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Démocratie et élections en Afrique : Le cas du Cameroun

Dans le contexte politique africain depuis bientôt une vingtaine d’année, démocratie et élections sont sûrement les deux mots les plus utilisés. Ils rivalisent de prégnance avec deux autres vocables à savoir « droits de l’homme » et « bonne gouvernance ».

En réalité, il se dresse en filigrane de ce mouvement conceptuel, les aspirations légitimes des populations en quête d’un nouveau contrat social. L’irruption de la pluralité des acteurs sur la scène électorale et la théâtralisation du débat politique dans le cadre des parlements, des médias ou de la rue ont été la marque symbolique du désir de la population d’aller vers un système démocratique (1). A ce titre, des partis politiques ont commencé à naître comme des champignons, parfois sans programme ou revendication politique précis. En outre, "le caractère flou des critères de constitution ou d’identification des partis politiques a conduit à la gangrène ethnique. Cette dernière poursuit-il n’a fait qu’exacerber les tensions enfouies des sociétés africaines que le parti unique a toujours cherché à masquer " (2).

Remarquons cependant que, toute réflexion sur l’expérience démocratique vécue jusque-là par les sociétés africaines, ou sur l’a-venir de cette expérience, doit accorder une importance particulière aux partis politiques et au jeu électoral. Il doit en être ainsi non seulement parce que la dévolution du pouvoir au terme d’élections honnêtes, transparentes et libres marque une étape décisive dans la construction de la civilité politique et l’érection de l’état de droit, mais surtout parce que l’activité des partis politiques et le processus électoral participent d’une mutation sociale tout en s’érigeant comme des baromètres, des palpeurs de la société, mieux des outils privilégiés d’observation de la société politique dans son ensemble (3).

Cela étant dit, cette réflexion se propose d’élucider l’incidence des élections et de l’activité des partis politiques sur le processus démocratique au Cameroun. Aux termes de 20 années -du retour - de multipartisme au Cameroun, quel regard poser sur le processus démocratique à l’aune des joutes électorales ?

I- hiatus dans l’enracinement démocratique des partis politiques au Cameroun

Comme on l’a souligné précédemment, les partis politiques et les élections constituent le lieu par excellence d’observation et d’évaluation des transitions démocratiques en Afrique en général et au Cameroun en particulier. A ce compte donc, on peut légitimement -vingt ans après le vent de l’Est -, s’interroger sur l’ancrage démocratique des partis politiques et sur leur capacité de mobilisation et de proposition de projets sociétaux.

A - Le contexte politique général

A l’analyse, force est de constater que le président Paul Biya est le "carrefour exclusif d’une vie politique camerounaise " qui semble se résumer à un questionnement sur son départ ou non du pouvoir et de l’éventuelle alternance qui pourrait s’en suivre. Les dernières élections présidentielles de 2004 ont montré son ascendant sans commune mesure sur le jeu politique.

Au Cameroun, les partis politiques les plus « influents » sont : le Rassemblement Démocratique du Peuple Cameroun (PDG) du président Paul Biya ; le Social Democratic Front (SDF) de John Fru Ndi ; l’Union Nationale pour la Démocratie et Progrès (UNDP) de Bello Bouba ; Union des Populations du Cameroun de Frédéric Kodock et sa faction dissidente du Pr. Henri Hogbe Nlend ; Union Démocratique du Cameroun de Adamou Ndam Njoya, le Mouvement Progressiste (MP) de Jean Jacques Ekindi ; Alliance pour la démocratie et le développement (ADD) de Garga Haman ; le Parti des Démocrates Camerounais (PDC) de Mbida Tobie Louis. La reconnaissance des partis politiques est sous-jacente aux dispositions contenues dans la loi no 90/056 du 19 décembre 1990. Cette loi du point de vue théorique répond véritablement aux exigences minimales requises par l’État de droit et le droit international. Reste que, l’ondoyante clarté et la justesse des textes de loi organisant la vie des partis contrastent très souvent avec les réalités et pratiques observables au quotidien.

A l’analyse, la liberté qu’ont les partis de former, recruter leurs membres et mener les campagnes est paradoxalement coextensive, à l’inefficacité desdits partis à rendre le parti au pouvoir comptable devant le peuple.

B- Une opposition sans opposition

Comme dans la plupart des pays de la sous région, l’opposition camerounaise brille par sa capacité à s’effacer de la scène politique entre deux élections ainsi que son aptitude à resurgir à la veille des consultations électorales pour bénéficier des largesses financières que la loi consacre pour le financement de la campagne électorale. Il est curieux de constater que de nombreux partis politiques n’ont ni programme, ni siège et encore moins un programme de formation et des cadres du parti et des populations. La plupart n’ont d’existence que légale. On est très souvent en présence d’une opposition enchevêtrée dans de stériles dissensions ethniques et égologiques, jouant le rôle "d’intermittent de spectacle " servant au mieux, de support de légitimation de certaines magouilles électorales du RDPC.

Soulignons par ailleurs que, l’un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les partis politiques camerounais, c’est la difficile consolidation de leurs structures institutionnelles et sociales. La trajectoire du SDF et de l’UPC l’illustre à profusion. Ces Partis oscillent entre tentations centrifuges, opposition radicale et stratégie de négociation avec le pouvoir voire la participation au gouvernement. Il en résultera dans le cas d’espèce une fragilisation structurelle et idéologique combinée à une érosion de l’assise populaire.

Si on note avec intérêt le fait que les partis bénéficient d’une relative liberté garantie part la loi à s’organiser au sein de la législature, reste qu’aucune alternative politique efficiente, aucune respiration démocratique durable n’est sérieusement envisageable dans un tel contexte de démission de la pensée critique et d’éparpillement de l’offre politique. Mieux encore, les dernières élections nous donnent de constater la même incapacité des formations politiques de l’opposition à se fédérer tant du point de vu interne qu’externe. Les lendemains d’élections indiquent plutôt la tendance au fractionnisme.

II- Du mirage électoral au désenchantement des populations

L’observation attentive de l’organisation et du déroulement des scrutins politiques à l’ère de la concurrence au Cameroun, laisse apparaître une sorte de cristallisation des comportements d’acteurs électoraux d’horizons divers, autour d’un paradigme réfractaire à la transparence des opérations électorales et à la liberté de choix des électeurs ordinaires (4). Cette réalité désabuse les populations et partant, obère les possibilités d’un processus démocratique durable dans ce pays.

A- Des élections sans crédibilité

Pour certains spécialistes de la science politique, la démocratie prodigue ses bienfaits dès l’instant où des scrutins oxygènent périodiquement l’Assemblée législative et la "présidence ". Il nous semble intéressant de constater que dans le cas du Cameroun, le critère relève d’un automatisme paresseux et magique : pour peu que l’on vote dans le pays, la démocratie, tel un automate docile à l’appel, répond-elle "Présente " ? Raccourci grossier et pourtant courant. Certes le scrutin est exigible et constitue une catégorique analytique de la respiration démocratique, mais il ne saurait résumer à lui seul l’idée de démocratie. Lorsque le RDPC de Paul Biya triomphe au rituel électoral pendant près vingt-cinq ans, la méfiance élémentaire conclura que les dés sont pipés et la démocratie mise en veille.

Parmi les critères dont la convergence démontre la santé démocratique d’un pays, l’égalité des chances entre les options s’impose d’emblée. La liberté de choix constitue en effet un passage obligé pour la vitalité de la démocratie, mais cette faculté n’est qu’hypocrisie si les voies ne sont pas aussi carrossables les unes que les autres. Que le RDPC jouisse d’avantages financiers, militaires, médiatiques ou publicitaires refusés aux rivaux, cela est un fait et de ce fait, le mensonge du scrutin court sous le maquillage.

On peut lire à ce niveau et avec beaucoup d’intérêt la réflexion de la Laplante au sujet de ce mode de "démocratie " à la camerounaise : "qu’elles sont légion les entourloupettes qui violent l’esprit de la démocratie sans troubler le rite électoral. On peut torturer la carte électorale au profit d’un parti. Sollicitées avec insistance, les listes électorales peuvent inscrire des personnes décédées ou inexistantes ; les votes fantômes obéiront à une main efficacement autoritaire. On peut aussi, à l’aide de financements souterrains, muscler un parti à la manière d’anabolisants transformant le malingre leveur de fonte en haltérophile olympique. Les renvois d’ascenseur entre conglomérats et partis affamés guident également les réélections. Connivence aidant, la législation s’alignera ensuite sur le desiderata de la coulisse plutôt que sur les besoins sociaux." (5)

Comme quoi, le rite électoral peut bien montrer patte blanche, mais aux fins de chloroformer l’opinion. Bien plus, entre ce que prévoit la Constitution camerounaise en matière électorale d’une part et les faits d’autre part, il y a toujours eu un gouffre. L’expérience des scrutins concurrentiels qui se sont déjà tenus est une illustration forte intéressante. Aucune de ces élections n’a été exempte de contestations : irrégularité concernant les listes électorales, tentatives de fraude, intimidations, simulacre de référendum taillé sur mesure, instrumentalisation du fichier électoral, hégémonie de l’administration sur le "citoyen " dans l’expression du suffrage, bref l’incapacité ou le refus (la ligne est difficile à tracer) du ministère de l’Administration territoriale à mettre sur le pied une organisation juste et équitable des élections.

En clair, le scrutin n’est garant d’une santé démocratique que moyennant une série de conditions qui vont la diversité des mass-médias à l’abolition du financement clandestin. Une lecture simpliste de la scène politique camerounaise relie un peu vite le label démocratique au mirage électoral. Une telle illusion n’est pas sans conséquence sur les aspirations profondes et légitimes des populations.

B- Un auditoire désabusé et en quête de repères

Certains apparatchiks et sympathisants du régime Biya ont souvent justifié la longévité au pouvoir du RDPC, par le fait qu’on ne peut "changer le changement ". De plus, ils arguent le fait que ce Parti a toujours bénéficié d’une large assise populaire et de la majorité des voix aux élections législatives et présidentielles. Cette autre illusion démocratique ventilée par le Parti des flammes laisse tout de même perplexe. S’il est évident que la démocratie est très souvent perçue comme la soumission sans réplique aux volontés de la majorité, il ne faut pas perdre de vue que celle-ci doit également laisser respirer les divers courants de pensée et leur offrir à tous un respect égal. Ce n’est pas pour la majorité qu’existe le parlement, mais pour les débats où les minorités peuvent, elles aussi, elles surtout peut-être, s’exprimer . (6)

Par ailleurs, à bien considérer la scène politique Cameroun, on se rend vite à l’évidence que la ferveur et la virulence des mobilisations camerounaises au début des années 90 qui avaient laissé apparaître un pouvoir central vacillant, ont cédé la place à un climat plus apathique, à un mélange de désenchantement et de résignation.

En effet, désabusés par les controverses électorales interminables et par les échecs récurrents de leurs candidats, les Camerounais ont choisi de déserter les processus électoraux, préférant faire confiance à la débrouillardise au quotidien qu’aux promesses mirobolantes des partis et leaders politiques. Le moins qu’on puisse dire est qu’on est en présence d’une société en quête de sens, en quête de leader capable d’insuffler une bouffée d’oxygène pour rendre le gouvernement comptable et permettre à la démocratie de prospérer.

En définitive, il y a lieu d’affirmer ici que le peuple camerounais est malade de son système de Partis politique et partant de son système électoral. "Si l’on n’y prend garde, pendant que nous nous préoccupons de la situation des droits de l’homme de la troisième génération, ceux de la première génération continueront d’être malmenés et bafoués ". (7)

Nonobstant les déclarations officielles rassurantes sur l’état de la démocratie au Cameroun, la conquête des libertés fondamentales, du multipartisme effectif, de la démocratie au sein des partis et de l’obligation gouvernementale de rendre compte, dépendent moins de la volonté du gouvernement, que de l’acharnement avec lequel les citoyens se battront pour leur avènement et de la vigilance constante qu’ils exerceront pour leur maintien. Autrement dit, c’est dans ce peuple désemparé que se trouve les possibilités de démocratisation durable. D’où mon l’intérêt pour l’émergence d’une société civile forte.

Christian DJOKO

(Expert en droits de l’homme et action humanitaire et étudiant Erasmus Mundus)
Christdjoko-freedom@hotmail.com

(1) Jean Didier BOUKONGOU, Dignité humaine en Afrique centrale 1990-2007 (Version provisoire) Document à paraître, p.88.

(2) Idem

(3) Alain Didier OLINGA, "Bilan des élections législatives et municipales du 30 juin au Cameroun et impact sur l’évolution démocratique du pays " in Conférences académiques 2000-2003, Yaoundé, ENAM/CRD, 2003, p. 149.

(4) Joseph-Marie Zambo Belinga, "Une élection comme les autres " in Cahier de L’UCAC : Requiem pour le NEPAD ?, Yaoundé, PUCAC, p. 135.

(5) Laurent Laplante, La démocratie. Entre utopie et squatteurs, Québec, Ed. Multimondes, 2008, p.10.

(6) Lavoie cité par Laurent Laplante, op.cit., p. 11.

(7) Jacques-Philibert Nguemegne, "Reflexion sur l’usage et respect des droits de l’homme au Cameroun : Le droit de vote " in Denis Maugenest et Jean Didier Boukongou (es. dir.), Vers une société de droit en Afrique centrale (1990-2000), Yaoundé, PUCAC, 2001, p.150.

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