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Retour sur le phénomène de la torture pendant la guerre d’Algérie.

Dans toutes les guerres, les méthodes sont quasiment les mêmes. Le plus fort essaie, autant que faire se peut, de détruire les forces adverses par tous les moyens. Bien que la version officielle puisse mettre en exergue le volet humanitaire de son armée, les guerres s’y ressemblent.

À ce titre, la guerre d’Algérie n’échappe à cette règle. Cela dit, est-ce que tous les Français étaient les adversaires du peuple algérien ? De même que les grands dénonciateurs du système colonial furent des Français, des voix françaises – et non des moindres – se sont opposées, dès le début du conflit, à la répression aveugle. « Dès janvier 1955, l’Express et France-Observateur ont publié les textes de François Mauriac et de Claude Bourdet, qui dénoncent les tortures infligées aux militants du MTLD arrêtés après sa dissolution », écrit Sylvie Thénault, dans Histoire de la guerre d’indépendance algérienne.

Cependant, si l’opinion n’est au courant de l’utilisation de la torture que vers 1955, celle-ci demeure, tout au long de la période coloniale, l’une des pierres angulaires sur laquelle repose le système. À vrai dire, sa relation avec le colonisé est celle liant le pendu à la corde. Elle ne le lâche que lorsque la victime rend l’âme. Pour Jean-Luc Einaudi, auteur du livre 17 octobre 1961 : la bataille de Paris, « la torture existait préalablement à la guerre d’Algérie, elle était pratiquée par la police, par la gendarmerie, dans les années précédant 1954. » Ce qui amplifie sa pratique, c’est incontestablement la remise en cause du système colonial par les promoteurs de l’action armée. Que vaut alors l’argument des paras justifiant l’usage de la torture en vue d’anticiper les actions du FLN ? Faut-il rappeler que la violence du FLN était une réaction à la domination inhumaine des colons ? Pour les concepteurs de la lutte armée, la fin de ce système ne peut se concrétiser que lorsqu’ils utilisent une violence supérieure, selon la conception fanonienne.

En outre, bien que les partisans de la lutte armée aient pour objectif la mise à mort du système colonial, leur action n’est pas utilisée uniquement contre les Français. « Le FLN a été la réponse à la rigidité du système colonial qui ne réagissait et ne comprenait que le langage de la violence. Soutenu par la majorité de la population, le FLN était arrivé à écarter les courants rivaux, notamment le MNA, en recourant souvent à une violence qui était en effet disproportionné », souligne l’éminent sociologue, Lahouari ADDI. Du côté français, la pratique de la torture s’est dirigée aussi contre des Français. À la seule différence, c’est que celle-ci s’est développée à cause de la faiblesse des institutions de la IVeme République. Et quand les politiques s’en mêlent, ils ne font qu’enfoncer davantage la République déjà grabataire. En réaction aux exactions commises par les militaires en Algérie, une « commission de sauvegarde des droits et libertés individuels » est mise en place par le président du Conseil fraîchement élu, Guy Mollet. Or, pour satisfaire les ultras, les membres de la commission limitent les compétences de leur commission. « Il est seulement prévu qu’elle sera consultée chaque fois qu’un fait pouvant constituer un abus parviendra […] aux autorités », argue Sylvie Thénault.

Par ailleurs, depuis le vote des pleins pouvoirs à l’armée, le 14 mars 1956, le gouvernement Mollet abdique uniment devant l’autorité militaire. À partir de là, la répression n’épargne personne. « Arrêté à son domicile et emprisonné, il [Robert Barat] est libéré au bout de quelques jours devant l’ampleur des protestations. En avril 1956, Claude Bourdet subit le même sort, pour une série d’articles relatifs à l’Algérie dans France-Observateur... En mai, la journaliste de l’hebdomadaire Demain, Claude Gérard, auteure de Comment j’ai vu le maquis, est écrouée à la petite Roquette. André Mandouze, directeur de consciences maghrébines, où il reproduit des textes du FLN, est inculpé d’atteinte à la sûreté de l’État et emprisonné à la Santé en novembre », relate Sylvie Thénault.

Néanmoins, malgré la politique répressive du gouvernement Mollet, les dénonciations de la torture ne cessent pas pour autant. En 1957, ce sont les affaires Alleg et Audin qui éclatent. Membres du PCA (parti communiste algérien), les deux militants sont arrêtés en juin 1957 par les paras de la Xème division. Cette fois-ci, des preuves irréfutables sont apportées sur la pratique de la torture contre des Français par des militaires. Pour Sylvie Thénault, « l’année 1957 a été celle d’une prise de conscience collective en métropole. La peur de passer pour un traître, qui muselait les esprits, cesse sous l’avalanche des preuves de la pratique de la torture, des exécutions sommaires et des disparitions. » Finalement, ne pouvant reprendre le contrôle sur son armée, les différents présidents de Conseil, jusqu’à la chute de la IVeme République en mai 1958, assistent impuissants à la divulgation des affaires.

Pour conclure, il va de soi que la torture est la fille naturelle de toutes les guerres. En plus, dans un système colonial, l’état de guerre est permanent. Ainsi que le prouve le cas algérien, le système colonial a été l’exact contraire de l’exercice des libertés. Dans ce sens, les Algériens qui ont pris les armes ne peuvent pas être considérés comme des « terroristes », mais des hommes en quête de leur liberté. Hélas, cette liberté chèrement payée sera confisquée par d’autres Algériens après l’indépendance. Et ces derniers ne diffèrent guère des concepteurs du système colonial. D’ailleurs, lors des débats sur la torture au début des années 2000, les dirigeants algériens ont observé un silence radio. Et pour cause ! Peut-on donner des leçons à ceux qui ont torturé quand on reproduit les mêmes méthodes contre son peuple ?

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