commentaires

Tchao Chris Marker … Et merci.

Ceux que le privilège de la jeunesse a privés de la traversée de ces années là ne peuvent savoir et comprendre l’importance d’une oeuvre sur une génération toute entière…

Un temps ou être un intellectuel ou cinéaste engagé ne signifiait pas porter une blanche chemise et enfumer les medias et l’opinion de certitudes issues d’une idéologie dominante et sans risque, mais signifiait dire l’exact contraire du discours des forces de l’oppression pour annoncer leur défaite prochaine. Un temps où ceux que poursuivait souvent aux USA le Maccarthisme oeuvraient pour extirper du cerveau des spectateurs le formatage inscrit par l’Empire et des siècles de domination du monde, pour montrer le visage humain semblable au notre de ceux qui étaient "l’axe du mal " de ce temps là …

Le camp progressiste était solidaire des luttes d’émancipation du tiers monde qui ne connaissait alors d’autre voie possible que la lutte armée.
Bien peu nombreux étaient les hommes politiques qui faisaient assez confiance aux "peuples’ ou "à l’histoire’ pour donner une crédibilité à leur révolte et anticiper la défaite des oppresseurs… Le discours de De Gaule en 1966 à Phnom Penh (1) représente comme celui du Che en 1965 à Alger (2) un temps de lucidité exceptionnelle…

Il n’est pas sur qu’a gauche comme à droite existent encore des voix comparables, capables d’enrayer la spirale du pire … Demain l’Iran ? Combien seront nous à nous mobiliser pour entraver les crimes qui se préparent ?

Chris Marker ?

Pour s’imprégner, un peu, de ce temps où les convulsions d’un monde préparaient l’ère que nous vivons encore… Pour ne pas oublier la dureté des luttes et la fragilité de leurs résultats que certains ne renoncent jamais à tenter effacer …. Regardons deux extraits classiques :

- Chris Marker fut de ceux qui ont rendu possible la réalisation et la diffusion planétaire du documentaire réalisé en 1967 par Joris Ivens (3) « Loin du Viet Nam » , extrait :

- Plus connu peut être est le film « Le fond de l’air est rouge » , (1977) : un large panorama depuis Che Guevara jusqu’à Rudi Dutschke, par Lénine et Mao, de Charonne à la rue de Gay-Lussac, de Cuba à Santiago… Il retrace l’émergence et la retombée des utopies révolutionnaires dans les années 60 et 70, sans complaisance pour ceux qui ont trahi les révolutions, à gauche principalement. Il disait en 1971 "La troisième Guerre mondiale est commencée depuis dix ans", à l’occasion de la présentation de son film devenu une oeuvre culte… Une leçon aussi pour les jeunes générations, sur un temps où "l’indignation’ n’était pas qu’une formule verbale mais le moteur de l’action effective…

http://www.imdb.com/title/tt0076042/

Bande annonce :

Réadapté en deux parties : Le fond de l’air est rouge : 1ère partie : Les mains fragiles (version 1997) http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/revolutions-et-coups-d-etat/video/CPD05000584/le-fond-de-l-air-est-rouge-1ere-partie-les-mains-fragiles-version-1997.fr.html

- Les cinéphiles ne connaissaient peut être que « La Jetée » (1962) et sa fable fantastique ; voir :

Un temps où se disait encore « « Vote le plus rouge possible, cela aura toujours le temps de pâlir. »… Mais Chris Marker savait que voter ne suffit jamais !

Jacques Richaud

30 7 2011

(1) Discours du général de Gaulle de Phnom Penh : accueil et fête (Vidéo intégrale du discours) http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAF94060215/discours-du-general-de-gaulle-de-phnom-penh-accueil-et-fete.fr.html Discours du général de Gaulle de Phnom Penh : accueil et fête - 01/09/1966 - 08min53s

(2) ERNESTO CHE GUEVARA - Rêver, lutter et conquérir : « soyons réalistes, exigeons l’impossible ».

Discours prononcé par le Che au cours du Séminaire économique de solidarité afro-asiatique, les 22 et 27 février 1965 à Alger. http://espace-che-guevara.com/Che%20ses%20discours-Alger.html

(3) Loin du Vietnam (1967), Joris Ivens and Left Bank documentary by Thomas Waugh http://www.ejumpcut.org/currentissue/WaughVietnam/index.html

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COMMENTAIRES  

01/08/2012 14:51 par Jacques Richaud (L'auteur)

LEVEL FIVE …Aussi…

Au lendemain de la disparition de Chris Marker le 29 juillet 2012, me revenait de l’arrière fond de ma mémoire le saisissant et troublant souvenir d’un film enregistré lors de sa projection sur Arte il y a plus de dix ans… J’ai revu la cassette…

Marker n’a cessé de croiser la mort dans son oeuvre, c’est elle qui projette son ombre dans la dernière scène de "˜La Jetée’ (1962) sur cette esplanade séparant le narrateur d’une silhouette de femme lointaine…
Dans "˜Level Five’, nous sommes en 1997. Un temps long s’est écoulé qui a vu naître longtemps après le cinéma l’informatique et Internet au lendemain des matins d’un "˜Mai’ encore dépourvu de cette nouvelle magie…

L’héroïne Laura, de son aimé, ne voit persister que l’ordinateur ; bien plus étrange objet encore que les pierres tombales animées d’évocations au cimetière du Père Lachaise. Au travers de cet écran Laura pénètre l’outre tombe du disparu qui interrogeait, stockait, pénétrait la mémoire initialement muette des images d’Okinawa, lorsque le cinéaste Nagisa Oshima filmait les suicides collectifs de masse et la mort du tiers des habitants de l’Ile. C’était lors de l’effondrement de l’armée japonaise après le débarquement US…(1).

Dans cette boite tombale, le même outil sur lequel s’écrivent ou se lisent ces lignes, des mémoires s’emboîtent les unes dans les autres. Surtout un troublant et insoluble questionnement surgit sur les "˜degrés’ de la mémoire… "˜Level one’, superficiel et méprisé… "˜Level two’, déjà plus intéressant… Et ce sont les "˜degrés’ de la vie elle-même qui sont interrogés ; le disparu avait prophétisé « Faut il être mort pour atteindre "˜le’ Level Five ?  »… Et Laura qui avait traversé la vie et le jeu de ces "˜niveaux’ songeait alors que les "˜détails’ de la mémoire "˜se perdent… un par un’.

Et le deuil nous interroge : en quoi l’omniprésent désormais ordinateur modifie t il notre relation à la mémoire ? Notre relation à la mort ? Ce défunt qui flirtait avec le Level Five rejoint désormais par Chris Marker, avait laissé pour trace cent cinquante mille cadavres en survivance posthume de ses propres interrogations… Le regard de Laura en est bien plus que bouleversé, c’est elle qui est transpercée par le néant vivant des images… Apparaît le témoin Kinjo de la tragédie expliquant comment à dix sept ans et sur ordre il avait "˜tué parce qu’il les aimait’ sa mère son plus jeune frère sa soeur, pour qu’ils échappent à l’arrivée des GI…(2)

Autre guerre, autre temps… Que savons nous des drames des guerres de maintenant ? Sont poursuivis pour "˜aide à l’ennemi’ ceux qui diffusent les images des horreurs et des crimes…

Des abîmes d’interrogations surgissent lorsque Laura croise le regard d’une mère qui se jette du haut de la falaise de Saipan, comme "˜abattue’ par la caméra qui la "˜visait’ et attendait son geste. Témoignage ou assassinat ? Belle réflexion ouverte par Chris Marker qui doit nous interpeller en ce temps devenu celui d’un voyeurisme et d’une indifférence planétaire…

A ce "˜cinquième niveau’ où nous a entraîné Chris Marker, il nous est proposé de voir autrement ce que nous regardons, c’est un bel héritage. (1)

Jacques Richaud 1 8 2012

(1) Battle of Saipan
http://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_Saipan

Les historiens fourniront pour chiffre des pertes un millier de suicides et douze mille civils tués.
Cette "˜prise’ au sud de l’archipel était le prélude à la défaite japonaise, dernier bastion qui rendait possible l’accès au coeur de l’Empire japonais.

D’autres photographies de la bataille vue du côté US :
http://www.dailymail.co.uk/news/article-2087023/World-War-II-photographs-American-soldiers-fight-survival-brutal-Battle-Saipan.html

Une vidéo de juin 1944 :
http://www.history.com/shows/wwii-in-hd/videos/battle-saipan#battle-saipan

(2) Level 5, by Chris Marker (1997)
http://vimeo.com/19193986 (1h44)

Titre : Level Five Scénario : Chris Marker Réalisation : Chris Marker Image : Yves Angelo, Gérard de Battista, Chris Marker Son : Florent Lavallée Interprétation : Catherine Belkhodja (Laura) et la participation de Kenji Tokitsu et Nagisa Oshima Date de sortie : 1996 Pays : France Durée : 1h46 Format : 35 mm / couleur Producteurs : Anatole Dauman, Françoise Widhoff et Catherine Belkhodja Productions : Argos Films / Les Films de l’Apostrophe/ KAREDAS Distribution : Connaissance du cinéma

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