblant de ne pas comprendre, pour que la personne cherche le mot français. C’est terrible, ce qui se passe aujourd’hui, les jeunes, victimes des médias, sont des adorateurs de l’anglais, de sa musique ,de sa nourriture et de sa pseudo-culture.Quant aux informations,si on me parle du policier mort à Boston, je réponds , ah,mais au Vénézuela les fanatiques de Capriles ont tué 8 personnes..

21/04/2013 14:23 par UnLecteur

Il est exact que la France est en passe de devenir une colonie États-unienne. Le malheur est que la plupart des français ne s’en rendent pas compte, car la domination États-unienne se fait via l’Union européenne, dont les français n’ont pas compris la véritable nature.
Cette Union européenne est depuis son origine une création des États-unis comme le prouve ces archives dé-classifiés : http://www.u-p-r.fr/actualite/europe/des-federalistes-europeens-finances-par-des-chefs-de-lespionnage-americain
Ce simple fait, s’il était plus connu, devrait ouvrir les yeux des français sur le réalité de notre situation présente.

21/04/2013 21:28 par Bonjour

Rien à ajouter à cet excellent article tant pour l’observation que l’expression.

23/04/2013 12:14 par Quidam

Article très pertinent ! Ce doit être ça la décadence, comme un être vivant - c’est toute une société qui dégénère, c’est ce que l’on peut voir en Europe aujourd’hui & tout particulièrement en France si vous voyez à quoi je veux faire allusion...

Les gros bourgeois sont pathétiques avec leurs grandes baraques à l’américaine & leurs gros 4x4 maquillés en corbillards, mais les adeptes du Yankee bashing pas moins avec leurs petits smartphone de chez Apple, leurs petites Nikes & leurs fringues à la mode californienne ... ils sont même encore plus drôles je trouve !

L’Europe était il n’y pas si longtemps "une civilisation meurtrière" & prédatrice - pour paraphraser l’oncle Ho - c’est désormais une civilisation décadente & dégénérée - grandeur & décadence - le tour d’Uncle Sam viendra à son tour, sur leurs ruines peut-être sera-t-il possible de construire quelque chose de sain & de juste, pour peu qu’ils n’aient pas fini de ravager notre planète entre temps... Le Communisme reste à inventer !

23/04/2013 16:24 par brainleaks

Titre particulièrement percutant ! ! ! j’apprécie
Et aux détracteurs, au moment de cette exode massive (je parle de la 1ère et non de la constante depuis et pas que des cerveaux $£€...), vous croyez que lors de l’embarquement en direction de l’Amérique, les passagers faisaient beaucoup de distinctions ??? seul le capitaine, voué à son périple, se devait de maintenir son attraction pour le nord avec rationalité car la route la plus courte est bien souvent la plus dangeureuse au pays du Titanic . . .
Petit dicton chinois ou communiste, j’en perds mon latin :
Quand le vent se lève, n’oublie pas de garder suffisamment de pièces de monnaie sans quoi les grosses coupures (billets) s’envoleront ... !

24/04/2013 20:34 par Quidam

"(...) Un attentat engendre trois morts outre-Atlantique et aussitôt le plan Vigipirate est renforcé en France (...)"

Je ne suis pas certain que le verbe "engendrer" s’agissant de morts soit très approprié...

25/04/2013 08:12 par calamejulia

@ Quidam,
parfaitement d’accord avec "le communisme reste à inventer" !

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