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Terrorisme et Société Civile contre Cuba 2/4

Compte-rendu des conférences données par Agee lors des Ateliers pour la Paix organisés par le Mouvement de la Paix cubain à la Havane, Mai 2003

DEUXIEME PARTIE

Revenons au présent. Tous ceux qui ont observé l’opposition de la société civile contre le gouvernement de Hugo Chavez au Venezuela peuvent être certains que les officines du gouvernement des Etats-Unis, y compris la CIA avec l’Agence pour le Développement International (AID) et le National Endowment for Democracy (NED), sont en train de coordonner la déstabilisation et sont à l’origine du coup d’état manqué d’avril 2002, de même que la "grève civique" manquée de décembre à janvier derniers. L’International Republican Institute (IRI) du Parti Républicain a même ouvert un bureau à Caracas. Voir ci-dessous pour plus de détails sur les opérations dans la société civile du NED, AID et IRI.

Afin de comprendre comment ces opérations de la société civile sont organisées, examinons le coté bureaucratique des choses. Lorsque je suis entré dans les cours de formation de la CIA, les premiers mots que l’on m’a appris furent "discipline" et "contrôle". Le gouvernement des Etats-Unis n’est pas une organisation caritative, disaient-ils, et tout l’argent devait être dépensé pour l’objectif prévu. L’officier en charge des opérations que j’allais devenir est responsable des dépenses effectuées par les agents en aval et soumis un à contrôle stricte. Les ordres données quant aux devoirs et obligations doivent être claires et sans ambiguïtés et l’officier doit prévenir de tout détournement d’argent par un agent, qui n’est censé toucher que son salaire, en exigeant des justificatifs pour toutes les sommes dépensées et encaissées. Les exceptions à la règle nécessitent une approbation spéciale.

A la CIA, les activités pour infiltrer et manipuler la société civile sont connues sous le nom d’Opérations Clandestines (Covert Action), et doivent suivre des règles précises. Une demande de fonds doit être effectué sur un document appelé Description de Projet, si l’activité est nouvelle, ou une Demande de Renouvellement de Projet s’il s’agit d’une activité en cours qui doit être prolongée. Le document est émis par un bureau local ou par le quartier général et décrit la situation actuelle ; les activités à mener pour améliorer ou modifier la situation en fonctions des intérêts US ; des dates prévues pour atteindre les étapes intermédaires et les objectifs finaux ; les risques encourus et le potentiel de dégâts qui seraient occasionnés si l’action devait être rendue publique ; un budget détaillé avec de l’information sur toutes les organisations et individus participants et les sommes à distribuer à chacun. Le document contient aussi un récapitulatif du statut de chacun des agents impliqués, d’un controle pour des raisons de sécurité et une historique de leurs services dans l’agence. Toutes les personnes impliquées sont concernées, depuis les financiers, tels que les agents dans les Fondations, jusqu’au dernier agent en bout de
chaîne en passant par tous les intermédiaires.

En plus de ces procédures budgétaires, une certaine somme d’argent sans destination précise est incluse dans la rubrique D&TO, destinée à financer de nouvelles activités imprévues qui se révéleraient nécessaires pend ant la phase d’approbation du projet initial. Bien sur, l’affectation de cette somme est soumise aux mêmes contrôles que précédemment. Un rapport est aussi rédigé sur le potentiel de renseignements qui pourraient être collectés au cours de la mise en oeuvre du projet en question. Ainsi, le soutien financier à un parti politique est censé pouvoir fournir des renseignements sur la politique en général à l’intérieur du pays concerné.

Les documents ainsi rédigés passent par une procédure d’approbation interne dans différents services tels que la Division des Organisations Internationales, et selon leur importance ou leur coût, ils peuvent être soumis à l’approbation de Département d’Etat, de la Défense, du Travail, du Conseil National de Sécurité ou du Président lui-même. Une fois approuvés, la Division Finances de la CIA alloue la somme et l’opération peut commencer, ou continuer si elle était déjà en cours. La période d’approbation ou de renouvellement est généralement d’un an.

Sans doute, de telles procédures sont appliquées aussi au sein de l’Agence pour le Développement International et le NED. Toutes les personnes concernées doivent d’abord être soumises à une contrôle pour des raisons de sécurité, et chaque personne se voit affecter des taches précises. Une commission inter-agence définit laquelle des trois agences CIA, AID ou NED, ou éventuellement une combinaison des trois, sera chargée de mener des actions spécifiques auprès des sociétés civiles de certains pays. La commission détermine aussi les sommes d’argent à verser. Il est évident que les trois organisations sont à l’oeuvre pour le développement d’une société civile d’opposition à Cuba.

Il faut noter que le National Endowment for Democracy (NED), au titre ronflant, trouve ses origines dans les Opérations Clandestines de la CIA et fut conçu à l’origine au lendemain des révélations désastreuses du 26 février 1967. Deux mois plus tard, Dante Fascell, élu à la Chambre des Représentants de Miami et proche de la CIA et des Cubains de Miami, proposa, avec d’autres Représentants, une loi destinée à créer une organisation "ouverte" qui prendrait officiellement en charge ce qui avait été jusqu’à là le domaine réservé des opérations secrètes de la CIA, à savoir le financement des programmes de sociétés civiles aux Etats-Unis (comme pour la National Students Association - association nationale d’étudiants) ou directement à l’étranger (comme le Congrès pour la Liberté Culturelle à Paris).

Cependant, l’idée de Fascell échoua à cause de l’absence de consensus sur la politique étrangère entre Démocrates et Républicains, consensus qui avait prévalu jusqu’à là depuis l’administration Truman, après la deuxième guerre mondiale. Mais des différences entre les deux partis ont surgi à la fin des années 60 à propos de la guerre au Asie du Sud-Est, puis dans les années 70 sur le Watergate et la perte de la guerre au Vietnam, puis finalement à cause des révélations faites par les commissions d’enquête du Congrès sur les tentatives d’assassinat et autres opérations de la CIA, empêchant tout accord et le début d’un isolationnisme qui devait durer plusieurs années. Ce ne fut qu’à la suite des victoires des mouvements révolutionnaires en Ethiopie, en Angola, au Namibie, au Zimbabwe, à la Grenade, au Nicaragua et ailleurs que les "combattants de la guerre froide" Démocrates et les "internationalistes" Républicains décidèrent de s’unir en 1979 pour créer l’American Political Foundation (APF). Les objectifs de la Fondation était d’étudier la possibilité de créer par des voies légales une Fondation qui serait financée par le gouvernement et qui subventionnerait les opérations des sociétés civiles étrangères à travers des ONG états-uniennes.

Au sein de l’APF, quatre groupes de travail ont été créés pour mener cette étude, un pour les Démocrates, un pour les Républicains, un pour la Chambre de Commerce US et un pour le syndicat AFL-CIO. Le résultat de leur travail commun fut connu sous le nom de Democracy Program. Ils consultèrent un grand nombre d’organisations US et étrangères, et ce qu’ils ont trouvé de plus intéressant étaient les Fondations, financées par le gouvernement, des principaux partis politiques de l’Allemagne de l’Ouest : la Friedrich Ebert Stiftung des Sociaux-Démocrates et la Konrad Adenauer Stiftung des Chrétiens Démocrates. Lorsque ces Fondations furent créées, leur tache initiale consistait à construire un nouvel ordre démocratique allemand, une société civile basée sur le modèle parlementaire européen tout en contribuant à la répression des communistes et autres mouvements politiques de gauche.

Très tôt la CIA a financé des ONG en Allemagne par le biais de ces Fondations. Puis dans les années 60 les Fondations ont commencé à soutenir les partis politiques amis et d’autres organisations à l’étranger, et ils transféraient aussi l’argent de la CIA pour les mêmes objectifs. Au début des années 80 les deux Fondations géraient des programmes dans environ 60 pays et dépensaient environ 150 millions de dollars par an. Et le plus intéressant dans tout ça, c’est que tout cela se passait dans le plus grand secret.

Une des opérations de la Friedrich Ebert Stiftung montre à quel point ces Fondations pouvaient être efficaces. En 1974, lorsque le régime fasciste vieux de cinquante ans fut renversé au Portugal, membre de l’OTAN, les communistes et les militaires de gauche ont pris en charge le gouvernement. A cette époque, les sociaux-démocrates portugais, connus sous le nom de Parti Socialiste, étaient à peine assez nombreux pour faire une partie de poker et ils vivaient tous à Paris et n’avaient pas de militants au Portugal. Grâce aux 10 millions de dollars minimum versées par la Ebert Stiftung, plus d’autres sommes versées par la CIA, les sociaux-démocrates sont revenus au Portugal, ont construit un parti en un clin d’oeil, l’ont vu grossir, et en quelques années le Parti Socialiste a pu prendre le pouvoir au Portugal. La gauche se retrouva dans le caniveau en plein débâcle.

Ronald Reagan était dés le départ un partisan enthousiaste du Democracy Program, allant jusqu’à décrire les plans lors d’un discours devant le Parlement Britannique en juin 1982. Ce nouveau programme, dit il, construirait une "infrastructure pour la démocratie" à travers le monde en suivant le modèle européen de soutien "ouvert", faisant ainsi avancer "la marche vers la liberté et la démocratie". Bien sur, les programmes allemands étaient tout sauf "ouverts", pas plus que les programmes états-uniens qui allaient etre lancés. En fait, avant même la création du NED par le Congrès, Reagan avait déjà crée un Project Democracy au sein de l’USIA sous la direction du Département d’Etat. Un ordre exécutif secret de l’époque, qui fut révélée par une fuite dans la presse, attribuait dans le cadre du programme une participation secrète de la CIA. Une première somme de 170.000 dollars fut accordée pour former les officiels des médias du Salvador et d’autres régimes autoritaires de droite sur la manière de gérer leurs relations avec la presse états-unienne - le programme du Salvador était confié à une société de relations publiques basée à Washington qui avait déjà travaillé pour la dictature de Somoza (Nicaragua).

Au mois de novembre 1983 le rêve de Dante Fascell devint réalité. Le Congrès créa le National Endowment for Democracy (NED) et lui attribua un budget initial de 18.8 millions de dollars pour la construction de sociétés civiles à l’étranger, et ce pour la seule année fiscale qui se terminait en septembre 1984 [note de CSP - l’année fiscale du budget aux états-unis s’étend du mois d’octobre de l’année jusqu’à la fin septembre de l’année suivante]. Fascell devint membre du premier Conseil d’Administration du NED. Jusqu’à présent, la CIA avait opéré ses financements à travers un réseau complexe d’intermédiaires. Le NED serait désormais une "ligne directe" pour faire parvenir l’argent du gouvernement des Etats-Unis aux ONG qui étaient auparavent discrétement financées par la CIA.

La Cuban American National Foundation (CANF - Fondation Nationale Cubano-Américaine) fut, sans surprise, un des premiers bénéficiaires du financement du NED. De 1983 à 1988, la CANF reçut 390.000 dollars pour ses activités anti-castristes. Au cours de la même période, une organisation distincte, mais néanmoins dirigée par les directeurs de la CANF pour financer les campagnes électorales, Political Action Committee, versa pratiquement la même somme dans les caisses de campagne de Dante Fascell et d’autres amis politiques. Il s’agissait à l’évidence d’un accord mutuel pour les fonds versés par le NED.

Sur le plan juridique, le NED est une Fondation privée à but non-lucratif, une ONG, et se voit attribuer chaque année des subventions par le Congrès. L’argent est versé à quatre "fondations de base" qui correspondent aux quatre groupes de travail originaux du Democracy Program. Il s’agit du National Democratic Institute for International Affairs (Parti Démocrate) ; du International Republican Institute (Parti Républicain) ; du American Center for International Labor Solidarity (AFL-CIO) ; et du Center for International Private Enterprise (Chambre de Commerce des Etats-Unis). Le NED verse aussi de l’argent directement à des "groupes à l’étranger qui luttent pour les droits de l’homme, les médias indépendants, l’état de droit, et à un large éventail d’initiatives de la société civile". [extrait du site web du NED, mai 2003.]

Le statut non-gouvernemental du NED permet de faire croire que les bénéficiaires de l’argent du NED reçoivent de l’argent "privé" au lieu de celui du gouvernement des Etats-Unis. Ceci est important parce que de nombreux pays, y compris les Etats-Unis et Cuba, ont des lois relatives aux ressortissants payées pour des services rendus à un gouvernement étranger. Aux Etats-Unis, tout individu ou organisation "sous control étranger", c’est-à -dire qui reçoit de l’argent et des instructions d’un gouvernement étranger, doit obligatoirement se faire inscrire auprès du Ministère de la Justice et fournir des rapports détaillés de ses activités, y compris de ses finances, tous les six mois. Le non-respect de cette obligation fut invoquée pour faire condamner les cinq agents cubains à Miami.

(à suivre)

Source : CUBA SOLIDARITY PROJECT
http://viktor.dedaj.perso.neuf.fr/

"Lorsque les Etats-Unis sont venus chercher Cuba, nous n’avons rien dit, nous n’étions pas Cubains."

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