commentaires

Tchernobyl, Fukushima : les aménageurs de la vie mutilée

Proclamant qu’il faut « gérer » sa peur à la suite de catastrophes comme celles de Tchernobyl et de Fukushima, les aménageurs de la vie mutilée, relayés par des représentants d’instances étatiques ou associatives, prétendent réduire à néant toute possibilité de mise en cause de la déraison nucléaire, enjoignant à chacun d’en tirer au contraire parti, plutôt que de se hasarder à en rechercher les responsables et à rendre inhabitées des terres inhabitables.

« Si la science un jour règne seule, les hommes crédules n’auront plus que des crédulités scientifiques. » - Anatole France)

Un documentaire consacré aux désastres de Tchernobyl et de Fukushima a été présenté par Arte le 26 avril dernier, lançant une pernicieuse invitation à « vivre avec » la contamination radioactive, « défi » que prétendent, en ces jours sombres, relever les missionnaires de l’accommodation à la vie en zones contaminées par la radioactivité.

L’« Initiative de Dialogue pour la réhabilitation des conditions de vie après l’accident de Fukushima », présentée dans ce film, a été pilotée par de supposés, et néanmoins dangereux experts à l’œuvre à Tchernobyl hier, à Fukushima aujourd’hui, et en France demain.

Puisque la France a dans ses rangs des champions de la réhabilitation post-catastrophe, tels que Jacques Lochard ou Gilles Hériard-Dubreuil, soutenus par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), l’Université médicale de Fukushima ou la Fondation d’extrême droite Sasakawa (alias Nippon Foundation).

Gilles Hériard-Dubreuil a fondé en 2013 le « courant » Écologie humaine, dont le nom reprend une terminologie vaticane, avec Tugdual Derville, porte-parole de « Manif pour Tous », et délégué général de l’Alliance Vita, association d’extrême droite catholique du mouvement pro-vie, qui milite contre l’avortement, contre l’euthanasie et contre le mariage entre personnes de même sexe.

M. Hériard-Dubreuil préside, par ailleurs, le cabinet de conseil Mutadis, sinistrement connu pour son engagement à Tchernobyl, sous subsides européens et internationaux, dans les programmes Ethos (1996-2001), SAGE (2002-2005) et CORE (Coopération pour la réhabilitation des conditions de vie dans les territoires contaminés du Bélarus, 2003-2008), qui prescrivent aux populations, sous couvert d’intentions thérapeutiques et participatives, des recettes d’accommodation à la vie en zones contaminées.

Un des principaux objectifs − atteint − de ces programmes, a été d’évincer du terrain de Tchernobyl les initiatives de protection sanitaire développées par des médecins et des physiciens après l’accident de la centrale, et de ne pas ralentir, en conséquence, la détérioration continue de la santé des populations, faute d’apporter une véritable prophylaxie.
 
Les faits de traîtrise de Gilles Hériard-Dubreuil à l’encontre des spécialistes de santé du Belarus ne semblent toutefois pas avoir dissuadé la députée européenne Europe Écologie-Les Verts Michèle Rivasi et l’avocate Corinne Lepage, « antinucléaires » déclarées, de collaborer avec ce dernier, de le nommer « secrétaire » et « expert qualifié » de leur association européenne Nuclear Transparency Watch, qu’elles ont créée et qu’elles président depuis 2013, appelant à rien moins qu’« une implication systématique des citoyens et de la société civile dans la préparation et la réponse aux situations d’urgence nucléaire en Europe », situations dont on aura suffisamment compris qu’elles ne tarderont plus à « survenir ».

Ainsi, Mmes Rivasi et Lepage, qui ont chargé M. Hériard-Dubreuil de communiquer sur « la sûreté nucléaire comme bien commun » sur le site de leur association, soutiennent inconditionnellement l’initiative pronucléaire européenne RICOMET de développement de stratégies de « communication sur le risque » nucléaire et vantent les mérites des rapports radionégationnistes dont M. Hériard-Dubreuil est l’auteur, rapports à la gloire d’Ethos et de l’accommodation des populations à la radioactivité en situation d’accident nucléaire.

Quant à Jacques Lochard, vice-président de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), et directeur du Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire (CEPN), dont les membres sont le Commissariat à l’Énergie Atomique, Areva, l’IRSN et EDF, il est, lui aussi, un contributeur actif et rusé à la propagation de l’idéologie de la « culture pratique de la radioprotection » à Fukushima, comme à Tchernobyl.
 
CINQ RECETTES EMPOISONNÉES 

Voici leurs cinq recettes, qui, pour être bien concoctées, n’en sont pas moins empoisonnées de cette mort qui enverra les gens moisir à plat.

1. Inciter chacun à rester vivre dans les zones contaminées, tout en « optimisant » son exposition à la radioactivité à proportion du coût économique et social de sa protection. Ainsi, maximisent-ils le nombre de personnes contraintes de suivre un protocole de contrôle et de mesure permettant de survivre dans la contamination à moindre coût. À défaut de les soigner.

2. Considérer la réalité radioactive comme un problème psychologique. Il s’agit de transformer une réalité scientifique et sociale – la contamination radioactive et ses dégâts –, en phénomène faisant l’objet d’un « ressenti » individuel, lui-même tributaire de l’état mental, ou psychologique, de chacun.

Conforter les gens dans le délire selon lequel ils sont des sujets autonomes dans la gestion de leur contamination alors qu’ils sont prisonniers des rapports techno-sociaux.

Le rapport à la radioactivité ne relèverait ainsi que d’une gestion personnalisée de l’angoisse. À dire d’experts, ce ne serait alors plus la situation de contamination qui serait irrationnelle, mais la perception qu’on en aurait.

3. Recourir à un jargon d’« authenticité », pontifiant et illusoirement concret dans lequel les appels à l’autonomie, à la dignité, à la communauté et à l’humain ne font qu’emprunter à la théologie de pâles reflets de transcendance, afin de mieux assujettir l’individu au fonctionnement, ici du tout radioactif, ailleurs du tout sécurisé.

Or, conforter les gens dans le délire selon lequel ils sont des sujets autonomes dans la « gestion de leur contamination », alors qu’ils savent bien qu’il leur est seulement impossible de ne pas se plier aux rapports techno-sociaux dont ils sont prisonniers, c’est vouer à l’échec toute possibilité d’échappée.

On conditionne les populations à la cogestion du désastre, en les encourageant à stimuler, et a minima à simuler, les réflexes et les comportements induits par les modifications du monde environnant. Cette recherche de l’adaptation parfaite passe par l’intériorisation de toutes les formes de pressions que la contamination radioactive fait naître.
 
4. Promouvoir la résilience, nouvel horizon de l’homme adaptable, censé ne compter que sur lui-même et ses insondables capacités de « rebond ». Au nom d’un relativisme pragmatique, d’un primat de « la vie quotidienne », ces médiateurs du désastre insufflent la défiance, voire la décrédibilisation, des connaissances scientifiques les moins contestables, distillent le doute et propagent l’ignorance sur les effets sanitaires de l’exposition durable aux dites « faibles doses » de rayonnement ionisant, tout en déplorant « la montée de la défiance des populations vis-à-vis des différentes sortes d’autorités. »

Insuffler la défiance, voire la décrédibilisation, distiller le doute et propager l’ignorance.
Résilience aidant, c’est à nous qu’ils assignent ensuite la tâche de recoller les morceaux de ce qu’ils contribuent à détruire. Ils préconisent de remplacer les normes de protection par de simples recommandations destinées à faciliter l’action des individus. « Les gens passent ainsi de la résignation à la créativité », s’enthousiasme Jacques Lochard.

Ainsi, chacun n’aurait plus qu’à mobiliser ses propres réserves de résistance à l’irrésistible et devenir « partie prenante » de sa propre irradiation. On reconnaît là le choix de l’État japonais : maintenir les populations sur place et diminuer d’autant, à court terme du moins, le coût d’un accident nucléaire.

5. Banaliser la radioactivité, cet obstacle que l’on apprend à contourner au quotidien dans la recherche de « solutions » immédiates, ponctuelles et individuelles. La radioactivité ne poserait alors problème que dans la seule mesure où les pratiques de vie des habitants les amèneraient à la « croiser » sur le chemin de l’école, du travail, ou de la promenade.

Au Japon, se mène désormais une chasse quotidienne aux hotspots de contamination radioactive, réduits à des incidents facilement résolus en grattant le sol et en stockant la terre dans des sacs poubelle, ou en installant des rideaux de plomb aux fenêtres des chambres d’enfants afin d’« éviter la contamination venant de la forêt. »

Au quotidien, on sait que si on se coupe, c’est bien de se désinfecter. Ça, c’est du pratique. Eh bien, la radioactivité c’est pareil.

Tout lien avec les méprisables concepts universels de menace, de santé, de vie, est dilué, et circonscrit, dans la catégorie des difficultés personnelles – la « sur-inquiétude des mères » –, ou dans celle des contraignantes, mais inévitables, nécessités hygiéniques ou ménagères.

Décidément en guerre avec sa science, M. Lochard nous confiait au cours d’un entretien : « Au quotidien, on sait que si on se coupe, c’est bien de se désinfecter. Ça, c’est du pratique. Eh bien, la radioactivité c’est pareil. »
 
L’IRRATIONALITÉ ET L’EXTRÊME VIOLENCE DU « VIVRE AVEC » 

Ces aménageurs de la vie mutilée, relayés par Arte et tant d’autres représentants d’instances étatiques ou associatives, telles que Nuclear Transparency Watch de Mmes Rivasi et Lepage, et M. Hériard-Dubreuil, défendent haut et fort l’irrationalité selon laquelle il existerait un entre-deux de la contamination, où l’exposition au rayonnement ne serait dangereuse qu’en principe, mais s’avèrerait inoffensive dans la réalité. Véritable irrationalité, cette extrême violence du « vivre avec » est une insulte aux survivants.

Il s’agirait donc d’endiguer l’horreur de la contamination en la coulant dans les formes pseudo-rationnelles d’un « tous ensemble, nous vaincrons la radioactivité » ? C’est à quoi se vouent ces prêcheurs de soumission en expliquant, sans foi ni loi, qu’on peut échapper au danger en s’y confrontant, qu’on peut gratter la terre, mais en croisant les doigts.
 
Proclamant qu’il faut « gérer » sa peur, ils prétendent réduire à néant toute possibilité de mise en cause de la déraison nucléaire, enjoignant à chacun d’en tirer au contraire parti, plutôt que de se hasarder à en rechercher les responsables.

Il fallait dire ce qu’est l’objectif de ces rédempteurs du « vivre avec », qui n’en paieront pas le prix, eux qui ont choisi d’emplir les hôpitaux de malades plutôt que de rendre inhabitées des terres inhabitables.

Tribune libre collective de :

Cécile Asanuma-Brice, Jean-Jacques Delfour, Kolin Kobayashi, Nadine Ribault et Thierry Ribault

Cécile Asanuma-Brice, sociologue à la Maison franco-japonaise de Tokyo, auteure de nombreux articles sur la protection de la population après le désastre nucléaire de Fukushima. Jean-Jacques Delfour, philosophe, auteur de "La condition nucléaire. Réflexions sur la situation atomique de l’humanité" (L’Échappée, 2014). Kolin Kobayashi, journaliste et écrivain, auteur de "Le crime du lobby nucléaire international, de Tchernobyl à Fukushima" (Éditions Ibun-sha, 2013). Nadine Ribault, écrivain, et Thierry Ribault, économiste au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), co-auteurs de "Les sanctuaires de l’abîme. Chronique du désastre de Fukushima" (Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2012)..
 http://sciences-critiques.fr/tchernobyl-fukushima-les-amenageurs-de-la-vie-mutilee/
Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

07/08/2016 22:47 par pmls

"eux qui ont choisi d’emplir les hôpitaux de malades plutôt que de rendre inhabitées des terres inhabitables."
— plutôt que d’avoir à déclarer inhabitables des terres inhabitables.—
est ce que vous avez voulu dire, ce me semble.

08/08/2016 13:05 par D. Vanhove

Une fois un mensonge d’Etat lancé, bien peu ont le courage de reconnaître leurs erreurs et de faire machine arrière... ils nous mentent au quotidien et commencent svt leurs interventions en disant : "Bon, il faut quand même dire la vérité aux gens..." ou encore, "...parlons vrai..." et parfois même, "...laissez-moi vous dire la vérité..." etc, etc...

Quand j’entends ces pontes parler de "vérité", je tourne le bouton...

08/08/2016 20:29 par Autrement

J’aime beaucoup (comme d’ailleurs le "chapeau") la citation d’Anatole France par laquelle débute cet article :

« Si la science un jour règne seule, les hommes crédules n’auront plus que des crédulités scientifiques. »

Elle me rappelle, le credo inverse et humaniste de Rabelais : "science sans conscience n’est que ruine de l’âme" (combien de nos élèves de collège connaissent encore ne serait-ce qu’un extrait de Gargantua et de Pantagruel, même "traduit" de l’ancien français ?)
La carrière de ce monsieur Gilles Hériard-Dubreuil et des faux-Verts ou faux anti-nucléaires qui l’ont intronisé est instructive ! Leur attitude fait penser à ces magnats du pétrole et des bateaux pétroliers, spécialisés dans les marées noires, qui vendent à la fois leur cargaison, puis les produits détergents destinés à "nettoyer" la mer, une fois que la cargaison s’y est déversée. Double profit, les assurances en sus, alors pourquoi s’en faire pour des tankers surchargés et des capitaines qui n’ont pas de scrupules à lâcher le gouvernail et à quitter le navire avant leurs hommes ?
Oui, la crédulité scientifique est un fléau, bien entretenu par les médias, qui perpétuent le règne d’experts toujours unijambistes : c’est-à-dire tous boiteux de la même idéologie néo-libérale et pseudo-positiviste, qui sanctifie les technocrates, la technologie et les catastrophes dites naturelles.
Ils en sont à dire qu’à Fukushima, c’est la faute de la mer...
Ils font complètement oublier que la science en soi n’existe que dans l’abstrait, quand ses conditions de production sont soigneusement masquées, et que ses conditions de diffusion dépendent du bon vouloir des pouvoirs en place ; ce qui existe dans le réel, ce sont des savants et des chercheurs, qui travaillent dans telles et telles conditions, sur tel et tel projet, inspiré ou piloté par telle ou telle autorité. Leur travail est souvent, lui aussi, aliéné par l’usage économique et politique qui en est fait.
En fait, c’est une forme particulièrement sournoise et perverse d’exploitation du travail d’autrui qui est mise en oeuvre, c’est un véritable détournement d’humanité. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance des "réformes " récentes intervenues (toujours autoritairement) dans l’enseignement supérieur et la recherche. Sans même parler des laboratoires directement mis au service des grandes sociétés, c’est-à-dire de leurs profits (comme c’est aussi le cas en pharmacie, par exemple).
Il est particulièrement vicieux de la part des décideurs, responsables politiques et administratifs, de déguiser d’avance l’adaptation aux drames éventuels, en efforts pour atténuer leurs effets aux yeux de la population, et pour lui faire croire qu’il est avec l’horreur des accommodements.
C’est la même chose pour les dégâts dits "collatéraux".
Et c’est la même chose pour la loi dite "Travail", grâce à laquelle il n’y aura plus ni famille, ni patrie vivables pour ceux à qui ont prétend l’imposer (d’abord dans le secteur privé, puis - et déjà un peu - dans le public).

Cela évite que le grand nombre s’interroge vraiment sur le pourquoi des décisions qui sont prises, et ne se révolte contre l’absurde cupidité, ou contre l’inconscience, qui y ont présidé. Pire, cela permet à la propagande suiviste et stipendiée de faire croire que ceux qui veulent rompre avec cet état de choses sont de pauvres illuminés, des "complotistes", qu’ils n’ont pas le sens des "réalités" (préfabriquées, prédéfinies, car qui le raconte, et en se situant de quel côté de la barricade, ce réel ?! ), et qu’ils sont en sommes des anormaux et des inadaptés. C’est par exemple de cette façon qu’ont été présentées sur Euronews les courageuses manifs anti-Temer à l’occasion de JO. Pas étonnant que nos chers concitoyens en deviennent "fous", eux aussi.

J’ai toujours eu un faible pour les déserteurs en temps de guerre ; Joseph Losey, Stanley Kubrick et quelques autres ont tout dit sur le sujet, ainsi qu’un texte récent de LGS ICI. Pour les 639, voir ICI (la Libre Pensée).
Comment donc ne pas s’indigner quand de respectables personnalités, se réclamant de respectables partis et de respectables valeurs, tentent de nous installer dans les mensonges et les faux-fuyants, et de nous préparer ( y compris depuis l’École ! ) à habiter des terres inhabitables, comme le dit si bien à sa manière le collectif ci-dessus.
Le "réel" que nous vivons est effectivement déjà devenu presque inhabitable, pour qui ne s’est pas encore noyé dans les eaux glacées du calcul égoïste. Au nom d’un bon sens solidement argumenté et méthodique, refusons le nucléaire comme nous refusons la guerre !

08/08/2016 22:54 par Autrement

(Erreur de ma part pour mon premier lien : c’est ICI ; il n’est pas directement question des déserteurs dans cet article, mais il fait comprendre pourquoi ils ont déserté).

10/08/2016 17:12 par babelouest

Ces personnes "estimables", ne sont-ce pas des ASSASSINS ?

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.