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Réflexions à propos des 6èmes rencontres internationales des étudiants en psychologie à La Havane

Psychiatre, Praticien Hospitalier, Chef de Service d’un Centre de consultations psychothérapiques à Paris, j’ai été invité ainsi que ma collaboratrice, Magda Gomez, psychologue, à participer aux 6èmes rencontres internationales des étudiants en psychologie à La Havane.

J’avais eu l’occasion en juin au cours du 1er colloque International consacré à la Trans-identité organisé en partenariat avec Mariela Castro et l’équipe du Cenesex de me rendre, à l’initiative de mes collègues psychanalystes, Concepción et Bernard Doray, à la Faculté de psychologie de l’Université de La Havane.

L’accueil y avait été chaleureux et pourtant nous étions venus à l’improviste en pleine période d’examens ! Il n’empêche : nous avions pu être accueillis par le Doyen, Reynaldo Rojas Mansera et la responsable du centre de documentation, Mariela Despaigne. Cette dernière, très aimablement a scanné différents documents consultés voyant notre fort intérêt pour certains ouvrages. Cela s’est fait à son initiative, gratuitement. Concepción a filmé, interviewé les étudiants et étudiantes qui étaient très intéressés et curieux, heureux également de pouvoir échanger et parler de leurs études.

Un accueil de cette qualité est rare et je ne suis pas certain que dans un pays comme le nôtre, une telle liberté de contacts et d’interviews filmés sans autorisation préalable soit fréquente à l’université.

Les 6èmes rencontres internationales se sont déroulées du 25 au 29 octobre et ont confirmées l’impression première de grande qualité humaine et relationnelle. Les travaux ont montré variété et richesse tant dans les thèmes que dans les orientations proposés. Il est à noter également des participations internationales très nombreuses au niveau des étudiants qui sont venus essentiellement d’Amérique Latine : Mexique, Colombie, Venezuela, Chili, Argentine, Saint-Domingue mais aussi d’Espagne, de Chine. Il y avait également un intervenant exerçant à L’Hampshire College aux Etats-Unis.

Je voudrais signaler quelques points.

- Cela fut prioritairement des journées organisées par les étudiants en coordination avec les professeurs de l’Université. Si ces derniers intervenaient en séance plénière une fois ou deux par jour pour une conférence de deux heures, le reste des interventions était sous la responsabilité des étudiants. Cela est notable et important dans la dynamique même des journées. Il n’est pas retrouvé généralement cet aspect en France où dans le système très hiérarchisé que nous connaissons à l’université, les journées des étudiants sont souvent transformées en journées des professeurs. L’identification claire d’un Coordinateur pour les étudiants en la personne de Jorge Enrique Torralbas Oslé en a témoigné dans le concret. Cela explique aussi sans doute les manifestations festives qui se sont déroulées certains soirs avec des créations artistiques faites et organisées par les étudiants cubains seuls d’un niveau tout à fait remarquable.

- La grande variété des interventions est un autre point avec des grands thèmes organisateurs : psychologie éducative et du développement, études sur le genre, psychologie sociale, psychologie de la famille, du couple et de la sexualité. Citons quelques titres parmi beaucoup, en vrac : Influences des émotions maternelles dans le développement du foetus durant la vie intra-utérine, Crises d’identités professionnelles en rapport avec l’identité sexuelle, La propagande nazi, Qualité de vie dans une entreprise de production, Imaginaire social et euthanasie, Représentations sociales de la violence contre les femmes, Psychanalyse et homosexualité, La transsexualité au cinéma, Le sevrage de la consommation de tabac, Etudes des capacités émotionnelles chez des enfants scolarisés, La violence dans les relations interpersonnelles entre adolescents, Evaluation des influences de la pornographie dans un groupe d’étudiants cubains, Etude des facteurs influant sur l’intégration dans un centre gériatrique, Moments fondamentaux de la clinique psychanalytique d’orientation lacanienne, Approche de la violence intrafamiliale depuis l’orientation historico-culturelle, La chevelure dans la construction de l’identité des femmes noires, Une approche historico-critique du problème de la crise de la psychologie contemporaine… Un symposium sur la violence liée à l’identité sexuelle a également été organisé. Encore une fois tous ces ateliers étaient organisés, dirigés, sans la présence d’aucun professeur. L’oeuvre des étudiants eux-mêmes en quelque sorte ! Ce qui fait hiatus dans le discours universitaire classique dont je parlerai ci-après.

- La vivacité et le sérieux des débats entre étudiants est une caractéristique : ainsi lors de la discussion collective après projection d’un documentaire cubain décrivant la vie d’un enfant dans une famille recomposée où le père est parti et où la mère vit en couple avec une femme. La volonté de débattre est forte. L’axe théorique est toujours en question mais la finalité de la discussion est bien l’application pratique de ce qui est proposé concrètement dans la perspective personnelle et collective.

La critique est de mise dans les débats et un temps de deux heures à la fin des journées sera consacré au bilan critique des journées : qu’est-ce qui a été jugé intéressant, utile, que peut-on améliorer ?

- Le souci du collectif, du groupe sans exclure la dimension individuelle subjective permet de mettre le lien social en avant.

- Ce qui va dynamiser ce dernier point fondamental est l’approche historico-culturelle de la psychologie qui manque cruellement dans les pays occidentaux. En France les querelles sont de mise plutôt autour des égos universitaires et restreignent les développements théoriques et pratiques. La bataille entre psychanalystes et cognitivistes est bien connue et médiatisée, ce qui n’exclue pas celles entre chapelles psychanalytiques et la récente polémique autour de la critique de Michel Onfray faite à Freud à montré un milieu universitaire psychanalytique français en général bien proche de l’inquisition. Le contraste avec l’ambiance cubaine est flagrant : les différents points de vue à La Havane sont exprimés dans le contexte précis des journées scientifiques, avant tout pour avancer dans la question de l’émancipation, et la critique émise n’est pas prise systématiquement pour de l’insulte à l’ego. Il ne s’agit pas pour moi d’en faire un éloge mais de prendre les faits observés dans ce colloque et de voir ce que cela nous enseigne : la dimension historico-culturelle comme orientation de base de l’enseignement de la psychologie cubaine permet d’analyser les problématiques du point de vue de l’histoire. Les histoires singulières et collectives sont en effet de la même étoffe et la mise en avant de la culture place le phénomène du lien social avec celle du sujet humain. Cette approche fait partie du « Pensamiento cubano » mais plus spécifiquement pour la psychologie elle met en évidence le rôle fondateur de la pensée du psychologue russe Lev Vygotski (1896-1934) qui a introduit notamment le fait que le développement de l’enfant est fonction des groupes sociaux avant le facteur strictement individuel. Lev Vygotski qui avait été après sa mort censuré par Staline a été découvert à partir des années 60 ce qui explique sans doute cette place originale à Cuba. Quasiment ignorée en France en dehors du milieu éducatif progressiste, son oeuvre, qui n’est pas totalement traduite en français, a commencé à se faire connaître grâce au travail de Françoise et Lucien Sève (1), puis d’Yves Clot et Bernard Doray (2).

Pour conclure j’insisterai sur quelques remarques. Lors du Congrès Marx International VI j’ai présenté le 24 septembre 2010 dans l’atelier « Psychanalyse et matérialisme » modéré par Bernard Doray, une communication sur « Retour à la critique faite par Politzer à la psychanalyse »

Le philosophe marxiste Georges Politzer a défendu l’orientation pour une psychologie concrète et a placé un temps l’invention freudienne comme porteuse de cet espoir. Il critiquera sévèrement l’évolution de la psychanalyse en 1939 parlant des renoncements de Freud quant à son orientation première, condamnera l’abstraction dont témoignent la métapsychologie et l’inconscient de l’ Individual Psychology. Le psychanalyste Jacques Lacan fera l’éloge de l’apport de Politzer tout en soulignant une aporie : l’enfermement de ce dernier dans le discours psychologique universitaire qu’il dénonce pourtant. Lacan est d’ailleurs dans ses développements, très sévère sur le discours universitaire des psychologues psychanalystes concernant la psychanalyse. Il l’est également sur les développements individualistes d’une certaine psychanalyse, celle des Etats-Unis nommément, qui adapte le sujet sur le divan au mode de vie capitaliste.

Pourquoi évoquer Politzer ? Le souci cubain de définir l’application concrète de la psychologie pour l’émancipation humaine est un matériel très important, complètement méconnu en Europe. Ce qui est catégorisé par Lacan comme l’exigence de Politzer, et que Lacan fait sienne en 1946, celle qu’une psychologie concrète se constitue en science et qui n’en est qu’aux postulations formelles, peut trouver un certain aboutissement sous l’influence de l’expérience cubaine. La demande de certains étudiants de La Havane d’introduire de façon plus importante Lacan, la psychanalyse, ne risque pas ainsi de trouver certains écueils des sociétés capitalistes occidentales : la promotion de la réussite individuelle, terreau de l’horreur capitaliste, au détriment de la préoccupation collective. Le terreau de l’orientation historico-culturelle cubaine permet d’autres développements à ce sujet mais aussi en ce qui concerne les impasses du discours universitaire psychanalytique, spécialement en France. En effet les psychologues universitaires cubains sont liés à l’application pratique dans le concret de ce qu’ils enseignent du fait même de l’imprégnation dans la réalité historico-culturelle. Cela change par rapport aux discours français parfois d’allure brillante au niveau théorique mais qui restent majoritairement dans une aporie. Cela change par rapport aux « éloges de l’intime ou de la réalité intérieure » qui font florès dans une certaine gauche en France actuellement, sans parler de la fumeuse « libération de l’humanité chez l’homme ».

Je m’étais posé la question au sortir du 1er colloque auquel je participais sur la transsexualité en juin dernier à La Havane, pourquoi des psychanalystes français, grecs, colombiens, mexicains, partageaient avec des non psychanalystes cubains, si facilement, un langage commun sur des préoccupations cliniques alors que cela est difficile et conflictuel en France sauf à dire des banalités. La réponse est dans le fait que ces psychanalystes étaient préoccupés par la question sociale et n’ignoraient pas l’apport de Marx dans l’explication de l’histoire construite par les humains, individuellement et collectivement, et bien sûr conjointement dans le fait que l’orientation historico-culturelle cubaine porte les mêmes questions

Il resterait à introduire un débat qui m’anime depuis quelques temps : ce que peut apporter l’expérience psychanalytique dans l’émancipation du collectif consiste à croiser le fait que l’essence humaine est un rapport social (Marx) avec le fait que l’humain est aussi un transfert et que de la logique de ce transfert un psychanalyste en connaît un bout. L’humain est un rapport social ; le rapport social est aussi un transfert.

De cet échange à La Havane, pour ces journées intitulées « Pour l’espoir et le bienêtre humain », pour cette logique des rapports sociaux et de leur structuration modifiant le rapport de l’humain à sa jouissance, à la plus-value, à sa valeur, s’éclaire pour moi ce que dit Gorki de Lénine « Il croyait inébranlablement que le malheur n’est pas le fondement irrémédiable de la vie » (3)

Il reste donc à la suite de l’optimisme transmis par ces journées à La Havane d’organiser et structurer des rencontres entre étudiants cubains et étudiants français.

Hervé Hubert

(1) avec la traduction du livre fondamental « La pensée et le langage »

(2) Clot, Y. (sous la direction de), Avec Vygotski , La dispute, 1999, dans laquelle Doray B, Vygotski et Freud, l’espace d’un dialogue

(3) Gourfinkel N, Lénine, Editions Le Seuil, Paris, 1959, p 19

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