Le sénat brésilien vient d’adopter en seconde lecture le projet de réforme constitutionnelle qui modifie du système des retraites par 51 voix pour et 24 contre. Il s’agit , d’après le président du PT, José Genoino, de "garantir une retraite plus juste et équilibrée (...) en assurant l’équilibre budgétaire". La réforme prétend "corriger la grande disparité entre les pensions des travailleurs des secteurs publics et privés". Il s’agit d’une question de "justice sociale et de lutte contre l’exclusion". Bref, il faut "sauver le système par répartition". On croirait entendre Raffarin.
Au sein même du PT, de nombreuses voix s’élèvent contre ce qu’ils considèrent être une concession inacceptable au FMI et une "libéralisation" de la politique du gouvernement de Lula.
Rappelons qu’en 1998, une telle réforme, projetée par le président Cardoso, avait été combattue par le PT. Notamment par Heloisa Helena, sénatrice et porte parole du groupe PT au sénat. Le hic, c’est qu’en quatre ans, elle n’a pas changé d’avis. Elle a donc voté contre ce projet de loi ce qui lui a valu l’exclusion du PT pour "manquement à la discipline du parti", ainsi qu’à trois députés, João Batista Araújo (Babá), Luciana Genro et João Fontes.
A la suite de ces exclusions, de nombreux militants du PT ont démissionné, entre autres des fondateurs historiques du parti. Au delà du revirement politique que représente la loi de réforme du système de retraites, c’est une véritable "stalinisation" du PT qu’ils dénoncent, l’apparition d’une caste de bureaucrates carriéristes dont les intérêts sont fort éloignés de ceux qui ont prévalu à la création du Parti des Travailleurs au Brésil.
Une association des amis de Heloisa Helena s’est créée : Cliquer ici (en portugais). De nombreuses personnalités et intellectuels à travers le monde, en tête desquels on trouve Noam Chomsky et Ken Loach, ont fait circuler et signé un appel que nous reproduisons ci dessous (traduction du portugais : JMR) :
Manifeste de soutien à la sénatrice du PT Heloisa Helena et aux députés du PT João Batista Araújo (Babá), Luciana Genro et João Fontes.
Nous soussignés, comme des millions de personnes à travers le monde, avons partagé la joie du peuple brésilien l’année dernière lorsque Lula fut élu président du Brésil.
Après plus d’une décennie de politiques néolibérales qui ont dévasté les peuples du monde ; après plus de quatre ans d’un mouvement nouveau, diversifié, international, qui affirme qu’un autre monde est possible - au sein duquel Lula, le PT et les forums sociaux mondiaux de Porto Alegre ont joué un rôle crucial- il semblait qu’enfin il y avait une chance de montrer qu’une alternative existait.
Bien sûr, les circonstances sont difficiles, l’héritage est lourd, et le temps a été court. Mais c’est avec une profonde surprise et un grand découragement que nous voyons que le PT envisage à présent d’expulser trois de ses membres les plus importants du Congrès, pour s’être opposés aux réformes du système des retraites envisagées par le gouvernement.
Notre but n’est pas d’exprimer ici une opinion sur tel ou tel aspect de la politique du gouvernement brésilien. Nous savons toutefois que la réforme de la retraite est une question clé qui oppose les gouvernements néolibéraux et le FMI aux mouvements organisés des travailleurs, non seulement en Amérique Latine, mais également ici, en Europe et partout ailleurs. Le lendemain de la décision du PT d’entreprendre une procédure disciplinaire à l’encontre de ces trois membres de la Chambre des députés, des millions de travailleurs en France et en Autriche manifestaient contre la réforme des retraites dans leurs pays. Nous comprenons aussi que le PT lui-même s’est opposé à de telles réformes des retraites, lorsqu’elles furent projetées par le précédent gouvernement de Fernando Henrique Cardoso.
Il nous semble par conséquent très grave que la direction du PT envisage maintenant une sanction drastique à l’encontre de ceux qui continuent à défendre les politiques traditionnelles du PT. Bien sûr, comme l’a dit Emir Sader, du Conseil international du Forum social mondial, le gouvernement Lula a le droit de changer d’optique sur ces questions, mais sanctionner ceux qui n’ont pas changé d’opinion serait envoyer un message terrible au monde.
Pour les millions de travailleurs qui sont descendus dans les rues en France et en Autriche, et pour les millions d’autres qui se sont mobilisés contre le néolibéralisme et la guerre, cela reviendrait à dire : "désolés, mais tout cela ne nous regarde pas, nous avons décidé qu’il n’y a réellement pas d’autre possibilité". Cela voudrait dire aussi que le PT a perdu sa fière tradition de démocratie, de pluralisme et de tolérance.
Nous vous exhortons donc à rejeter toute exclusion et à réaffirmer le rôle du PT comme un espoir pour tous ceux à travers le monde qui souhaitent travailler avec vous pour réaliser notre rêve commun, qui est q’un autre monde est certainement possible.