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Pujadas et les suicidés de France Télécom

Une analyse de Philippe Arnaud

J’ai regardé, hier, au journal de France 2 de 20 h, présenté par David Pujadas, le reportage sur les obsèques, à Lannion, de l’agent de France
Télécom, qui s’est récemment donné la mort (le 25e depuis février 2008). Après un passage "poignant" (pour reprendre le propre terme de David Pujadas), le même Pujadas ajoute, sans avoir l’air d’y toucher :

"Et à noter qu’un statisticien de l’INSEE a pris le contrepied du climat ambiant en notant, hier, chiffres à l’appui, et sans minimiser la souffrance des victimes, que le taux de suicides n’était pas supérieur à la moyenne, à France Télécom. Les syndicats de l’INSEE se sont vivement élevés contre une comparaison jugée sans fondement."

- Première remarque. David Pujadas oppose "un climat ambiant" - qui est vague, non précisé, qui évoque une croyance, une atmosphère, mais qui ne repose sur aucune cause véritable (autrement dit, des "vapeurs", des "caprices") à des chiffres, qui eux, sont scientifiques, sérieux - surtout lorsqu’ils émanent d’un organisme aussi sérieux que l’INSEE [qui, on le notera - à l’exception du "c" - reproduit, en anagramme, le mot "science"...].

- Deuxième remarque. "et sans minimiser la souffrance des victimes", cela s’appelle, en rhétorique, une prétérition, c’est-à -dire une figure de style consistant à nier dire une chose... tout en la disant ! Par exemple : "Si je n’avais pas pour vous le plus profond respect, monsieur
le directeur, je dirais que vous êtes le dernier des cons". Ici, en l’occurrence : "C’est bien triste, ces suicides, mais ils ne seraient pas un peu chochottes, tous ces agents de France Télécom, à se suicider pour un oui ou pour un non ?". Exprimé in petto (mais tellement fort qu’on l’entend : "Est-ce qu’ils se suicident, les salariés du privé, eux qui bossent /vraiment/ ?").

- Troisième remarque. A quel titre ce statisticien s’est-il exprimé ? L’INSEE est un organisme officiel, dépendant du ministère de l’économie. Ses membres ne peuvent donc pas s’exprimer à titre personnel. Ce qui amène la question subsidiaire : par quel canal, auprès de quel média,
auprès de quelle agence cet agent s’est-il exprimé ? On peut supposer que celui (celle) qui a recueilli ses confidences n’a pas une sympathie particulière ni pour France Télécom ni pour le service public en général. Ce statisticien a-t-il été sanctionné ?

- Quatrième remarque. In cauda venenum. Pujadas signale que la réaction à la déclaration pirate de cet agent de l’INSEE n’est pas venue de la Direction générale de l’INSEE (qui aurait, par exemple, désavoué son collaborateur) mais des "syndicats de l’INSEE" (une manière de suggérer : "ce sont des syndicalistes, et en plus des syndicalistes d’un service public - donc des fainéants de fonctionnaires, dont la parole ne vaut donc rien).

- Cinquième remarque. Cette remarque de David Pujadas est inspirée par le même esprit que celle du 13 octobre, où il avait pris la défense de "l’opération Jean Sarkozy" en signalant que tous les enfants de Présidents de la Cinquième République avaient profité de la notoriété de leur père pour faire carrière. Donc qu’il n’y avait pas lieu de s’en prendre audit Jean Sarkozy. Ici, c’est le même esprit : "Tous les salariés, et pas seulement ceux de France Télécom, et pas seulement ceux du secteur public, connaissent des conditions de travail identiques. Pourquoi insiste-t-on si fort sur les suicides à France Télécom ? Les agents de ce service ne seraient-ils pas des privilégiés à qui on passe tous les caprices ?".

- Sixième remarque. A supposer même que le taux de suicides à France Télécom ne soit pas plus élevé que dans les autres entreprises, ni plus élevé que dans l’ensemble de la société française, la question ne consiste pas à chipoter ce taux, de façon vétilleuse, mais à se scandaliser qu’aux causes générales de suicide (dépression, maladie, soucis conjugaux ou familiaux, licenciement, etc.), il s’ajoute, de façon spécifique, des raisons professionnelles ! Est-il en effet normal que, dans une entreprise (où l’on est censé travailler et gagner sa vie, c’est-à -dire accomplir deux choses positives), on en arrive à mourir ? David Pujadas considérerait-il cela comme "normal", comme "un taux de pertes incompressible" ?

- Septième remarque. Lors de l’opération Jean Sarkozy, David Pujadas avait repris à son compte, l’opinion non pas même du gouvernement, mais carrément de la présidence ! Dans l’affaire des suicides à France Télécom, David Pujadas assume une position de droite et ultralibérale : lorsqu’il ira à un congrès de l’UMP ou du Medef, il aura non seulement droit à du rab de petits-fours, mais aussi aux restes d’amuse-gueule pour son chien...

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