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Conte de Noël

Intransigeant, Léo avait décrété du haut de ses quinze premières années que ce serait lui qui accompagnerait son grand-père le 5 décembre. Ils quittèrent de bon matin le domicile de Jean. La main gauche légèrement posée sur l’épaule du jeune homme, Jean se laissa guider dans le dédale des petites rues de son quartier depuis longtemps déserté par la volonté de rénovation urbaine. Ils devaient slalomer entre poubelles attendant un hypothétique ramassage, voitures chevauchant le trottoir et individus blottis sous leur abri de fortune en carton. Ils avaient renoncé une fois encore à prendre le trop incertain métro. Une marche de trois bons quarts d’heure dans Paris, côte à côte, les avait réjouis d’avance.

A leur arrivée la salle d’attente de l’hôpital était déjà presque pleine. Une longue attente commença. Une hôtesse élégante et très gracieuse, un lecteur de cartes à la main, se déplaçait pour vérifier que la présence de chacun était conforme à l’appel de la Fondation Pinault. Léo se pencha sur l’épaule de son grand-père. « Papy, dit-il, la Fondation Pinault fait sa pub sur le mur en face de nous. Une très belle et grande photo soigneusement encadrée représente un homme contemplant un paysage marin. Au bas de l’image on peut lire : Fondation Pinault 2020, l’autre regard. » Jean se contenta d’un sourire complice. Avec bonheur, il se revit fermement adossé à un rocher de la pointe de Pern sur l’île d’Ouessant un soir de tempête.

Le jour de son douzième anniversaire, Léo avait fait à son grand-père le plus beau cadeau que celui-ci n’eut osé imaginer de la part d’un être si jeune encore. « Papy, avait-il murmuré, le regard franc, je sais que ce n’est pas avec ses yeux que l’on voit le mieux. » Jean avait pris doucement les mains de Léo dans les siennes. « Tu as découvert cela tout seul ? » Léo avait acquiescé. « Alors, c’est définitif. Ce que l’on comprend en éprouvant les choses est profondément ancré en nous. Tu dépasses déjà les ridicules prévenances de la plupart des adultes. Oui, les yeux ne servent finalement pas à grand-chose à ceux dont l’esprit est inquiet. » Depuis ce jour-là , Léo apprenait patiemment à regarder le monde avec sa tête. Jean et Lui passaient le plus de temps possible ensemble, partageaient des lectures variées, faisaient de longues promenades dans des paysages que Léo décrivait avec de plus en plus d’intelligence. Jean s’émerveillait de cette formidable maturité patiemment construite.

On les appela enfin. Deux hommes se tenaient derrière un grand bureau. « Bonjour Monsieur, entama l’un d’eux d’un ton enjoué, je vous présente le Professeur Mirault qui a constitué la base de données Rétinox recensant les trente mille Français atteints de rétinite pigmentaire. Quant à moi, je suis Georges Mercator, responsable du pôle Santé pour tous au sein de la Fondation Pinault. Les entretiens de ce matin ont pour but de choisir les vingt personnes qui vont, à l’occasion de notre célèbre opération de Noël, bénéficier d’un financement exceptionnel pour le traitement issu des patientes années de recherches du laboratoire américain Lynx brothers. » Le Professeur prit la parole : « Cher Monsieur, sur le plan médical votre profil correspond parfaitement aux critères retenus pour le protocole envisagé. De mon côté il n’y a donc aucun obstacle à votre sélection. » Les yeux rivés sur son écran Georges Mercator reprit : « Le financement dont je parlais voilà un instant représentera la moitié du coût du traitement. Depuis la Grande Substitution décidée en 2014 l’Etat ne finance plus les dépenses de santé. Dieu merci des fondations comme la nôtre ont pris le relais grâce à leurs généreux donateurs. Au plan économique vous offrez également, cher Monsieur, toutes les conditions de recevabilité. Vous êtes fonctionnaire en fin de carrière et disposez d’un patrimoine suffisant. »Le représentant de la providentielle fondation attendit alors fièrement la réaction de son interlocuteur.

« Je vais vous surprendre Monsieur Mercator, lança Jean, votre proposition ne m’intéresse nullement. J’ai soixante-cinq ans, je me suis habitué à vivre avec mon handicap évolutif, j’ai des tas d’activités, de nombreux amis, un petit-fils et sa petite soeur Marie dont je suis très fier. Bref, vous avez en face de vous un homme heureux. Je suis venu ici ce matin par simple curiosité, pour constater dans quel abîme nous sommes désormais tombés. Je me pose une seule question : que fait-on des personnes, les jeunes en particulier, qui n’offrent pas les garanties économiques dont vous venez de parler ? » Le Docteur Mirault semblait abattu par le refus déterminé de Jean. Georges Mercator restait pour sa part curieusement serein : « Monsieur, vos propos me soulagent. Je ne vous cache pas que j’aurais eu beaucoup de mal à défendre votre dossier devant l’Assemblée des donateurs de notre fondation. Au plan moral votre profil est problématique. Vous êtes un homme engagé contre ce que vous nommer dans vos écrits les forces mortifères de l’ultralibéralisme. Nos donateurs les plus généreux exigent une moralité sans failles de la part des bénéficiaires de leurs libéralités. » A ces mots Jean décida de conclure l’entrevue : « Je vais vous choquer une dernière fois. Je suis particulièrement heureux que mon petit-fils Léo ait pu assister à cet entretien des plus éclairants. Nous vous saluons, Messieurs ».

Le soleil de midi, trop tiède en cette saison, accompagnait les deux amis sur le chemin du retour. Subitement, Léo se planta devant son grand-père, le regarda intensément dans les yeux avant de le serrer fort dans ses bras et de l’embrasser. A cet instant, Jean voyait la confirmation qu’il avait eu raison durant tant d’années de rester intransigeant.

Yann Fiévet

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