Il n’y a pas besoin d’avoir vu le film pour s’en faire une idée : le synopsis suffit amplement. Merci, toutefois, à ceux qui s’y sont collés pour en faire une analyse sérieuse.
Nous avons là, apparemment, le scénario hollywoodien-type. Un héros central (ou plusieurs, selon le cas), l’Américain blanc chrétien, représentant le "Bien" et une flopée de "méchants" ("le Mal") : les ennemis que le héros doit démasquer et abattre grâce à la puissance militaire des US pour "protéger la nation" et "rétablir la paix".
Ce schéma remonte à la naissance d’Hollywood, qui servait à promouvoir l’American Way of life, à la fois pour créer une culture commune parmi les populations diverses et variées (blanches) et pour servir d’image dans le monde entier de première puissance mondiale et de ses "valeurs".
On retrouve cela, par ex, dans les westerns et toutes les grandes superproductions qui, grâce à leur large diffusion, servaient à développer une unité et une fierté nationale sur un territoire si vaste et si hétérogène.
Et Hollywood a toujours coopéré avec le département de la Défense, la CIA et d’autres agences gouvernementales .
Ainsi, en 2013, lors de la cérémonie des Oscars, c’est Michèle Obama elle-même qui avait présenté Argo - qui encense la CIA et raconte une tout autre histoire sur la prise de contrôle de l’ambassade des États-Unis à Téhéran par des étudiants iraniens - ce qui montre bien la proximité de l’industrie cinématographique avec Washington.
On retrouve ce modèle dans bien d’autres films, évidemment, et même sur les films sur le Vietnam, d’ailleurs.
Ainsi, dans les années 1980, un certain nombre de films grand public présentent des USaméricains qui retournent au Vietnam à la recherche de prisonniers de guerre ou de soldats portés disparus comme "Retour vers l’enfer", "Portés disparus" (Missing in Action), avec … hum ... Chuck Norris, ou Rambo, avec … Stallone, des films bourrés de clichés, destinés à restaurer l’image de moralité des forces armées US auprès du public américain, qui voulait y croire encore.
Mais, dans les films sur le Vietnam, là encore, ce sont les soldats US et les drames qu’ils vivent qui sont les personnages centraux dans un enfer environnemental vietnamien, où la population est décrite comme cruelle, hostile et fourbe.
Donc, il est clair qu’"American Sniper" ne présente aucun intérêt, si ce n’est faire une nouvelle fois la promotion de quelque héros inventé US qui se complait à assassiner en toute impunité des étrangers basanés dans un but propagandiste.
Et tout comme pour le Vietnam, il arrive à un moment où la majorité de la population dit que la Guerre en Irak était une erreur.
En revanche, ce qu’il est intéressant de lire, ce sont les critiques comme celle ci-dessus ou celle-là, en anglais - plus longue, mais les deux se rejoignent sur bien des points.
Ce sont des analyses intéressantes et enrichissantes culturellement.
Et on retrouve bien ici ce que j’ai dit plus haut sur le Vietnam vu dans les années 80 :
"Le film a manifestement pour but de regonfler le moral des Américains, de les convaincre notamment que la guerre en Irak avait du sens et que les soldats US ne sont pas morts pour rien. Les victimes irakiennes ne comptent pas, la négation de la réalité et de la morale élémentaire étant poussée à l’extrême".
Restaurer la confiance en l’armée US : tout à fait.
Sans le soutien de la population, les US ne pourraient pas multiplier les agressions et les crimes de guerre dans le monde entier. Alors, la promotion de l’armée des États-Unis est constante dans les médias, où les "bons" soldats, ceux qui reviennent "intacts" et se disent prêts à repartir, sont invités et présentés comme ceux qui vont se battre pour "protéger la nation".
Les "mauvais" soldats, ceux qui craquent, ceux qui reviennent cassés, physiquement et moralement, ceux qui militent contre la guerre, ceux qui racontent ce qui s’est réellement passé, n’intéressent, évidemment pas les médias.
Toutefois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’appréciation sur le documentaire "Of Men and War" de Laurent Bécue-Renard.
Je l’ai vu au cinéma et il a été suivi d’un débat avec le réalisateur et un médecin-psychiatre de l’armée française.
Le documentaire est, certes, passionnant, les personnages attachants, et on ne s’ennuie pas du tout malgré sa durée de 2h30.
Le problème des traumatismes et autres handicaps causés aux soldats par la guerre est peu connu en France, mais il concerne des millions de vétérans US sur 22 millions.
Mais ensuite, une fois qu’on a écouté les histoires dramatiques, certes, de ces gars, on se rend compte que, comme dans les films US, la guerre en Irak est "accessoire", elle est à peine nommée et cela pourrait aussi bien s’être passé ailleurs, que les Irakiens sont peu cités, que les traumatismes proviennent plutôt de tragédies qui ont eu lieu au sein de leur unité.
La légalité de l’invasion de l’Irak, menée, pourtant, à la suite de mensonges flagrants, n’est jamais remise en cause, ni par les soldats, ni par le réalisateur. Or, celui-ci a tourné pendant de longs mois et a enregistré 450 heures de témoignages. Il y avait peut-être matière à faire d’autres choix.
Après tout, si ces gars sont revenus dans cet état-là, c’est à cause d’une guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu.
Il est étrange que le réalisateur n’ait rien en "magasin" là-dessus.
Il est étrange qu’un Français fasse un film aussi débarrassé de toute analyse. Un peu comme s’il voulait que son film passe la censure de l’autre côté de l’Atlantique.
D’autre part, le centre de thérapie (construit avec des fonds privés) où les soldats sont pris en charge est loin d’exister partout aux US pour accueillir les anciens combattants des multiples guerres US. Et, d’ailleurs, celui-là n’accueille que très peu de patients, on le voit. Combien de Californiens ne peuvent pas bénéficier de cette thérapie ? Et combien y a–t-il de centres de ce type sur tout le territoire ? On n’en saura rien.
Les allocations versées aux vétérans par le "Department of Veterans Affairs" comprennent les soins de santé, les pensions d’invalidité mensuelles, les prêts immobiliers etc., mais ces prestations varient énormément d’un état à l’autre, d’un endroit à l’autre d’un état.
Par ex, pour les dépenses de santé, la moyenne nationale est de moins de 10.000 dollars par patient, mais, elles s’élèvent à 30.000 dollars à San Francisco, et sont en-dessous de 7.000 à Lubbock, au Texas.
Le documentaire ne parle pas non plus des problèmes de logement des vétérans : environ 70.000 anciens combattants dorment dans la rue tous les soirs et 140.000 dans des foyers. 1,4 millions d’autres vétérans risquent de se retrouver à la rue un jour ou l’autre (pauvreté, manque de réseaux d’entraide, etc.).
Stress post-traumatique : chiffres, causes et conséquences https://www.youtube.com/watch?v=_kZ4EBO_tPA
Quant aux reportages sur les guerres en Irak et en Afghanistan, voici des témoignages bien plus proches de la réalité . Hélas, il n’y a pas de sous-titres. ("Winter Soldier:Iraq and Afghanistan" est une rencontre à laquelle ont participé plus de 200 vétérans et de soldats en service actif ainsi que des civils irakiens et afghans, et où chacun a parlé de ce qu’il a vécu en Irak et en Afghanistan.
Ces récits sont véritablement passionnants, informatifs et émouvants.
NB : "Légalité" d’une guerre : une guerre est dite "illégale" quand elle viole le droit international. C’est-à-dire, grosso modo, si le pays qui la subit n’a pas agressé celui qui lui déclare la guerre.
Evidemment, on le constate, alors qu’ils cherchaient des semblants de prétextes, naguère, pour lancer une offensive, les US et l’Otan passent outre de plus en plus ouvertement.