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Fidel et ce qu’il représente (5ème partie) – Péroraison d’Obama

J’ai envoyé au Temps des Cerises voilà une vingtaine de jours un ouvrage intitulé « Quand Obama s’adresse aux Cubains. Remarques à ses remarks », qui commente, paragraphe par paragraphe, l’allocution qu’Obama a prononcée le 22 mars dernier à La Havane. J’espère que l’éditeur le publiera. En attendant, comme le monde entier (progressiste et révolutionnaire) fête les quatre-vingt-dix ans de Fidel, mon idée est de vous envoyer, sous forme de « bonnes feuilles », certains passages ayant directement trait à Fidel. Ce cinquième extrait commente la péroraison d’Obama. Le début de l’extrait, bien entendu, est le texte même des remarks d’Obama.

JFB

L’histoire des États-Unis et de Cuba comprend des révolutions et des conflits, des luttes et des sacrifices, des vengeances et, maintenant, des réconciliations. Il est temps de laisser le passé derrière nous. Il est temps de fixer ensemble l’avenir – un futuro de esperanza [« un avenir d’espérance »]. Et ça ne sera pas facile, il y aura des reculs. Ça prendra du temps. Mais mon séjour ici à Cuba renouvelle mon espoir et ma confiance dans ce que fera le peuple cubain. Nous pouvons faire ce voyage en amis, en voisins, en famille, ensemble. Sí se puede. Muchas gracias. [Oui, c’est possible. Je vous remercie.](Applaudissements.) - B. Obama

Péroraison dans le même style démagogique qui caractérise l’ensemble des remarks. Tout est si facile dans l’univers d’Obama ! Si aseptique, si nickel ! On laisse le passé derrière soi, on se réconcilie, on regarde l’avenir droit dans les yeux et on fonce ! Les « lendemains qui chantent », avec lui, c’est tout de suite, au coin de la rue !

Au fond, pourquoi m’étonnerais-je de ce ton badin pour aborder des réalités extrêmement dures ? Ne nous refait-il pas le coup chaque fois qu’il s’adresse à un public étranger ? Dans son fameux discours du Caire, du 6 mars 2009, que ses chantres et coryphées veulent faire passer pour une pièce d’art oratoire majeur, comme un avant et un après, un point de rupture dans la politique de la Maison-Blanche envers le monde musulman et le Moyen-Orient, Obama ne nous chanta-t-il pas sa compréhension totale de la religion et du monde de son père, sa volonté d’entente avec ceux que son prédécesseur avait mis au ban de l’humanité et auxquels il avait déclaré la guerre (là, l’expression consacrée est fausse, puisque précisément il ne la déclara pas) sur « tous les sentiers du monde », pour reprendre le titre de l’autobiographie qu’un autre terroriste, très ami dudit président, un certain Posada Carriles, écrivit à sa propre gloire. La volonté d’entente d’Obama fit long feu. Comment en aurait-il pu être autrement quand, dans ce qui constitue le premier motif du terrible contentieux entre l’Occident et le Moyen-Orient, à savoir la question de Palestine, la Maison-Blanche a toujours pris parti, d’une manière absolument inconditionnelle, pour le bourreau contre la victime ? Au Caire, il appelait déjà à faire table rase du passé, de ce passé qui, telle la tunique de Nessus, colle si douloureusement à la peau des États-Unis parce qu’on n’y trouve guère d’exemples que ceux-ci aient été, fût-ce par hasard de l’histoire, du côté des peuples et non de leurs exploiteurs et ennemis :

Ce cycle de suspicion et de discorde doit cesser. / Je suis venu au Caire pour chercher un nouveau commencement entre les États-Unis et les musulmans à travers le monde, basé d’une part sur l’intérêt mutuel et le respect mutuel, d’autre part sur la vérité que les États-Unis et l’islam ne s’excluent pas et n’ont pas à entrer en concurrence. Au contraire, ils se chevauchent et partagent des principes communs, des principes de justice et de progrès, de tolérance et de dignité de tous les êtres humains. / Je dois reconnaître que le changement ne peut s’opérer du jour au lendemain.

En tout cas, l’invitation à laisser le passé derrière soi et à se consacrer à l’avenir fait partie des rites (initiatiques ?) quasi obligés du président Obama. Il l’a dit et redit sur tous les tons, surtout à l’adresse de l’Amérique latine et des Caraïbes avec lesquelles, bien entendu, ce fichu passé pèse lourd et même très lourd, depuis plus de deux cents ans maintenant. En fait, compte tenu du cours des événements, ce n’est pas seulement le passé qui pèse lourd, mais aussi le présent. En Amérique latine, si vous être président et que vous vouliez être « ami, voisin, famille » de la Maison-Blanche, il vaut mieux que vous soyez de droite. Si vous avez à l’idée de faire quelque chose pour vos masses déshéritées, pour les délaissés de toujours, s’il vous prend d’essayer de réduire la pauvreté, ce qui implique que vous enleviez un petit quelque chose à ceux qui ont vraiment de trop, que vous essayiez de transformer la structure économique et politique de votre pays, que vous obteniez un petit peu plus de souveraineté sur vos richesses naturelles et sur votre production nationale, bref, si vous exhalez la moindre effluve d’idées progressistes, ne pensez jamais à être en bons termes avec les locataires de la Maison-Blanche, qui ne sont copains qu’avec ceux qui acceptent un ordre international instauré au profit des nantis et maintenu à feu et à sang à leur profit. Si, en Argentine, par exemple, vous vous appelez Kirchner (Nicolás ou Cristina), la Maison-Blanche vous lésinera au compte-gouttes son « amitié » ; mais si vous changez de nom et que vous vous appeliez Macri (Mauricio), alors là on vous ouvrira les deux bras et on vous fera une visite à peine installé à la Maison-Rose pour vous adouber comme nouveau champion du néolibéralisme sur le continent américain. Si vous vous appelez Allende (Salvador), malheur à vous ; pour devenir ami de la Maison-Blanche, il faut s’appeler Pinochet (Augusto). Si, président d’un tout petit pays qui a été jusque-là un grand « ami » des États-Unis, vous preniez lentement conscience, au pouvoir, que les choses ne vont vraiment pas bien chez vous, que les inégalités sont criantes, qu’une minorité possède tout et la majorité rien, et que vous vous décidiez donc, contrairement au programme sur lequel vous avez été élu, à vous occuper – oh, sans faire la révolution, Dieu vous en garde ! – de ceux d’ « en-bas » et à vous rapprocher de ces vilains progressistes de l’ALBA qui sont dans la ligne de mire de la grande démocratie du Nord, vous avez signé votre arrêt de mort : au Honduras, il vaut mieux s’appeler Lobo (Porfirio) que Zelaya (Manuel)… Si vous êtes à la tête du pays le plus étendu du sous-continent, qui se prend de ce fait pour un grand de ce monde, quelqu’un du Premier monde, mais où les taux de pauvreté et d’inégalité et la distribution de la richesse vous placent forcement dans la catégorie des « sous-développés », et que vous arriviez à la présidence dans le cadre du Parti des travailleurs, que vous vous mettiez en tête, donc, de faire honneur à votre label et de prendre en compte les dizaines et les dizaines de millions de pauvres qui pullulent chez vous pour cesser d’être la « Belinde » (30 p. 100 qui vivent comme en Belgique, 70 p. 100 comme en Inde), et que vous lanciez à ces fins des programmes ciblés sur eux, ce pour quoi vous devez enlever un petit quelque chose à votre oligarchie enkystée dans tous les rouages et dirigeant malgré tout le pays sans être nommément au pouvoir et à ses richissimes défenseurs, on vous prendra en grippe à la Maison-Blanche, on mettra même vos conversations sur écoute : au Brésil, il vaut mieux s’appeler Temer (Michel) que Silva (Luis Inacio da) ou Rousseff (Dilma)… Je pourrais accumuler les exemples, mais à quoi bon ? Les cas de Correa (Rafael) en Équateur, de Morales (Evo) en Bolivie, de Chávez (Hugo) au Venezuela, pour ne citer qu’eux, sont éloquents. À ce sujet, le verdict de l’histoire passée et présente est sans appel…

Et il indique sans l’ombre d’un doute que les États-Unis, en leur état actuel de premier défenseur d’un ordre économique et social contre lequel la Révolution cubaine s’est justement révoltée, ne pourront jamais – Obama aurait-il beau nous faire des sourires sur papier glacé – être des « amis » de Cuba. Les réponses à la FAQ apparaissant sur le site de la Maison-Blanche en apportent, plus d’un an et demi après l’annonce du 17 décembre 2014 et un an après la reprise formelle des relations diplomatiques, le plus parfait démenti :

3. Les sanctions contre Cuba sont-elles encore en place après l’annonce présidentielle du 17 décembre 2014.

Oui, l’embargo contre Cuba est toujours en place. La plupart des transactions entre les États-Unis ou des personnes sujettes à la juridiction des États-Unis, et Cuba continuent d’être interdites, et l’OFAC continue de mettre en œuvre les prohibitions de la CACR. Les changements aux réglementations, effectifs en janvier, juin et septembre 2015, ainsi qu’en janvier et mars 2016 respectivement, visent à s’attirer le peuple cubain et à l’autonomiser en facilitant des voyages autorisés à Cuba de la part de personnes sujettes à la juridiction des États-Unis ; du commerce et des transactions financières autorisés ; et le flux d’information vers, depuis et dans Cuba.

7. Est-il permis de voyager à Cuba pour des activités touristiques ?

Non. Conformément au Trade Sanctions Reform and Export Enhancement Act of 2000 (TSRA), des transactions concernant des voyages à Cuba ne sont permises que dans les douze catégories d’activités visées au CACR. Les transactions pour des voyages ayant d’autres objectifs restent interdites.

17. En quoi consiste « l’aide au peuple cubain » en ce qui concerne les voyages autorisés d’une manière générale et d’autres transactions ?

L’OFAC a délivré une autorisation générale qui intègre des transactions en matière de voyages et d’autres transactions qui visent à apporter un appui au peuple cubain, dont des activités d’organisations de droits de l’homme reconnues ; des organisations indépendantes conçues pour promouvoir une transition rapide et pacifique à la démocratie ; ainsi que des individus et des organisations non gouvernementales qui promeuvent une activité indépendante visant à fortifier la société civile à Cuba. Le programme d’activités du voyageur ne doit pas comprendre du temps libre ou de loisirs au-delà de ce qu’implique un programme à temps complet à Cuba.

Le 19 juillet 2016, CubaDebate, en collaboration avec le ministère cubain des Relations extérieures, dresse un bilan des acquis depuis la reprise des relations diplomatiques :

Les thèmes de conversation avant la reprise des relations bilatérales : trafic de drogues, fraude migratoire, traite des êtres humains, recherche-sauvetage en mer, marées noires, courrier postal… Selon Josefina Vidal, « la pleine normalisation des relations prendra des années, car il s’agit de construire des rapports entre deux pays qui se parlaient pas depuis plus d’un demi-siècle, sauf en cas d’épisodes sporadiques et plutôt dans des situations de crise ». Pour elle, il a trois blocs :

  1. Intérêts des parties : Pour Cuba, base navale de Guantánamo, blocus, programmes subversifs, Radio et TV Martí, Loi d’ajustement cubain, Programme Parole pour médecins, marques commerciale et brevets…
  2. Intérêts commun : Ceux où il est possible d’identifier une coopération éventuelle entre les deux pays, permettant de nouer des liens de confiance.
  3. Espaces de dialogue : Questions bilatérales ou multilatérales, sur proposition d’une Partie ou dans l’intérêt d’autres : compensations, droits de l’homme, traite des êtres humains, changements climatiques, protection de la propriété intellectuelle…

Cela prendra du temps parce qu’aux États-Unis, soit les conditions pour un changement de mentalité dans un certain nombre de domaine n’ont pas encore assez mûri, soit le Congrès doit intervenir et déroger des lois. C’est le cas des programmes subversifs envers la Révolution cubaine : ainsi, l’administration Obama voulait réduire à quinze millions de dollars pour l’exercice fiscal 2017 le budget concernant le « changement de régime », qui était jusqu’ici de vingt millions, mais la représentante républicaine de la Floride, Ileana Ros-Lehtinen, a présenté un amendement non seulement pour empêcher sa diminution, mais pour l’élever à trente millions.

Si les relations ont été rétablies avant la levée du blocus (dès 1975, dans les conversations secrètes avec Kissinger, c’était même un prérequis), c’est, selon tous les indices, parce que la libération des 3 Héros restants était en jeu et que, dans la mesure où, contrairement à 1975, la levée du blocus n’est plus depuis 1996 aux mains du pouvoir exécutif, mais à celles du pouvoir législatif, il était impossible de faire de la levée du blocus un prérequis, le pouvoir exécutif pouvant libérer les 3 mais pas lever le blocus…

Résultats politiques et diplomatiques, et sur des questions prioritaires pour Cuba

  • Retour à Cuba de Gerardo, Ramón y Antonio.
  • Radiation de Cuba de la liste des États parrainant le terrorisme international.
  • Rétablissement des relations diplomatiques et réouverture des ambassades.
  • Trois rencontres entre les présidents des deux pays.
  • Nombreuses visites de haut niveau dans les deux directions (mais plus dans celle USA-Cuba) :
    • Visites d’Étasuniens  : les secrétaires d’État, du Commerce, de l’Agriculture, du Transport ; vice-secrétaire de la Sécurité nationale ; les chefs de plusieurs agences (dont l’Agence nationale océanique et atmosphérique NOAA ; douanes et protection des frontières CPB ; petites entreprises) et hauts fonctionnaires.
    • Visite de Cubains : Ministres des Relations extérieures, du Commerce extérieur et de l’investissement étranger, de l’Agriculture et de la Santé publique ; présidents de l’Institut national des sports, de l’éducation physique et des loisirs (INDER) et de l’Institut de l’aéronautique civile cubaine (IACC) ; et premier vice-ministre de la Santé publique.
  • Création de la Commission bilatérale pour le suivi de l’ordre du jour : questions en souffrance, coopération mutuelle, dialogue sur des points bilatéraux et multilatéraux ; trois réunions à ce jour.
  • Rénovation du brevet aux USA de la marque de rhum Havana Club.
  • Reprise du courrier postal direct.
  • Exclusion de Cuba de l’Avis de sécurité portuaire émis par le Service des garde-côtes étasunien.
  • Démarrage de négociations entre les USA, Cuba et le Mexique sur la délimitation du Polygone oriental dans le golfe du Mexique.

Accords bilatéraux et de coopération sur des questions d’intérêt mutuel

  • Mémorandum d’accord sur la conservation et la gestion de zones marine protégées.
  • Déclaration conjointe sur la coopération en matière de protection de l’environnement.
  • Plan-pilote pour le rétablissement du transport direct de courrier postal.
  • Mémorandum d’accord sur l’établissement de vols commerciaux réguliers.
  • Programme de coopération pour la formation de professeurs d’anglais.
  • Mémorandum d’accord pour la coopération en matière d’amélioration de la sécurité de la navigation maritime.
  • Mémorandum d’accord pour la coopération agricole.
  • Mémorandum d’accord entre le ministère de l’Intérieur et la Douane générale de la République, d’une part, et le département de Sécurité nationale des USA, de l’autre, pour la coopération en matière de sécurité des voyageurs et du commerce.
  • Mémorandum d’accord entre le ministère cubain de la Santé publique (MINSAP) et le département étasunien de la Santé pour la coopération en matière de santé.
  • Arrangement entre l’Institut de l’aéronautique civile cubaine (IACC) et l’Agence de sécurité du transport (TSA) pour le déploiement d’agents de sécurité à bord des vols nolisés entre les deux pays.

Des négociations sont en cours en vue d’instruments de coopération bilatérale : lutte contre le trafic de drogues ; application de la loi ; recherche-sauvetage en mer ; interventions en cas de déversement en mer de pétrole et d’autres substances dangereuses ; météorologie, climat et pollution atmosphérique ; enregistrements sismiques et information géologique ; conservation et gestion de Zones terrestres protégées.

Plus d’une trentaine de rencontres d’experts, dont : sécurité aérienne et de l’aviation ; sécurité maritime et portuaire ; application de la loi ; lutte contre le trafic de drogues, contre la traite des êtres humains et contre la fraude migratoire ; cybersécurité ; blanchiment d’actifs ; terrorisme ; santé ; agriculture ; environnement ; hydrographie et cartes nautiques.

Dialogues sur des questions bilatérales et multilatérales

Une dizaine de réunions dans les cadre des dialogues : réglementations économiques et financières ; trafic des êtres humains ; changements climatiques ; compensations mutuelles ; droits de l’homme ; télécommunications.

Voyages et échanges

Intensification des voyages et des échanges culturels, scientifiques, universitaires et sportifs. Fin 2015, plus de 1 300 actions d’échanges entre organismes cubains t étasuniens, soit une hausse de 43 p. 100 par rapport à 2014.

En 2015, plus de 163 000 Étasuniens sont allés à Cuba (hausse de 76 p. 100 par rapport à 2014), et plus de 294 000 Cubains vivant aux USA (hausse de 13 p. 100). Au premier semestre de 2016, plus de 138 000 Étasuniens ont voyagé à Cuba (hausse de 80 p. 100 par rapport au premier semestre de 2015), et plus de 114 000 Cubains des USA (hausse de 2 p. 100).

Opérations économiques et commerciales

  • Accords de services de télécommunications entre l’Empresa de Telecomunicaciones de Cuba (ETECSA) et les sociétés étasuniennes IDT, Sprint, Verizon et T-Mobile.
  • Contrats de gestion et commercialisation de trois hôtels de La Havane avec la société étasunienne Starwood.
  • Début des voyages de croisière par la compagnie Carnival.
  • Le service de transport de marchandises FedEx commencera cinq vols hebdomadaires Miami-Varadero le 15 janvier 2017 (autorisation du secrétariat du Transport jusqu’au 15 juillet 2018).

Comme on peut le constater, le bilan sur les points essentiels est à peu près nul. Pour l’instant, on a eu droit à une sorte de « ravalement de façade », et il est douteux qu’on puisse en attendre plus sur le court terme, et ce pour deux raisons : le président Barack Obama pense à avoir fait assez pour l’instant et orienté correctement à coups de carotte les relations vers le cap qu’il vise, à savoir le « changement » de et à Cuba, de sorte que son successeur puisse continuer sur la même erre ; le Congrès qui a finalement le dernier mot à dire n’est pas prêt, selon le rapport des forces existant au sein de la classe législative étasunienne, à desserrer l’étau. Josefina Vidal reconnaît que ça prendra des années. Mais nul ne sait combien !

Une simple statistique montre bien combien tout reste ambigu entre les administrations étasuniennes et la Révolution cubaine, et surtout combien Obama ne joue pas franc : au 20 juillet 2016, Cuba n’a toujours pas pu faire de paiements ni de dépôts en dollars malgré l’autorisation accordée en mars dernier. Et ça se comprend : l’administration Obama, celle qui se dit l’amie de Cuba, a infligé un total de quarante-neuf amendes à des banques des USA et d’ailleurs pour un total de 14 397 416 827 dollars, une somme sans précédent en cinquante-quatre ans de blocus ! Et comme l’administration n’a émis encore aucune déclaration politique ni aucun document légal pour faire savoir aux banques du monde entier que les opérations avec Cuba sont désormais légitimes et qu’elles ne feront plus l’objet de sanctions, les institutions bancaires continuent à juste titre de se méfier et, surtout, de ne pas faire de transactions avec Cuba.

Le 5 décembre 1988, dans un contexte évidemment bien différent, Fidel avait abordé le vrai fond du problème entre les deux États. Ses idées sont aussi actuelles aujourd’hui que voilà vingt-huit ans. Je conclurai là-dessus :

Nous sommes un petit pays – insulaire, par-dessus le marché – situé à bien des milliers de kilomètres de n’importe quel allié potentiel ou d’alliés réels, à cent cinquante kilomètres de la puissance impérialiste non seulement la plus forte de la Terre, mais encore la plus arrogante, la plus méprisante et la plus hautaine ; ou plutôt, comme je l’ai dit un jour, pas à cent cinquante kilomètres, mais à seulement quelques millimètres ou quelques microns de distance, là où elle occupe illégalement un morceau de notre territoire.

Cet Empire est toujours et restera, peut-être pendant bien du temps, un empire, et, en plus, un empire puissant.

Nous sommes le premier pays socialiste de l’Amérique, le premier pays socialiste en Amérique latine, le dernier à nous être libéré de l’Espagne, le premier à nous être libéré de l’impérialisme yankee, le premier à avoir établi sa pleine maîtrise sur ses richesses, le premier à avoir désobéi à ses ordres, le premier à l’avoir défié, le premier à opérer la plus profonde des révolutions à partir de nouveaux concepts, de nouvelles idées, de nouvelles valeurs.

Nous avons été les premiers à faire ondoyer les drapeaux des travailleurs, des paysans, des petits, et à imposer leurs revendications et leurs droits ; les premiers à donner l’exemple correspondant à cette étape de l’évolution historique des peuples latino-américains, et nous avons maintenu ces drapeaux et cette attitude depuis maintenant presque trente ans, et ça, l’Empire ne nous le pardonnera jamais. Il ne s’agit pas seulement d’un affront à l’orgueil de l’Empire, d’ailleurs, mais aussi d’une blessure profonde à ses intérêts impériaux, d’un symbole, d’un chemin de rébellion, de liberté, d’indépendance que nous avons frayé, et ce symbole, ce exemple, ce chemin, l’Empire ne renoncera jamais à ses tentatives de les liquider par un moyen ou un autre. Ce sera et ça restera, tant que la domination impériale existera dans notre continent, son objectif.

Même si les relations s’amélioraient un jour formellement entre Cuba socialiste et l’Empire, celui-ci ne renoncerait pas pour autant à son idée d’écraser la Révolution cubaine, et il ne s’en cache pas ; ses théoriciens l’expliquent, les défenseurs de la philosophie de l’Empire l’expliquent. Certains affirment qu’il vaut mieux opérer des changements déterminés dans la politique envers Cuba pour la pénétrer, l’affaiblir, la détruire, si possible, même pacifiquement, tandis que d’autres jugent que plus l’on sera belligérant envers Cuba, et plus Cuba sera active et efficace dans ses luttes sur le théâtre latino-américain et mondial. De sorte que si quelque chose doit être l’essence de la pensée révolutionnaire cubaine, si quelque chose doit être totalement clair dans la conscience de notre peuple qui a eu le privilège d’être le premier à s’engager sur ces chemins, c’est que nous ne pourrons jamais, tant que l’Empire existera, négliger la défense. […]

Nous ne pouvons pas ignorer les réalités, et je crois que notre peuple ne pourrait jamais se pardonner et qu’il devrait payer un prix très lourd et fatal s’il les oubliait un jour. Non que nous soyons pessimistes : nous sommes simplement réalistes ; non que nous soyons contre la paix et la détente ; non que nous soyons contre la coexistence pacifique entre différents systèmes politiques et économico-sociaux : c’est que nous sommes et que nous devons être tout bonnement réalistes. Et le réalisme nous indique que tant que l’Empire existera et tant qu’il existera un peuple digne, un peuple révolutionnaire sur cette île, notre patrie sera en danger, à moins que nous nous rabaissions assez ou que nous soyons assez indignes pour renoncer à notre indépendance, à notre liberté, à nos droits les plus sacrés et les plus nobles.

La Havane, 27 mars 2016 (Pâques)-20 juillet 2016
(premier anniversaire de la réouverture de l’ambassade cubaine à Washington)

(FIN)

Jacques-François Bonaldi
La Havane

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