La presse dominante et « la pensée démocratique » peuvent nous raconter sans s’interroger qu’à Ferguson, il a fallu 12 balles pour stopper la menace d’un noir sur la vie d’un policier blanc. La fable en version unique, sur une multitude de supports et sous des signatures souvent inspirées, abonde en détails qui dénaturent l’événement rétrogradé en moment dramatique - au sens théâtral de rebondissement - de ce cinéma américain entièrement voué à mettre à jour les visages différents et épisodiques, après les attaques des caravanes des pionniers, de La Menace Permanente et Omniprésente sur la vie de chacun des Américains.
Car au vu de ce qui va se répéter autour de cette mort en particulier mais à notre insu de tous les innombrables assassinats ordinaires de Noirs par des policiers blancs, l‘événement n’est pas le meurtre mais, contrairement à la fatalité ordinaire, les manifestations et le retour au premier plan de la perception des Noirs et des questions élémentaires de logique qui sont en partie la cause.
Car, il faut beaucoup d’aplomb pour reprendre sans frémir qu’un Noir désarmé et blessé de deux balles au bras passe encore pour une menace vitale pour un policier blanc et que ce dernier a dû lui ajouter plusieurs balles supplémentaires « dans le coffre » pour écarter le danger. Un homme, même noir et même herculéen, est hors-service ou hors de combat avec combien de balles ? Le policier blanc a vu King Kong en face de lui et c’est bien ce qu’il a déclaré (1) sans que personne aux pays de la psychanalyse généralisée s’interroge sur la projection.
La question est urgente de savoir comment est perçu le noir car à côté du cas de Ferguson, le policier qui a tué l’enfant noir de 12 ans a été incapable de reconnaître la taille d’un enfant de 12 ans, la bouille d’un enfant de 12 ans. Il faut porter dans son subconscient une trouille extraordinaire du Noir pour paniquer devant un enfant de douze ans. Quelle a été la communication entre l’inconscient du policier blanc et l’inconscient du passant blanc qui a alerté sur le danger d’un enfant noir jouant au pistolet de plastique, puisque nous savons que les inconscients communiquent ? Ils ont partagé leur perception commune du Noir et projeté leurs peurs communes de WASP (2.)
Ces deux meurtres ne diffèrent en rien des tous les autres injustes, racistes, cruels et bêtes qui font les jours habituels des États-Unis mais ils en diffèrent dans les significations qu’en ont délivrées leurs auteurs. Il faudra se mettre à l’étude anthropologique de cette catégorie WASP qui s’est construite et créée dans le génocide et l’éradication des Autres, les Indiens exterminés, les Noirs massacrés dans le turnover des esclaves.
Comme tous les groupes sociaux, cette catégorie WASP est obligée, pour survivre, de réactualiser ses mythes et ils sont réduits à trois piliers : reproduire la conquête en gagnant toujours et encore plus de nouveaux territoires, se protéger en cercle de la menace indienne ou ses substituts communistes ou musulmans ou noirs ou extra-terrestres, anéantir l’adversaire jusqu’au dernier. Pour les WASP sédentaires de Ferguson, en mal de réalisation fantasmatique de ces mythes fondateurs, les Noirs et les gens de couleur sont plus qu’un bon ersatz des lointaines contrées et des peuples exotiques. Ils sont un défi démographique réel à la suprématie blanche.
C’est cette culture du meurtre et de la boucherie qui se lit dans les explications de ces deux assassinats, cette pratique fondatrice des WASP, cette psychologie collective des esclavagistes que les Noirs ont retrouvée intacts dans l’Amérique d’Obama, qui a mis les Noirs en ordre de mobilisation pour leur autodéfense et requiert d’urgence que nous portions un regard plus interrogateur sur cette violence WASP sans fin et sans garde-fou.
Mohamed Bouhamidi
Notes
(1) » Ça ressemblait à un démon », dit encore Darren Wilson en évoquant Michael Brown, d’après une retranscription complète de son audition du 16 septembre, traduite par Slate. Autre comparaison : au moment de l’accrochage avec le jeune Noir à travers sa portière de voiture, il dit s’être « senti comme un gamin de 5 ans s’accrochant à Hulk Hogan ».
(2) White Anglo-Saxon Protestant