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Mais où habite donc Thierry Lepaon ?

Franz LIEBER

Il y a un peu moins d’un mois, une grande journée d’action a marqué la vie de ce pays. Vous l’avez oubliée ? Vous êtes excusable : la grève interprofessionnelle et les manifestations pour la défens de la Sécurité sociale, à l’appel de la CGT, n’ont absolument pas désorganisé la production, et la mobilisation a été tellement modeste que la centrale syndicale elle-même est restée très discrète sur les chiffres...

Étranges défaites

Si Thierry Lepaon est actuellement dans le collimateur des médias, c’est pour le péché véniel des frais de rénovation de son appartement parisien et nullement pour la passivité de la confédération qu’il dirige. Aucune grande grève sous Hollande, malgré une série de cadeaux indécents au Medef, et une soumission servile aux diktats de Bruxelles et Berlin qui imposent l’austérité à vie sur le continent.

Une fois de plus, on ne gêne pas le PS au pouvoir. Mais le mal est plus profond : la CGT a certes lutté davantage sous la droite officielle, mais elle a toujours perdu... et toutes ses défaites étaient programmées. En quoi une journée de grève et de manifestations gêne-t-elle le capital ? Directement, en rien. Ce qui inquiète le grand patronat, c’est le danger d’une grève illimitée, c’est-à-dire la seule action qui touche son unique organe sensible : le portefeuille. L’action ponctuelle n’a donc de poids que si elle est assortie d’un avertissement clair : « Aujourd’hui, nous sommes dans la rue. Si vous ne nous entendez pas, la prochaine grève sera beaucoup plus dure. »

Les dirigeants des confédérations syndicales le savent parfaitement, et ceux de CGT mieux que tous. La dernière grande lutte progressiste victorieuse en France a été celle du Contrat Première Embauche. Et si Villepin a dû reculer, c’est bien parce que les lycéens qui la menaient n’obéissaient pas aux consignes des responsables syndicaux : ils sont entrés en grève illimitée, et n’ont cessé le mouvement qu’avec la victoire. La dernière grande lutte syndicale victorieuse en France fut celle de 1995, dirigée par la CGT des transports ferroviaires (SNCF et RATP) : là encore, grève générale interprofessionnelle jusqu’au retrait du plan Juppé de casse de la Sécu. Rien à voir avec la pitoyable journée du 16 octobre !

Depuis, nous assistons au même spectacle affligeant : la CGT, seule ou avec d’autres, programme une « journée d’action » de temps en temps. Quand la colère du monde du travail est à son comble, la cadence s’accélère : plusieurs journées en 2003 et 2010 pour les retraites, par exemple. Mais plus jamais de mot d’ordre de grève interprofessionnelle illimitée. Pourquoi ?

Déraillement historique

En décembre 1995, juste après la victoire contre le plan Juppé, la direction confédérale de la CGT demandait l’adhésion de la centrale à la Confédération européenne des syndicats (CES). La CFDT fut la première centrale française à en faire partie (c’est tout dire !) suivie de FO. Mais on n’entre pas à la CES sans montrer patte blanche : pour être acceptée, la CGT dut « toiletter » ses statuts. L’objectif de l’abolition du salariat et de l’exploitation capitaliste (un des fondamentaux du marxisme) en disparut purement et simplement ! En 1999, la CGT put quitter la Fédération syndicale mondiale et rejoindre la CFDT (qui venait de se signaler en trahissant grossièrement le prolétariat lors de la grande lutte de 1995) au sein de la CES. Elle devenait enfin une de ces « forces de proposition » qu’apprécient tant le Medef et ses « éditorialistes »...

Que fait donc la CES ? Au printemps 2003, alors que plusieurs pays d’Europe étaient en ébullition suite à une série de plans de casse des retraites (l’Autriche elle-même connut une grève générale : du jamais vu dans ce pays !), la CES tenait congrès et accueillait triomphalement un certain Valéry Giscard d’Estaing, qui lui présentait son projet de Traité Constitutionnel Européen (celui-là même qui serait piteusement blackboulé par le peuple français lors du référendum de 2005) ! Son rôle n’est pas de fédérer les luttes en Europe, bien au contraire : elle fonctionne grâce aux subventions de l’Union Européenne !

Une ou deux fois par an, la CES organise une manifestation de permanents (jamais de grève !), la plupart du temps à Bruxelles, pour demander une « Europe plus sociale ». À la fin de cette manifestation, un dirigeant prend la parole pour dire en substance : « si nous ne sommes pas entendus, nous recommencerons. » Et devinez quoi ? La manifestation n’a aucun impact, et une autre « journée d’action européenne » du même tonneau est décidée six mois ou un an après. Pendant ce temps, le grand patronat européen tremble !

Réorienter l’Europe ? Changer la CES ?

La CGT, de par la volonté de ses dirigeants, s’est donc coulée dans le moule de la CES : jamais elle ne dénonce l’intégration européenne. Elle se contente de réclamer une « Europe sociale » dont la simple lecture du traité de Maastricht montre qu’elle est une vaste blague. Jamais plus elle n’organise de grève générale illimitée : seulement des « journées d’action » au soir desquelles le patronat sait qu’elle ramènera sagement ses militants au bercail.

Voilà pourquoi toutes les luttes nationales progressistes, à l’exception du mouvement des jeunes contre le CPE, ont été perdantes depuis près de vingt ans : le plus puissant syndicat de la classe ouvrière est piloté en sous-main par des eurocrates. Quand la CGT a demandé à entrer dans la CES, ses dirigeants ont vendu le processus à la base en expliquant qu’ils allaient changer la CES de l’intérieur. On voit ce qu’il en est en réalité...

Franz Lieber

 http://www.resistance-politique.fr/article-mais-ou-habite-donc-thierry-lepaon-125013964.html
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COMMENTAIRES  

20/11/2014 22:31 par Dwaabala

Le raisonnement est faux.
Parce que si les travailleurs l’avaient voulu ils auraient saisi les perches qui leur sont tendues pour élargir ces journées d’action en mouvements plus larges.
Ou ils s’y lanceraient sans attendre après Thierry Le Paon, et sauraient alors discerner dans l’action quels dirigeants ils doivent écouter.
On est donc loin du compte.

21/11/2014 07:55 par jean-marie Défossé

Non , ce n’est pas complètement faux !
Bien des dirigeants syndicaux , voire tous , ont comme mot d’ordre (en catimini et par qui ?) de faire converger les luttes vers un renforcement de l’européanisation... mais pas au-delà des frontières de l’Europe !
Toute action revendicatrice en Europe , qui irait à l’encontre de cette européanisation et qui tenterait volontairement ou involontairement et donc par effet de contamination et de propagation probables , de s’acheminer vers le mondialisme avec la véritable application du mot démocratie et donc vers l’association ou la coopération des desiderata des travailleurs et plus globalement des peuples à l’échelle internationale ... est ultra-verrouillée d’avance par l’ensemble des dirigeants syndicaux , eux-mêmes vassalisés aux oligarchies !
Je n’ai jamais vu un dirigeant syndical demander de manière générale , autre chose que des augmentations de salaires (souvent très justifiées au regard des hausses successives du coût de la vie en Europe) ; hausses de salaires qui nous éloignent progressivement de la réalité du monde du travail et de la convergence des luttes sur le plan International .
Si ces mêmes dirigeants syndicaux étaient honnêtes et sincères (et on pourrait aussi les associer avec les pseudo-dirigeants de partis de gôôôche (PS , PC , écologistes etc...) , ce n’est pas des hausses de salaires qu’ils devraient revendiquer en tout premiers lieux , mais bien des baisses significatives des charges diverses et quotidiennes qui pèsent lourdement sur la vie des simples quidams ; charges auxquelles sont confrontés tous les ménages les plus modestes.
Ces dirigeants de tous bords savent pertinemment que 6 mois après l’acceptation (éventuelle) de la hausse de ces salaires , CETTE MEME HAUSSE EST RENDUE CADUQUE par suite des différentes augmentations du coût de la vie !
Les "tripatouilleurs" et "magouilleurs" habituels des valeurs républicaines de ce pays (tel un Valéry Giscard D’Estaing entre autres) ont tout intérêt à s’attirer les bonnes grâces des dirigeants syndicaux (français comme européens) et de partis de gôôôche , en les soudoyant de belles promesses (ou plus) et en les assurant d’un siège bien confortable et de "passer" une bonne république le restant de leurs jours.
Ces sempiternels marionnettistes oublient juste de préciser à leur cohorte de vassaux , qu’ainsi ils se déchargent de la lourde responsabilité d’avoir trompé les peuples et que ce sont ces mêmes vassaux qui seront en toute première ligne lorsque l’heure de payer les factures arrivera !
D’une détestable et dommageable mondialisation des multinationales , nous devons TOUS et cette fois-ci aux profits des peuples , nous acheminer vers un MONDIALISME ; mais surtout pas être poussés ou dirigés contre notre gré et en marche arrière , vers des valeurs devenues archaïques et obsolètes du nom d’EUROPEANISATION . Laquelle serait en définitif pour les peuples ... ce que dans d’autres temps les chaînes de l’esclavage étaient pour les africains !

21/11/2014 10:32 par Greg

de toute façon, la CGT telle qu’elle a été conçue au congrès d’Amiens est dans une fin de cycle historique, une fin déclenchée par Louis Viannet depuis 1992, puis accélérée par Bernard Thibaut en 1997... puis à nouveau en 2003... mais c’est Thierry Lepaon (tout aussi pourri mais aussi le moins intelligent) qui en sera le bouc émissaire avec l’aide de ses camarades/ennemis internes, le gang des "ERIC" ...Eric Aubin et Eric Laffont... et un homme de main et de l’ombre très dangereux, Philippe Detrez.

Mais la CGT n’est pas la seule organisation syndicale en fin de cycle et menacée, elles le sont toutes car on ne peut pas mélanger l’eau et le feu... et à quoi servirait-elle dans un pays désintégré par les réformes et la régionalisation européenne qui va créer de fait des disparités parmi un peuple éclaté, divisé et mis en concurrence.

Et qui dans ce pays veut vraiment un changement radical de société ? Même pas les plus pauvres... même pas les plus menacés... alors les autres !

22/11/2014 13:31 par Tisba

CGT - Nous ne sommes pas dupes

Mardi 28 octobre en début d’après-midi, de premières indiscrétions sont lâchées : à paraître dans le Canard
Enchaîné le lendemain, un scoop sur Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT.
Mardi, en fin d’après-midi, premiers articles très bien documentés sur les sites Internet de journaux en ligne : Le
Figaro, L’Express et d’autres.
Et le soir, premiers débats sur les chaînes de télé.
Le Canard Enchaîné ne paraît que le mercredi matin.
Dès le matin du mercredi, c’est la déferlante : France Info en boucle toutes les 15 minutes, interviewes d’experts
ès syndicalisme, article dans Le Figaro, dans Les Echos, une nuée de journalistes devant le siège de la CGT à
Montreuil, d’autres assiègeant la Bourse du travail à Paris.., et dès le milieu de matinée, une intervention des plus
hauts sommets de l’Etat.
Ce n’est plus un fait divers, c’est une campagne.
Une nouvelle affaire dans le marigot nauséabond des révélations qui se succèdent, semaine après semaine,
Bigmalyon, livre de Trierweiler, soixante députés qui ne paient pas l’impôt... Et maintenant la CGT, un des
principaux syndicats ouvriers embarqué lui aussi dans le bateau du « tous pourris ». Voilà l’objectif. Avec
des procédés très en vigueur dans ce genre d’opérations : lettre anonyme à tous les secrétaires de fédérations,
indiscrétions, devis privés datant d’avril 2013 rendus publics...
Nous ne sommes pas dupes. Au-delà de « l’affaire du secrétaire général de la CGT », c’est la CGT qui est visée, et,
bien au-delà, tous les syndicats sont dans la ligne de mire.
Déjà, ici et là fusent de « nouvelles informations » : des militants écœurés qui rendraient leur carte, le CCN des 4 et
5 novembre qui devrait se transformer en foire d’empoigne parce que des responsables vont demander des comptes,
des militants qui s’interrogent sur leur participation aux prochaines élections professionnelles, des demandes de
destitution, etc. etc.
Viser un homme pour tenter de déstabiliser une organisation : le procédé n’est pas nouveau.
On se souvient qu’en son temps, le regretté et bon vivant Marc Blondel, secrétaire général de la CGT-FO, était
régulièrement fustigé pour ses cigares. Et d’aboutir ensuite à cette honteuse et monstrueuse « caricature » de Plantu en première page du Monde, où il apparaissait avec un brassard à croix gammée de nazi, parce qu’il avait osé refuser d’appeler à voter J. Chirac candidat des capitalistes contre J-M Le Pen autre candidat des capitalistes, pour préserver l’indépendance de son organisation.
Qui a déclenché cette opération contre un syndicat ouvrier au moment où, par déliquescence de nombre de partis
politiques, les travailleurs cherchent tout particulièrement à utiliser les organisations syndicales comme appui aux
luttes qu’ils mènent quotidiennement pour se défendre ? Comment a-t-elle été montée ?
L’avenir nous le dira peut-être.
Pour l’heure, on serait bien avisé de s’en tenir aux fondamentaux.
Que dans la CGT, des militants, des responsables s’interrogent, critiquent, n’acceptent pas la politique menée
par leur direction – ce que l’on peut comprendre dans le cas d’un débat interne et démocratique – et par exemple,
dernièrement, cette soudaine rencontre avec la CFDT qui, depuis 1995 a soutenu toutes les contre-réformes et
encore hier le pacte de responsabilité, est une chose.
Que les sommets du gouvernement, des médias bien intentionnés, tous partisans de la rigueur, du pacte de
responsabilité, de l’Union européenne ; que tous ces défenseurs zélés du patronat qui, jour après jour, défendent
ou appliquent les pires mesures de licenciements, de coupes claires dans les budgets sociaux, détruisent la vie
de millions d’hommes et de femmes, qui distribuent généreusement des milliards aux patrons pour grossir leurs
dividendes, osent dire qu’« en période de crise, tout le monde doit être exemplaire », voilà qui est une toute autre
chose. On notera d’ailleurs qu’aucun de ces tartuffes prônant l’exemplarité ne s’est ému d’apprendre qu’un « grand
capitaine d’industrie » utilisait comme moyen de transport habituel un jet privé à 30 000 € de l’heure ! Pas plus
qu’ils ne sont gênés par ces millions d’euros versés mensuellement à ces grands patrons.
Chacun saura faire le tri.
Pour notre part, nous ne sommes pas dupes.
_Un militant CGT

22/11/2014 16:06 par Dwaabala

@ Tisba
Une juste au mise au point.

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