Sur Labour After Communism de David Mandel
L’étude de l’évolution de la classe ouvrière dans trois des pays les plus industrialisés de l’ex URSS (Russie, Ukraine et Biélorussie) après la chute du Mur de Berlin comporte sans aucun doute un grand intérêt en soi. Mais l’actualité internationale qui place la crise en ukrainienne au centre des enjeux géopolitiques de plusieurs puissances impérialistes et d’un géant comme la Russie nous pousse à réfléchir sur le rôle qui y joue (ou qui pourrait jouer) le prolétariat d’Ukraine et des pays de la région. En ce sens, même si le livre de David Mandel, Labour After Communism, a été finalisé en 2004, il constitue un outil très riche pour comprendre l’état actuel du mouvement ouvrier dans ces pays.
En effet, nous avons souligné dans plusieurs articles sur la situation en Ukraine l’absence d’une politique indépendant de la classe ouvrière. On ne veut pas dire par là que des travailleurs et travailleuses n’ont pas pris part à des mobilisations ou autres actions de masses, mais ils le faisaient de façon dispersée, en tant que « citoyens », sans programme politique qui défende leurs intérêts de classe, et ainsi ils restaient coincés entre différentes alternatives bourgeoises.
Cette situation doit nous interpeller surtout quand on sait que certains secteurs centraux du prolétariat d’Ukraine, comme les mineurs du Donbass, avaient joué un rôle fondamental dans des luttes sociales et politiques tout au long des années 1990. A l’époque, l’un de leurs problèmes fondamentaux avait été le manque d’indépendance politique vis-à-vis des courants bourgeois et des factions d’oligarques régionaux, ce qui avait plongé les mineurs dans une profonde démoralisation vers la fin de la décennie.
Mais cette évolution politique de la classe ouvrière n’était pas une fatalité inévitable. Certes il y avait des conditions objectives qui rendaient la situation très compliquée. Mais c’est surtout dans les conditions subjectives que se trouvent les clés de la situation. En effet, l’incapacité des mineurs, dont une grande partie était organisée dans des syndicats combattifs nés à la fin des années 1980, à présenter une alternative politique propre, indépendante des différentes variantes bourgeoises ainsi que de l’impérialisme, était dans une grande mesure le résultat de la période stalinienne.
Une période où la politique écrasante de la bureaucratie avait comme conséquence l’aliénation politique des travailleurs. Sous le stalinisme, les travailleurs n’avaient pas la possibilité de s’organiser politiquement et/ou syndicalement de façon indépendante des organisations officielles, ils n’avaient en général aucune idée de ce qui étaient les traditions de démocratie ouvrière.
En partant de cet héritage commun aux trois pays étudiés, David Mandel tout au long de son livre essaye de montrer la « tragédie » que représente pour le prolétariat de ne pas avoir pu développer une orientation d’indépendance de classe vis-à-vis du patronat, aussi bien au niveau syndical que politique, dans toute la période de restauration du capitalisme. Même les dirigeants et dirigeantes syndicaux combattifs se sont égarés ou trouvés politiquement déboussolés au cours de cette période.
David Mandel analyse notamment le prolétariat de l’industrie automobile des trois pays. En effet, dans le passé, ce secteur jouait un rôle clé dans la production industrielle de l’Union Soviétique. Mais durant les années 1990 il a en grande partie été détruit (au moins en Russie et en Ukraine, la Biélorussie étant partiellement épargnée). Ainsi, ces travailleurs et travailleuses de l’automobile deviennent en quelque sorte les témoins des errements de l’ensemble de leur classe depuis la restauration du capitalisme en ex URSS.
La période stalinienne
Le livre commence par une analyse et quelques rappels des particularités de la période stalinienne (dite « socialiste ») qui auront des conséquences pour l’évolution du mouvement ouvrier après la dissolution de l’URSS. C’est le cas notamment du rôle des syndicats.
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