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Mali : gauche proguerre et recolonisation (Réponse à Samir Amin)

La gauche anti-guerre dans le camp de la guerre ?

Alors que le monde capitaliste s’enfonce dans une crise systémique sans précédent et que le monde arabe est traversé par des tentatives de déstabilisation qui sont dues aux décennies de pillage et de dictature mais qui ne sont pas toutes, loin de là , le résultat de facteurs locaux, que l’Afrique vit à l’heure du pillage et de conflits non réglés, du Congo à la Cote d’Ivoire, du Sud-Soudan à la Libye, la France s’est engagée de nouveau dans un conflit armé dans une de ses anciennes colonies, le Mali. La "gauche antiguerre" est globalement passée entretemps de la condamnation du bout des lèvres des bombardements en Yougoslavie et en Afghanistan au soutien déclaré à l’ingérence en Libye, en Syrie et au Mali. On doit essayer de comprendre pourquoi ? Et pourquoi il peut être difficile de naviguer entre les réseaux occidentaux de la gauche ex-antiguerre à la gauche anti-impérialiste des pays du Sud ?

L’inaction coupable, voire l’aquiescement aux thèses dominantes, de beaucoup de « progressistes » occidentaux sur les questions de la guerre et de la paix au cours des derniers événements de Libye, de Syrie ou du Mali tranchent radicalement avec le « guerre à la guerre » de Henri Barbusse, slogan qui fut fondateur, en France, de la gauche anti-impérialiste, anticolonialiste et anticapitaliste. Et dans ce contexte, on peut ressentir la position prise par Samir Amin en particulier sur les événements du Mali (1), comme une rupture avec les principes qui fondent l’internationalisme : souveraineté, indépendance, non ingérence mais également une rupture avec, par exemple, la gauche latino-américaine et plus largement celle des pays du Sud.

Comment peut-on présenter Hollande et le gouvernement « socialiste » comme étant désintéressé et quasimment représentant l’honneur d’une Europe incapable de position commune face aux crises arabe et africaine et face au grand méchant loup US - Américain, avec également un flou sur la question de l’attitude à avoir à l’égard de la Chine et de la Russie ? Alors que nous avons affaire en France à un gouvernement qui incarne l’ingérence, l’interventionnisme, dans le droit fil de ce que furent historiquement en France les « socialistes » : un instrument du colonialisme et d’une répression féroce contre le mouvement de libération nationale (voir en particulier : Mitterand et l’Algérie). Un passif qui n’a jamais été analysé, dénoncé, et donc dépassé par les intéressés.

Nous attendons du Président du Forum des alternatives (Samir Amin) qu’il présente une alternative à la prolongation des errements de la gauche socialiste depuis la période coloniale qui s’est en fait poursuivie tout au long des gouvernements de gauche depuis 1981. L’interventionisme militaire des États riches, qui plus est ex-pays colonisateurs, a tout pour lui, sauf de constituer une référence morale et philantropique de la part de ceux-là même qui ont mis en place et entretenu après les indépendances des régimes fantoches comme celui existant encore aujourd’hui au Mali ! Après le renversement par la force et la manipulation des services néocoloniaux du gouvernement progressiste du grand patriote malien Modibo Keita (2).

Comportement grotesque donc que ne peuvent accepter les authentiques soutiens aux pays du Tiers-monde qui réclament toujours sans succès depuis les années 1960 un véritable nouvel ordre économique mondial égalitaire, et donc un nouvel ordre politique qui soit, lui aussi, égalitaire, à l’opposé donc du « nouvel-ancien ordre mondial » prôné désormais par les centres impérialistes, dans la foulée des politiques réactionnaires menées tambour battant au cours des derniers trente ans.

Comment peut-on imaginer dès lors que ce soit la France, avec son passé, qui pourrait assurer les négociations au Mali ? Au nom de quoi, de qui, pourrait-elle le faire de façon équilibrée ? Au fond, n’est-ce pas là nous renvoyer encore une fois à la fameuse « responsability to protect » concoctée par les droidelomistes d’outre-Atlantique en justifiant, ou en légitimant ici, l’ingérence militaire française au Mali, à partir du même concept à la mode du « droit à protéger ». Ce qui sera vécu, lorsque la poussière des chars sera retombée, par les peuples intéressés comme une arrogance, un mépris vis à vis des peuples d’Afrique qui doivent adorer voir dans les rues de Tombouctou les drapeaux français qu’on a distribué aux enfants, et où il ne manque en fait plus qu’on nous dise "merci bwana !"

Ces reportages de propagande sont de véritables insultes pour ceux qu’on présente comme « les bons nègres » qui applaudissent les piou piou français, comme voici plus d’un siècle, ceux qui « amenaient la civilisation aux peuplades déshéritées et incultes ». Au fond, après avoir raillé le discours de Dakar de Sarkozy et sa façon de présenter l’Afrique, et en particulier celle « sur l’incapacité de l’homme africain à entrer dans l’histoire » (3), c’est exactement en fait le même discours dont nous abreuvent les médias.

Enfin, un économiste « de gauche », si ce terme veut encore dire quoique ce soit, et « antiguerre », au moment où la France et l’Europe s’enfoncent dans la crise, le chômage de masse et la misère doit prendre position également sur le coût de cette guerre, les estimations variant entre 30 millions d’euros à ce jour (selon le ministre français de la guerre) jusqu’à un million d’euros par jour ! (4). Et de demander : et si ces sommes considérables étaient affectées au développement et à la coopération réelle du Mali avec la France, que resterait-il aux fameux « islamistes », ou aux séparatistes touaregs, ou à leurs alliés du Qatar et d’ailleurs, comme espace politique pour intervenir ?

Comment analyser la crise du Mali

Il est clair que les événements du Mali ne peuvent être séparés des effets à long terme de la colonisation et des politiques néocoloniales menées depuis le renversement du premier gouvernement malien réellement indépendant et voué au développement national, celui du président Modibo Keita, mis à mort en prison alors que les auteurs du coup d’état avaient été portés au pouvoir sous l’influence des pouvoirs français de l’époque. Coup d’état qui engagea jusqu’à aujourd’hui le Mali sur la voie de la soumission à l’influence néocoloniale et freina toute politique de développement autocentré.

Il est également clair que les événements actuels au Mali sont la conséquence directe de la destruction de l’Etat libyen due à l’ingérence des puissances de l’OTAN et des monarchies absolutistes de la péninsule arabique. Les armes et groupes armés rassemblés dans le nord du Mali à partir de la Libye ont été acheminés après la chute de l’Etat libyen vers le Mali, sans que les satellites spatiaux des Etats-Unis ne sonnent l’alarme.

Il est clair aussi que l’affaiblissement depuis plusieurs décennies de l’Etat malien et de son armée, comme celui d’autres Etats voisins, a été toléré, voire encouragé, par des puissances extérieures, et que les militaires maliens qui ont été formés par des militaires US sont en grande partie passés avec armes et bagages dans le camp rebelle lors de l’arrivée des groupes armés de différentes obédiences dans le Nord du Mali.

Il est clair également que le Mali, comme ses voisins, recelle des ressources stratégiques (uranium, pétrole, gaz, or) convoitées à l’heure où émergent sur la scène internationale des puissances concurrençant les Etats-Unis et leurs protégés, et qui sont à la recherche de sources d’énergie et de richesses pour assurer leur développement.

Il est clair aussi que le seul Etat constitué et indépendant dans la région est désormais l’Algérie, le plus grand pays d’Afrique depuis le démantèlement du Soudan unifié accompli sous influence des USA et d’Israël.

Il est clair également que le conflit au Mali est caractérisé d’une part par des contradictions traversant les puissances occidentales et les grandes compagnies transnationales dans une zone qui constitue le pré-carré traditionnel de la France coloniale et post-coloniale.

Et c’est dans ce contexte que l’on doit analyser l’engagement français qui a rencontré un appui distant de la part de ses alliés officiels et des puissances émergentes. Dans un pays qui ne possède pas de véritable gouvernement légitime puisque le gouvernement malien actuel est le résultat d’un rapport de force provoqué par un coup d’état et contre-coup d’état, et que l’intervention française jouit de l’appui d’une CEDEAO, organisation a priori strictement économique, dont les dirigeants sont souvent contestés quant à leur souveraineté, en particulier celui de la Cote d’Ivoire dont le gouvernement a été mis en place à la suite d’une intervention extérieure, une première dans les anales internationales, chargée de décider qui était censé avoir gagné les élections dans ce pays. Rappelons à ce sujet que, en plus du caractère ignoble, agressif et criminel du gouvernement français de l’époque dans ce conflit toujours non réglé, le Parti socialiste français a alors manifestement accompagné ce mouvement en trahissant ses « camarades » du Front populaire ivoirien, parti membre de l’Internationale socialiste. Indépendamment par ailleurs des opinions que les Ivoiriens peuvent porter sur le gouvernement Gbagbo et qui sont les seuls en droit de porter un jugement sur ce sujet.

Il est clair par ailleurs que l’on a trouvé dans les cartons des stratèges de l’AFRICOM le vieux plan séparatiste français datant de la fin de la période coloniale du « grand Sahel », prévoyant de casser les Etats existant au profit d’une vaste entité désertique peu peuplée et facilement contrôlable. L’AFRICOM, c’est le commandement de l’armée US pour l’Afrique, qui cherche toujours, sans succès, un pays africain acceptant d’héberger son siège qui se trouve pour le moment « exilé » à Stuttgart, en Allemagne. Plan qui est donc repris comme hypothèse de travail par la puissance qui semble concurrencer sur ce terrain une France qui soutient désormais l’existence formelle des Etats aujourd’hui constitués (5).

« Communauté de destin » atlantique et/ou contradictions inter-impérialistes ?

Puisque le Qatar est visiblement derrière toutes les tentatives de renversements violents dans les pays arabes et musulmans, en particulier au Mali, et que le Qatar constitue lui même, pour la majorité de son territoire, une base de l’armée US, comment concevoir les contradictions qui semblent émerger au Mali entre la position française et celle du Qatar ...et de son protecteur ?

Il semble donc dans ce contexte qu’il y a aujourd’hui d’une part complémentarité entre l’action de la France au Mali et l’objectif stratégique des USA de contrôler l’Afrique et de bloquer le développement des contacts entre les pays africains et les puissances émergentes du BRICS, en particulier la Chine, et d’empêcher aussi le maintien d’Etats forts et indépendants, tant politiquement que économiquement, dans cet axe qui commence sur les rives de l’océan Atlantique et se prolonge jusqu’au Xinjiang, axe qui permet de couper l’Afrique et l’Eurasie en deux parties.

Mais il existe aussi une contradiction inter-impérialiste entre le vieux colonialisme français et ses prolongements fatigués de ladite « Françafrique », et les puissances anglo-saxonnes, ce qui apparaît en particulier avec la concurrence entre le groupe Total et les groupes British Petroleum et Exxon Mobile. Et on peut supposer qu’il en va de même pour l’uranium et l’or.

Or, en Algérie, l’attaque venue de Libye qui a visé récemment le site gazier d’In Amenas visait un site de British Petroleum où, à la demande même de BP, il n’y avait pas de présence militaire algérienne, la sécurité étant déléguée en principe à des sociétés de sécurité privées choisies par la compagnie, ...et que l’on n’a pas vu agir lors de l’attaque terroriste. On aurait ainsi voulu faciliter l’attaque de ce site situé à proximité immédiate de la frontière libyenne qu’on ne s’y serait pas pris autrement, ce qui permet d’émettre l’hypothèse d’une provocation extérieure. La réaction rapide et surprenante des pouvoirs algériens a empêché une longue crise des otages qui aurait permis toutes les « médiations » et toutes les ingérences dans les affaires intérieures de l’Algérie. Pays dont la population a refusé de céder aux syrènes dudit « printemps arabe » et des partis algériens, tant « laïcs » que « régionalistes » ou « islamistes » qui sont reçus régulièrement par l’ambassadeur des USA et ses collègues des autres puissances occidentales ou qui entretiennent des télévisions satellitaires « islamiques » d’opposition basées à Londres et au Qatar. Ce qui peut expliquer la colère manifestée au départ par le premier ministre britannique envers Alger. L’Algérie, sans doute plus encore que le Mali, semble constituer une cible de choix pour les pouvoirs impérialistes de l’OTAN. Elle semble même constituer leur prochaine cible privilégiée. Tout ayant été fait pour que le long de toutes ses vastes frontières, du Maroc au Mali en passant par le Sahara occidental, et du Mali à la Libye, voire à la Tunisie, ce soient des pouvoirs ou des forces hostiles à ce pays non aligné et symbole d’une lutte ardue et réussie pour l’indépendance qui s’installent.

Dans ce contexte, on peut penser qu’il y a dans la crise du Mali deux niveaux de contradictions : tout d’abord une contradiction inter-impérialiste entre la France et les puissances anglo-saxonnes, entre les firmes transnationales basées en France et celles associées aux puissances anglo-saxonnes. Il y a ensuite simultanément une volonté de la France de renforcer sa position au sein même de l’alliance atlantique, en montrant le rôle incontournable qu’elle pourrait jouer dans le refoulement de toutes les tentatives de développement de relations plus étroites et plus avantageuses entre les pays africains et les puissances émergentes du BRICS, en particulier la Chine et l’ensemble des pays non alignés attachés au développement de relations économiques équitables « Sud-Sud ». A moins que l’on adopte le point de vue optimiste selon lequel, la France voudrait renouer avec sa tradition gaulliste, et soutenue en principe par le Parti communiste français à l’époque, d’une politique « arabe » et mondiale « équidistante » tout en rompant en plus avec la tradition de la « Françafrique », et qu’il s’agirait aussi d’imposer cela en Afrique. Mais pour le moment, rien ne le laisse supposer puisque même les hésitations manifestées par le candidat Hollande envers l’OTAN ont fait long feu dès son arrivée à l’Elysée, ce que les activités de la France en Syrie et les multiples consultations poursuivies entre Paris, Doha et Tel Aviv semblent démontrer.

Il est impossible, dès lors que l’on reste attaché à la Charte des Nations Unies et donc à la souveraineté nationale et à la non ingérence dans les affaires intérieures des Etats, d’appuyer une quelconque politique de puissance, de morcellement ou de domination en Afrique, d’où qu’elle vienne. On ne peut que soutenir le droit à l’autodétermination, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale des pays arabes et africains. Et donc tout ce qui tendra vers la restauration de l’indépendance totale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale du Mali et le maintien de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de l’Algérie et de tous les pays de la zone sahélienne. Raisons pour laquelle il faut au moins rester très prudent, voire circonspect, à propos des récents événements au Mali et dans les pays voisins. Pays qui sont tous menacés par des groupes terroristes implantés depuis longtemps, et d’abord connus pour leurs liens avec la criminalité et les services secrets occultes avant même de faire allégeance, pour la plupart, à un prétendu « islamisme » concocté sous l’influence de monarchies d’un autre âge et dont les activités ont été soutenues et le sont toujours par des puissances extérieures, en Libye, en Syrie ou ailleurs.

Nous ne pouvons donc, si c’est le progrès social et le progrès des peuples qui nous tient à coeur, que militer pour que la France fasse, avant toute prise de position, preuve de cohérence sur les principes mis de l’avant par son gouvernement, pour des raisons de pure forme sans doute, en dénonçant ces groupements transnationaux et leurs appuis dans la péninsule arabique, où qu’ils soient, et donc en particulier en Syrie, ce qui permettrait de créer les conditions permettant au Mali de jouir le plus rapidement possible de sa pleine indépendance et d’élaborer un calendrier de reconstruction rapide d’une armée nationale digne de ce nom, d’évacuation du pays par les forces étrangères en même temps qu’auront été créées les conditions pour des négociations de paix entre toutes les forces politiques maliennes, sans ingérences extérieures. Ce qui entre évidemment en contradiction avec les intérêts économiques à court terme des classes dirigeantes en France. Ce qui implique aussi que la France cesse toutes les activités en Libye qui prolongent les résultats de l’intervention désastreuse à laquelle le précédent gouvernement français avait procédé et qu’elle cesse toute politique d’ingérence dans les affaires intérieures syriennes et coupe tout lien avec une opposition extérieure et armée dont la présence doit bien plus à des facteurs extérieurs qu’à un souhait jamais prouvé de la population syrienne. Qu’on le veuille ou non, il existe un lien direct entre les événements de Libye, de Syrie, du Mali et d’Algérie. Et la politique du gouvernement français ne pourra être appuyée que lorsqu’il aura fait preuve de cohérence. La fin de l’appui des monarchies absolutistes du Golfe, relais régional habituel de l’impérialisme US, aux groupes rebelles armés en Syrie, en Libye et au Mali devrait entraîner ipso facto,la fin des conflits dans ces pays et rendre donc inutile la présence de l’armée française au Mali. Si c’est là vraiment l’objectif recherché par Paris.

Dans ce contexte, nous ne pouvons que nous étonner que certaines voix comme Samir Amin, connues pour leur engagement anti-impérialiste prennent partie dans ce conflit, qui plus est en soutenant l’action de la France elle même appuyée par l’OTAN, alors même que, comme l’a rappelé l’ambassadeur russe à l’ONU, la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ne donne pas à la France le droit de tout faire au Mali.

« L’islam politique » comme élément légitimateur de l’ingérence

C’est dans ce contexte global là qu’il faut mesurer et analyser les questions qui troublent nombre de militants du progrès social, en particulier la question dudit « islam politique ». Il faut tout d’abord rappeler que cette notion est typiquement d’origine occidentale puisque le fondateur de l’islam fut d’abord le chef d’un parti politique revendiqué comme tel ayant pour nom « Hezbollah », et qu’il fut le chef d’un Etat établi à Médine qui élabora la première constitution au monde, constitution garantissant les règles de cohabitation de tribus et de religions différentes au sein d’un Etat commun. L’islam est donc par principe non seulement une croyance dans l’au delà , non seulement une éthique sociale et juridique, mais c’est aussi un projet politique depuis ses origines (économie non usuraire, égalité sociale devant la loi, tolérance religieuse, etc.) même si ce projet, comme d’autres, peut être lu et décliné sur un mode réactionnaire ou progressiste. Il est donc clair que, au même titre, qu’un Chavez, voire une Angela Merkel, peut se revendiquer d’un « christianisme politique » et social, et aussi d’une analyse sociale marxiste en parallèle dans le cas vénézuélien, on ne peut a priori refuser à des musulmans le droit de proposer librement à leurs peuples une projet politique en accord avec leurs convictions profondes. A moins d’accepter, au nom du vieux laïcisme hypocrite social-démocrate dénoncé en son temps par Lénine, puis par Maurice Thorez, un deux poids deux mesures rappelant l’ethnocentrisme colonial. La question dudit « islamisme », en fait du takfirisme, de l’exclusivisme extrémiste, est ailleurs. Elle constituerait une stricte question intérieure pour les peuples concernés dont aucun Etat extérieur n’aurait le droit de se mêler, y compris s’il prenait la forme effectivement réactionnaire qu’il a le plus souvent pris de nos jours, si ces courants n’étaient pas souvent instrumentalisés par des grandes puissances impérialistes et leurs féaux des monarchies absolutistes absolument soumises aux règles politiques et économiques du capitalisme prédateur mondialisé.

On ne peut pas non plus confondre les groupes de trafiquants transnationaux de drogue, d’armes et de migrants qui ont pris le label « islamiste » comme paravent pour leurs activités lucratives et leurs luttes pour le contrôle du territoire, ce que l’on connait depuis au moins une vingtaine d’années dans les pays du Sahel, et ce que les grandes puissances impérialistes et leurs Etats vassaux ont laissé faire, voire favorisé, avec les activités d’autres « islamistes », aussi réactionnaires soient ils. Il est nécessaire de rappeler ici que, à l’époque du gouvernement des talibans en Afghanistan, la culture de l’opium avait été presque totalement éradiquée au nom des valeurs traditionnelles de l’islam et que, si l’Afghanistan est redevenu aujourd’hui le principal producteur de drogue, cela fait suite, à l’image de ce qui s’était fait auparavant sous l’égide de la CIA en Amérique latine, à l’occupation du pays par l’OTAN qui a renversé un gouvernement « islamiste » national, réactionnaire et indépendant pour le remplacer par un gouvernement « islamiste » soumis, s’appuyant sur tous les trafics possibles et non moins sinon plus réactionnaire encore dans les faits, que ce soit vis à vis des couches sociales et des régions marginalisées que vis à vis des femmes, hors de la scène médiatique centrale constituée par la capitale à usage des journalistes occidentaux.

Il est donc clair qu’il existe un lien entre les puissances impérialistes déclinantes d’Occident, les monarchies absolutistes créées de toute pièce par les colonialistes à l’époque de leur puissance et les réseaux de trafiquants « islamistes » utilisés par ces mêmes cercles qui aiment jouer aux pompiers pyromanes. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas des contradictions entre tous ces cercles. Il ne faut toutefois pas confondre les contradictions qui peuvent être à un moment donné non antagoniques au sein de la bourgeoisie impérialiste et compradore, et les contradictions antagoniques, ou qui peuvent le devenir éventuellement. On peut certes estimer que la France défend ses propres intérêts capitalistes au Sahel et que cela passe par des attitudes plus modérées envers les populations locales et envers des Etats indépendants comme l’Algérie, mais on ne peut nier que son intervention ouvre logiquement la voie à d’autres interventions, et que rien ne dit que l’intervention dont le ministre français de la « défense » actuel souhaite qu’elle se prolonge jusqu’à la victoire « totale » ne profite qu’à TOTAL en finale, et qu’elle n’entraine pas une guerre sans fin, achevant de désintégrer les Etats existant et ouvrant, comme cela est le cas en Libye actuellement, la voie à un désordre généralisé permettant aux compagnies transnationales les plus puissantes de « sécuriser » les mines et gisements qu’elles auront réussi à s’accaparer, laissant le reste du territoire aux mains de seigneurs de la guerre, à l’image de ce qui s’était passé pendant la période coloniale dans l’ex-empire de Chine dépecé jusqu’à la victoire de la Révolution chinoise qui restaura l’intégrité territoriale du pays à partir de 1949.

L’ennemi principal des peuples au Sahara n’est pas d’origine locale, il provient des centres même de l’impérialisme, et la France, si elle était sérieuse dans ses revendications de respect des peuples, prendrait le chemin d’un projet de coopération mutuellement avantageux avec ces peuples, d’une rupture avec l’OTAN et l’UE, et d’un rapprochement avec les puissances émergentes et les Etats réellement indépendants d’Eurasie, de Méditerranée, d’Afrique et d’Amérique latine qui constituent aujourd’hui le seul contrepoids réel face aux menées guerrières et destructrices du capitalisme prédateur mondialisé, « sécurisé » autour de l’OTAN et des plus de 700 bases militaires US répandues dans le monde et de l’archipel des prisons secrètes de la CIA qui bénéficient de la coopération effective de tous les Etats membres de l’OTAN et de toutes les dictatures ou démocraties formelles qui lui restent soumis.

Quant au Maliens, rien ne permet de dire quelles sont leurs opinions envers les événements qui ensanglantent leur pays, puisque rien n’a été fait auparavant par les protagonistes extérieurs de la crise actuelle pour permettre des négociations entre toutes les parties représentatives de ce peuple. A l’apparence que semble procurer à certains la recherche de succès politiques ou médiatiques éphémères, nous préférons pour notre part la défense de principes.

Bruno Drweski*, Jean-Pierre Page**

http://www.lapenseelibre.org/article-mali-gauche-proguerre-et-recoloni...

* Historien, Politologue, Militant du Collectif d’associations « Pas en notre nom ».

** Syndicaliste, ancien responsable du département international de la CGT, ancien membre du Comité central du Parti communiste français.

1 Voir http://www.m-pep.org/spip.php?article3184, consulté le 31 janvier 2013

2 Modibo Keïta est un homme politique malien, premier Président du Mali après son indépendance et promoteur de l’éphémère Fédération du Mali avec le Sénégal dont le gouvernement préféra en finale se rapprocher de Paris. Modibo Keïta a gouverné son pays entre 1960 et 1968 lorsqu’il fut renversé par un coup d’état qui bénéficiait visiblement de l’appui des cercles colonialistes. Il est né en 1915 à Bamako et est mort en détention au camp des commandos parachutistes de Djikoroni Para à Bamako, le 16 mai 1977, ses geôliers lui ayant apporté de la nourriture empoisonnée, à un moment où la crise de la politique néocoloniale française devenait patente. Panafricaniste et tiers-mondiste convaincu, Modibo Keïta a mené une politique de non alignement radical, établissant des rapports étroits avec les pays ayant opté pour le socialisme.

3 Pour « les deux discours de Dakar », voir http://www.lexpress.fr/actualite/politique/hollande-et-sarkozy-deux-ve..., consulté le 3 février 2013

4 Voir http://www.rfi.fr/afrique/20130123-cout-guerre-mali-operation-militair..., consulté le 2 février 2013

5 Mireille Mendez-France-Fanon, « Mali : les dessous impérialistes d’une intervention franco-américaine », http://counterpsyops.com/tag/africom, consulté le 3 février 2013 ; Mahdi Darius Nazemroaya, Julien Teil, « America’s conquest of Africa - The roles of France and Israel », http://counterpsyops.com/2011/10/08/americas-conquest-of-africa-the-ro..., consulté le 3 février 2013


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